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les femmes dans Ulysse

Publié le 27/02/2008

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Les figures féminines dans l’Odyssée V-XIII

introduction - Figures féminines multiples et très présentes dans ces chants, contrairement aux chants suivants ou à ceux qui précèdent (qui en gros proposent surtout Athéna, Pénélope et la nourrice). Pourquoi ? quel est leur rôle à cet endroit ? - D’autre part, culture grecque plutôt misogyne, qui exclut les femmes dans le gynécée. que signifie donc pour les grecs lecteurs de l’Odyssée cette omniprésence des femmes ?

I- Importance des figures féminines dans les chants V à XIII

A- Leur omniprésence Ulysse ne cesse de croiser ou d’être accompagné de femmes ou de déesses.

1- pas un chant qui ne mette en scène une figure féminine. Quand on sait le rôle qu’auront les femmes dans l’Antiquité grecque lectrice de l’Odyssée (l’absence de vie politique, le gynécée), on ne peut être qu’interpellé par leur nombre et leur fréquence dans le récit.

2- Il y a effectivement de nombreuses figures féminines : Athéna est quasiment présente dans chaque étape, que ce soit sous l'apparence d'un homme (par exemple le héraut au chant VIII), d'une femme-enfant dans le songe de Nausicaa (au chant VII), ou d'elle-même (au chant XIII), Circé occupe tout le chant X, le chant XI s'accomplit selon ses conseils et donc la perpétue, elle réapparaît physiquement au chant XII puis Ulysse met une fois de plus en pratique ses conseils, elle est donc présente de manière indirecte, Calypso ouvre et ferme le récit. Même le lieu des morts au chant XI est peuplé de figures féminines : la mère d’Ulysse, et les « grandes mères » de la mythologie. Même si ce passage est interpolé (=ajouté postérieurement) cela est significatif, car on aurait plutôt attendu une liste de héros qu’une liste de mères célèbres ! Pénélope est citée à de nombreuses reprises (V, 210, 216 ; XI, 181 ; XIII, 338, 379-381). Nausicaa irradie tout le chant VI de sa beauté sereine et revient encore au chant VIII pour un émouvant adieu à Ulysse (VIII,457)…

3- Elles sont également importantes par le temps qu'elles occupent dans cet exil, Ulysse reste sept ans chez Calypso, plus d'un an chez Circé, 3 jours chez Nausicaa et les siens, et le reste du temps se joue sur la mer, lieu de rencontres avec d'autres créatures féminines (Ino, Charybde et Scylla, les sirènes...).

B- Un féminin universel Les figures féminines de l’Odyssée sont de tous les mondes : monde humain, monde divin, monde monstrueux.

1-Monde humain : Nausicaa, Arétè, Pénélope, la mère d’Ulysse sont des mortelles. + mortelle transformée en déesse : Ino-Leucothée , métamorphosée en déesse des eaux suite à la colère d'Héra : « simple femme aux beaux pieds naguère, aujourd'hui Leucothée,/dans les flots de la mer jouissant des honneurs divins. ».

2- Monde divin : Déesse majeure : Athéna. Nymphes, déesses mineures : Calypso est une nymphe, Circé est le fruit d'Hélios et d'une Océanide (nymphe) et a des pouvoirs de magicienne.

3- Monstres : Les sirènes présentées par Circé et rencontrées par Ulysse sont des monstres féminins, mi-femmes (elles chantent et séduisent de leur belle voix et leur « chant clair ») mi-monstres qui se plaisent à faire pourrir les corps des hommes qu'elles ont attirés, elles « ensorcellent » et tuent : « on voit s'entasser près d'elles/les os des corps décomposés dont les chairs se réduisent. ». Déesses transformées en monstres : Charybde était la fille de Poséidon et de Gaïa. Elle était perpétuellement affamée. Lorsqu'elle dévora le bétail d'Héraclès Zeus la punit en l'envoyant au fond d'un détroit. Elle se mit à avaler la mer et les bateaux trois fois par jour jusqu'à faire apparaître le « sable sombre ». Scylla, était une nymphe dont Glaucos était follement amoureux. Celui-ci alla demander à la magicienne Circé un philtre d'amour, mais cette dernière, jalouse, la transforma en un monstre terrifiant, ayant douze moignons pour pieds et six têtes emmanchées de longs cous. La description qu'en fait Circé est d'ailleurs effrayante. Elle détaille avec précision et effets de dramatisation ce monstre : « sa voix semble la voix d'un petit chien qui vient de naître,/mais c'est un affreux monstre (...) Toutes ses pattes, elle en a douze, sont difformes./ Elle a six cous sans fin, et sur chacun une tête effrayante avec trois rangées de dents/nombreuses et serrées, pleine de noire mort. ». Elle insiste en répétant certains détails (trois mentions des six têtes). Toutes les monstruosités sont présentes à travers les figures féminines.

C- Des figures nécessaires à l’action : rôle dramatique

1-Femmes début et fin : Le début des aventures d’Ulysse est Calypso (et non pas les Cicones, débutchronologique) : symboliquement, c’est important. Elle le retient et l’encercle. D’ailleurs, l’auteur exprime cet enfermement en terminant le récit d’Ulysse par son arrivée chez elle. Le but d’ Ulysse = Pénélope (de même Voltaire dans la parodie qu’est Candide axera la quête de son personnage sur une femme : Cunégonde). (V,210 puis XI, 181, et XIII 338, 379) : Pénélope symbole de la permanence dans le temps de la « maison » (l’oikos = le domaine, les biens).

2- Femmes obstacles et aides : La plupart des épreuves, des obstacles sont incarnés par des femmes : les sirènes constituent un épisode en soi, Circé, de même Charybde et Scylla. Mais les adjuvants sont aussi des femmes = Athéna, Leucothée, Circé.

II- Des figures ambiguës.

A- Des figures au rôle double : opposants-adjuvants Ainsi, Circé après avoir tenté d’anéantir Ulysse et ses compagnons, aide Ulysse en lui disant de se méfier des sirènes -elle lui donne l'astuce de l'attache au mât (« mais que dans le navire ils te liens les pieds et les mains/debout sur l'emplature, en t'y attachant avec cordes... » (chant XII, v50-51)-, elle le prévient pour Charybde et Scylla, elle lui dit de se rendre chez Hadès et lui donne des conseils techniques très précis : « là creuse un trou d'une coudée carée; verse alentour la libation à tous les morts,/ d'abord le lait miellé, esuite le vin doux.... », le prévient pour les vaches du Soleil, ainsi elle l'aide finalement, concrètement, à retourner à Ithaque. Ce caractère tout à fait ambigu laisse planer quelque chose de mystérieux et d'insaisissable, c'est d'ailleurs ce qu'illustrent les très beaux vers de la fin du chant X, question ouverte sur la démarche silencieuse et mystérieuse de Circé : « Circé était venue auprès du noir navire/y lier un agneau et une brebis noire,/passant sans peine inaperçue : et qui pourrait surprendre,/s'il n'y consent, les démrches d'un dieu? ». De même Calypso obéit très vite à Hermès (l'ordre des dieux n'est pas déréglé) et va aider Ulysse à trouver les composants de son radeau: elle l'emmena « à la poite de l'île où de grands arbres avaient crpu, /des sapins hauts comme le ciel, des peupliers, des aunes, /qui, depuis longtemps morts et sec, flotteraient bien./ Quand elle eut désigné au héros le lieu de ces arbres,/la merveilleuse Calypso s'en retourna. » (v238-242, chant V) . De même, le personnage de Nausicaa est un adjuvant si l'on sen tient au fait qu'elle aide Ulysse à atteindre le palais d'Alcinoos, dernière étape avant Ithaque mais peut être un opposant par l'amour qu'elle ressent pour lui et le mariage qu'elle envisage. B- Une séduction dangereuse : le chant, la parole, la nourriture, le plaisir sexuel. 1- les sirènes : séduction particulièrement dangereuse, car beauté du chant, paroles enivrantes qui promettent la connaissance (au point que Circé propose à Ulysse un stratagème pour les écouter sans danger) Mais destruction atroce (cadavres en décomposition dans le pré, dévoration) 2-Calypso : la redoutable rusée. Si elle est particulièrement attirante, l'épithète homérique « la bouclée », ou « la nymphe aux belles boucles » scande d'ailleurs souvent sa beauté, si elle charme par sa « belle voix », si son île est elle-même une métaphore de ses charmes sensuels par ses parfums « l'odeur très loin/ du cèdre et du thuya sec se consumant/ Parfumait-ant- l'île », entre autres, beauté mise en valeur par une évocation poétique du « locus amoenus » , elle est cependant dangereuse car retient Ulysse et lui promet l'immortalité : « je lui promis/de le rendre immortel et qu'il ne vieillirait jamais... ». Sa dangerosité vient de ses faiblesses, elle est jalouse comme une femme, amoureuse, mais elle nie Ulysse dans son essence, le nie comme homme, comme mortel et le nie comme rattaché à un foyer. D'ailleurs si Ulysse partage sa couche, il est déjà en train de perdre sa place d'homme, monogame et attaché à son foyer. C'est en soi une perte. Les larmes d'Ulysse au chant V seul sur un promontoire en témoignent. Elle pourrait aussi lui être fatale. Ulysse le sait et s'en méfie, comme on le voit par leurs échanges au moment de son départ. Et par ses paroles à Arété : VII, 255-260 : « Calypso aux beaux cheveux, redoutable rusée ; m’accueillant elle sut me choyer, me nourrit, me promit de me rendre immortel et jeune pour toujours. Mais mon âme jamais ne se laissa persuader… » 3- Circé également séduit parce qu'elle chante « d'une voix claire », parce qu'elle tisse merveilleusement, parce qu'elle flatte les sens des compagnons : l'appétit, en leur servant au chant X « miel, vin... » mais elle cherche à les perdre en leur faisant « oublier la patrie ». Cette ambiguïté est telle qu'elle pourra à nouveau changer en obéissant à Ulysse, en accueillant un an ces hommes avec « force viande et vin doux », s'attendrira, mais une fois de plus pour mieux faire oublier l'origine. Elle est bien « Circé aux beaux cheveux, la redoutable à voix de femme. » Elle fait perdre à Ulysse son rang d'homme, sa famille et donc sa seule façon de se perpétuer, sa vie de mortel et la famille. Il risque de tout perdre. Son nom d'ailleurs révèle l'être caché qu'elle peut être, il signifie « faucon, épervier », un oiseau considéré comme malfaisant, cherchant à s'emparer des hommes.Ulysse là encore se méfiera de cet être double. Ainsi les figures féminines sont complexes, merveilleuses et redoutables : leurs charmes sont souvent bien des envoûtements dangereux qui, in fine, perdent les hommes. Cette duplicité met en évidence leur rôle complexe et la finesse des questionnements qui hantent l'Odyssée. III- Fonction profonde des figures féminines A- Elles renvoient au héros un reflet ( ou un prolongement) Athéna = reflet de la métis d’Ulysse, de sa ruse, de ses capacités de persuasion. Circé aussi est une figure du double, elle offre aux compagnons, par la métamorphose en porcs, une image de leur bassesse, eux qui seront prêts à ne pas respecter les dieux et à n'obéir, comme les animaux, qu'à leur ventre et leur appétit : elle leur renvoie l'image de ce qu'ils ne doivent pas être seulement, mais ce de quoi ils sont aussi faits. La mère d'Ulysse bien sûr qu'il « retrouve » au chant XI dans les Enfers est le miroir de la famille, Nausicaa est celui de son statut royal, cela correspond d'ailleurs au moment où il est pour sa part, physiquement, méconnaissable. Nausicaa apparaît donc comme un miroir de ce qu'il est profondément, un roi, le roi d'Ithaque. Ainsi, les figures féminines sont des êtres profondément ambigus et étranges, elles peuplent l'Odyssée comme autant de miroirs flous du héros dans sa quête. B- des figures du passage : l’ambiguïté de l’humain. 1- Tout d'abord elles sont le passage entre l'humanité et la divinité. Elles rappellent à l'homme qu'il n'est pas dieu, qu'il est séparé du monde des dieux, mais qu'il est soumis à l'ordre éternel des dieux. L'homme est en relation avec les dieux et cette relation est celle d'un devoir de dons, de rites. L'homme est parce qu'il sait sa place relative. C'est un être relié aux dieux. Ainsi il est intéressant que Homère ait choisi des figures féminines qui soient elles-mêmes des êtres mi-humaines, mi-déesses ou des femmes qui aient eu une relation avec les dieux. Par exemple si Circé est une déesse elle ressemble trait pour trait à une femme, on ne sait pas bien d'ailleurs ce qu'elle est « femme ou déesse » (v 255), de même Calypso, faible comme une femme dans sa jalousie (sa coquetterie la rapproche des humaines, et son plaidoyer est celui d'une femme dépitée, elle ira même jusqu'à dénigrer Pénélope pour séduire Ulysse en opposant sa beauté éternelle au vieillissement de Pénélope, ce que comprend très bien Ulysse : « (...) je sais que la très sage Pénélope/n'offre aux regards ni ta beauté ni ta stature : /elle est mortelle, tu ignores l'âge et la mort. », cependant il souhaite la retrouver. Calypso comme Circé se retrouvent seules avec leurs chants, êtres jouets aussi de leur double identité. Dans le chant XI, Ulysse rencontre des femmes qui ont eu une relation avec des dieux, par exemple la princesse Tyro, mêlée au fleuve-Dieu, Antiope « qui se flatte d'avoir dormi entre les bras de Zeus »...ces femmes apparaissent d'ailleurs en premier comme pour rappeler que ce temps de l'union des dieux et des hommes est désormais révolu, mais que dans cette nouvelle relation des hommes et des dieux, il reste quelque chose, un lien.

