Devoir de Philosophie

Faut-il reconnaître quelqu'un comme son maître ?

Publié le 28/03/2005

Extrait du document

  • Analyse du sujet : L'obéissance acceptée peut-elle être une école d'autonomie et nous faire accéder à notre essence spirituelle authentique ? Faut-il être passé par la servitude pour atteindre véritablement son autonomie ? Conseils pratiques : Commencez par cerner le sens des concepts avec suffisamment de précision. En particulier, le sens donné à l'expression quelqu'un peut orienter la problématique.
  • Un plan dialectique est souhaitable : A) Il faut reconnaître un maître pour parvenir à la conscience de soi ; B) Mais cette reconnaissance n'est-elle pas soumission et servitude ? C) Les idées de loi universelle et de volonté générale apportent la synthèse dans la reconnaissance mutuelle.

• Quel est le sens de l'intitulé ? Est-il nécessaire et indispensable de poser comme autonome et humain, comme conscience «souveraine«, un être humain quelconque, sans être soi-même posé dans son autonomie, d'accepter un sujet indéterminé en tant que personne ayant pouvoir et autorité sur soi et pouvant imposer sa volonté ?  • L'intitulé suggère, immédiatement, un certain nombre de questions : s'il faut reconnaître quelqu'un comme son maître, cela ne signifie-t-il pas que l'obéissance à un pouvoir représente une école de liberté et d'authenticité ? L'homme n'atteint-il son autonomie qu'après être passé par la servitude ? La dialectique maîtrise/ servitude n'est-elle pas constitutive des relations et de l'essence humaines ? etc.

« ce qu'il y a d'essentiel en l'homme.

Sinon, il le domine seulement comme une chose, et même pas comme un animal.C'est pourquoi l'esclave effronté, qui obéit en montrant ostensiblement qu'il ne le fait que sous la contrainte, estinsupportable au maître.

La maîtrise exige donc la reconnaissance : de physique, la domination devient idéologique.Toute tyrannie développe un discours par lequel elle entreprend de persuader l'esclave qu'il est juste qu'il en soitainsi.

C'est ainsi que Rousseau, dans le Contrat Social, montre la naissance du prétendu "droit du plus fort".

Toutesclavage se double d'un asservissement des esprits infiniment plus perfide.

Car alors l'esclave acquiesce à sapropre condition.

Il reconnaît le maître, parce qu'il est esclave de sa propre ignorance.Etre libre, c'est donc refuser toute reconnaissance d'un maître qui asservit, d'autant qu'il n'est pas permis derenoncer à sa liberté.

L'homme qui renie sa liberté renie ce qui fait de lui un être moral.

Il nie son humanité pour serabaisser au rang des choses qu'on utilise.

On ne peut faire de la liberté un bien que je peux céder: la liberté n'estpas quelque chose de moi, elle est moi-même.

Nul ne saurait donc reconnaître un maître à sa volonté.

Pourtant,comme Kant le montre lui-même dans Réponse à la question: qu'est-ce que les Lumières?, l'être humain n'est pasd'abord pleinement libre: il doit être éduqué afin de cultiver sa liberté et cette éducation suppose qu'il se soumetted'abord aux contraintes, aux règles qu'un maître lui impose.

Cette première reconnaissance n'est-elle pas alorsnécessaire à l'affranchissement, à la réalisation d'une liberté authentique? Il apparaît ainsi, à la lumière de ses analyses, que si tout homme doit penser par lui-même et exercer librement savolonté, car sans cela la liberté ne serait qu'apparente, il ne peut accéder à la liberté de pensée que grâce à uninitiateur qui le guide vers la vérité.

Dans le domaine de la pensée, il faut d'abord reconnaître un maître pour parvenirà la libre pensée : d'oppresseur, le maître devient libérateur avec l'apparition du rapport maître-disciple.Si penser n'est pas un pouvoir qui se délègue, c'est que tout le monde est capable de juger de la vérité et que lavérité n'existe que dans l'épreuve intérieure qu'on en fait.

Cela ne signifie pas que tout ce que je pense est vrai,mais que moi seul peut prendre conscience de mes erreurs.

Cela ne signifie pas non plus que je ne m'instruis pasauprès d'autrui, à l'école, dans les discussions, dans les livres… Quand, par exemple, j'écoute un maître demathématiques faire une démonstration, le comprendre n'est pas recevoir passivement ses paroles, mais c'estopérer pour soi le cheminement qu'il fait, en ressaisir la nécessité intérieure, la vérité.

On peut certes appeler"maître" celui qui instruit beaucoup.

Mais ce que j'apprends du maître, en vérité, je ne l'apprends que de moi.

Lemaître n'est ici que l'occasion qui provoque le savoir ; il n'en est pas la cause.

