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Fénelon, Lettre à l'Académie

Publié le 14/09/2011

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Il faut avouer que Molière est un grand poète comique. […] Encore une fois, je le trouve grand : mais ne puis-je pas parler en toute liberté de ses défauts ?

 Pensant bien, il parle souvent mal ; il se sert des phrases les plus forcées et les moins naturelles. Térence dit en quatre mots, avec la plus élégante simplicité, ce que celui-ci ne dit qu’avec une multitude de métaphores qui approchent du galimatias. J’aime bien mieux sa prose que ses vers. Par exemple, l’Avare est moins mal écrit que les pièces qui sont en vers. Il est vrai que la versification française l’a gêné ; il est vrai même qu’il a mieux réussi pour les vers dans l’Amphitryon, où il a pris la liberté de faire des vers irréguliers. Mais, en général, il me paraît, jusque dans sa prose, ne parler point assez simplement pour exprimer toutes les passions.

D’ailleurs, il a outré souvent les caractères : il a voulu, par cette liberté, plaire au parterre, frapper les spectateurs les moins délicats, et rendre le ridicule plus sensible. Mais quoiqu’on doive marquer chaque passion dans son plus fort degré et par ses traits les plus vifs, pour en mieux montrer l’excès et la difformité, on n’a pas besoin de forcer la nature, et d’abandonner le vraisemblable. Ainsi, malgré l’exemple de Plaute, où nous lisons, Cedo tertiam, je soutiens, contre Molière, qu’un avare qui n’est point fou ne va jamais jusqu’à vouloir regarder dans la troisième main de l’homme qu’il soupçonne de l’avoir volé.

 

 

Un autre défaut de Molière, que beaucoup de gens d’esprit lui pardonnent, et que je n’ai garde de lui pardonner, est qu’il a donné un tour gracieux au vice, avec une austérité ridicule et odieuse à la vertu. Je comprends ses défenseurs ne manqueront pas de dire qu’il a traité avec honneur la vraie probité, qu’il n’a attaqué qu’une vertu chagrine et qu’une hypocrisie détestable.

 

Fénelon, Lettre à l’Académie, chapitre VII, 1714.

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