2- Elles rappellent la proximité dangereuse entre l’homme et l’animal L’homme est tenté régulièrement de devenir animal, d’obéir à la tyrannie de son ventre. Danger de l’appel du ventre : la grotte qui engloutit Ulysse pendant 7 ans, les compagnons métamorphosés en porcs et mangeant des glands. La femme : dangereuse par la séduction sexuelle qui fait de l’homme un animal ? Mystère de ce désir qui ramène l’homme à son animalité. Mystère primitif de la femme et de son ventre (la grotte ? le palais de Circé au milieu de la forêt de chêne ?) qui entoure l’homme et peut le rendre esclave de son désir.

3- Elles sont les gardiennes du Temps - Toutes les femmes tissent dans l'Odyssée, Pénélope bien sûr, Circé, Calypso, Arétè (elle offre d'ailleurs à Ulysse son ouvrage), elles sont ce qui relie les éléments, or ce tissu est une figure du temps, le cas de Pénélope le métaphorise très nettement. - De plus les rencontres de ces figures féminines sont comme autant d'étapes symboliques du temps, de la condition humaine. Calypso = la grotte, le ventre / Nausicaa = la sortie du ventre, la naissance dans la mer, et la jeunesse / Circé = l’épreuve du vieillissement ( ?) / Anticlée = la mort : une initiation à la condition humaine avant de retrouver la réalité. - Les femmes sont gardiennes du temps parce qu’elles sont mères pour toujours, mères à en mourir (Anticlée en meurt en effet). La maternité les inscrit dans le temps de la fidélité.

Conclusion : La femme créature ambiguë, fascinante et dangereuse par sa séduction, mère omnipuissante et englobante : c’est un topos de l’antiquité et cela explique bien des choses… Mais les figures féminines ont un rôle essentiel dans cette partie de l'Odyssée, car elles expriment la nature de la quête d’Ulysse jusqu’au chant XIII qui est une quête d’humanité. Elles sont les signes de l'accès à cette humanité pour Ulysse, et si elles apparaissent comme des obstacles c'est souvent pour en réalité permettre à Ulysse d'acquérir son humanité. Cette humanité est marquée par le rôle de la femme : C’est elle qui fait prendre à l’homme conscience de son origine, de ses besoins, de sa condition.

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