C'est pourquoi la fidélité à un maîtrespirituel ne saurait être l'asservissement à la doctrine de ce maître.

Socrate apparaît ici comme la figure parexcellence du maître.

En effet, Socrate est un maître, précisément parce qu'il n'enseigne pas.

Platon nous leprésente dans le Ménon sous les traits d'une sage-femme qui accouche les esprits à eux-mêmes ! Socrate estmaître car il se fait serviteur : il ne cherche qu'à rendre chacun à sa propre pensée.

Reconnaître quelqu'un commeson maître alors n'est plus s'asservir à sa volonté ou à sa pensée, mais c'est s'engager à sa suite dans le chemin quimène chacun vers la vérité.

Ainsi personne n'est dispensé de l'effort de penser par soi-même et le maître estreconnu alors en tant qu'il révèle le disciple à lui-même, qu'il l'aide à s'accomplir.Maître et disciple ont ainsi le même projet et se trouvent sur un terrain commun : celui de la recherche de la véritéet de la liberté.

Chacun est le témoin de l'autre et le maître ne doit ce titre qu'au fait qu'il guide le disciple dans lechemin de la vérité et de la liberté.

Platon exprime ce paradoxe dans le mythe de la réminiscence.

Tout homme,malgré son ignorance, est déjà, en un sens, dans la vérité, sans quoi il ne pourrait jamais l'atteindre ni même lachercher.

C'est qu'il l'a apprise dans une vie antérieure.

Tout savoir est donc un ressouvenir.

Cela n'est qu'un mythebien sûr, mais il exprime que le rapport maître-disciple existe d'abord à l'intérieur de moi.

Si je ne dois me soumettreà aucun maître extérieur, c'est parce que j'apprends en moi la vérité.

Le maître n'est en vérité pas seulementl'occasion du savoir.

Il est un guide qui nous précède.

Pensons à la manière dont certaines paroles de nos maîtres,d'abord entendues sans êtres comprises, ont ensuite cheminé en nous, jusqu'au jour où nous nous les sommesappropriées.

La réflexion eût-elle été seulement possible sans ce point de mire qu'a constitué le souvenir de cesparoles ? Certes, quand nous prêtons ainsi attention à celles des paroles de nos maîtres que nous ne comprenonspas, il n'y a pas là un acte de foi : nous ne le croyons pas sur parole, nous faisons seulement confiance à lafécondité de ses paroles parce que, en bien des occasions, nous en avons déjà fait l'expérience.

S'il n'y a pas desoumission au maître, il ne saurait pourtant y avoir de pensée sans lui et l'horizon qu'il nous ouvre.

Toute penséen'est-elle pas alors la méditation de ce que d'autres ont dit, l'interprétation d'un texte que d'autres ont écrit ?Le maître apparaît ainsi comme notre libérateur en tant qu'il nous permet de réaliser notre vocation d'être rationnelet autonome.

Si le maître doit être notre guide, c'est qu'un lien nous retient dans l'ignorance.

Ce n'est pasaccidentellement que nous sommes à la fois dans l'ignorance et dans le savoir.

Cette dualité est l'indice d'unasservissement intérieur.

Ainsi dans Réponse à la question: qu'est-ce que les Lumières?, Kant montre que levéritable éducateur, le majeur, est celui qui mène le mineur vers la majorité, une liberté authentique, qui l'aide à serelever quand il tombe: si l'être humain est d'abord un enfant, un maître est nécessaire pour qu'il accède à lal'autonomie en surmontant paresse et lâcheté et pour qu'il ne tombe pas sous l'autorité des tuteurs qui le maintienten état de servitude.

Le maître est nécessaire pour nous mener vers l'universel chaque fois que nos intérêtsparticuliers font obstacle à la réalisation de notre vocation d'êtres rationnels.

De même, dans le domaine politique,ce n'est pas la domination du maître qui est souhaitable en elle-même, mais la référence à une volonté généralepermettant l'édification d'une Cité libre.

Il faut, certes, parvenir à la libre création individuelle des valeurs, tout enobéissant dans certains cas, à la volonté du maître et en la reconnaissant, si du moins le maître incarne la Loiuniverselle et Volonté générale.

Ainsi Kant montre, dans l'Idée d'une histoire universelle du point de vuecosmopolitique (Sixième proposition), que l'homme est un animal qui, du moment où il vit parmi d'autres individus deson espèce, a besoin d'un maître.

Ce maître battra en brèche les volontés particulières et les forcera à obéir à unevolonté universellement valable, jusqu'à ce que les hommes obéissent aux lois universelles de leur raison etaccèdent ainsi à l'autonomie, la véritable liberté.

Reconnaître quelqu'un comme son maître est donc nécessaire. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles