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Fenêtres ouvertes. Le matin. En dormant (Hugo)

Publié le 26/03/2011

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     J'entends des voix. Lueurs à travers ma paupière. Une cloche est en branle à l'église Saint-Pierre. Cris des baigneurs. Plus près! plus loin! non, par ici! Non, par là ! Les oiseaux gazouillent. Jeanne aussi. Georges rappelle. Chant des coqs. Une truelle Racle un toit. Des chevaux passent dans la ruelle. Grincement d'une faulx qui coupe le gazon. Chocs. Rumeurs. Des couvreurs marchent sur la maison. Bruits du port. Sifflement des machines chauffées. Musique militaire arrivant par bouffées. Brouhaha sur le quai. Voix françaises. Merci. Bonjour. Adieu. Sans doute il est tard, car voici Que vient tout près de moi chanter mon rouge-gorge. Vacarme de marteaux lointains dans une forge. L'eau clapote. On entend haleter un steamer. Une mouche entre. Souffle immense de la mer.

   18 juillet (2) Victor Hugo, l'Art d'être grand-père (I.A Guernesey, xi).    • Étudiez ce texte sous forme de commentaire composé, en vous interdisant l'explication ligne à ligne (sauf, éventuellement, pour certaines articulations, dans le cas où le texte vous semblerait appeler cette méthode).    Dans l'organisation de votre commentaire, vous gardez toute liberté d'éclairer tel ou tel élément d'intérêt que vous découvrirez dans ce poème. C'est donc à titre purement indicatif que nous vous proposons ici quelques suggestions :    Vous guidant sur le titre — et le sous-titre — et sans cesser de porter attention à toutes les ressources, rythmiques et sonores, du vers hugolien, vous pourrez par exemple faire valoir le choix, la variété, la subtile présentation de ces indications recueillies par l'oreille. Il serait intéressant, cependant, de rechercher et de faire apparaître la réalité précise, saisie dans l'instant qu'elles nous restituent, et, plus profondément, ce qu'elles nous suggèrent de la sensibilité, de l'émotion particulière, de toute la vie intérieure du poète.

1° Le poème est ici clairement replacé dans le temps et les lieux; n'omettez pas de tenir compte des précieuses indications que l'auteur lui-même nous donne et que précise le commentateur.    2° En insistant sur la nécessité d'un commentaire « composé «f le sujet vous propose — en se gardant bien d'imposer — toute une série de suggestions ; efforcez-vous d'en tenir compte.    3° Sans séparer le fond de la forme, il faudra ici donner une certaine importance au style (phrases nominales) et à la versification (originalité des rimes, dislocation totale de l'alexandrin) et mettre en lumière la grande modernité de ce poème, très en avance sur son époque.   

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« SUJET DÉVELOPPÉ Introduction Et devant l'inconnu, vaguement étoilé, Le soir tremblant ressemble à l'aube frissonnante. « L'aube frissonnante » : tel pourrait bien être le titre de ces seize vers que Victor Hugo écrivit dans cet étatindécis de passage du sommeil à la veille, et qui, dans l'Art d'être grand-père, est l'un des plus caractéristiques deson génie» Développement 1870 ou 1873 : Victor Hugo a autour de soixante-dix ans.

Il a beaucoup souffert et beaucoup travaillé.

La mort, lafolie Font atteint dans sa famille, dans ses enfants.

Il a acquis la fortune, une gloire immense, mais l'envie et làhaine ne l'épargnent pas.

En juillet 1870, il attend la suite d'événements qui dans quelques jours l'amèneront, enBelgique, à la frontière où il guettera l'heure qui mettra fin à un exil de dix-huit ans.

En juillet 1873, il reviendra pourla dernière fois, avec ses petits-enfants, à Hauteville-House qui fut son refuge et l'un des lieux où il entendait «dans le jardin les petits enfants rire ». C'est alors qu'il jette sur le papier ce court poème auquel û n'apportera qu'une seule correction, assez révélatriced'ailleurs.

En effet, la version primitive des deuxième et troisième vers était la suivante : A la pourchaine mess.

A bêtôt, vésin Pierre. Cris des baigneurs.

Quelqu'un parle à son chien: ici ! Mais le caractère d'improvisation de cette page ne doit pas nous voiler la virtuosité des rythmes variés etexpressifs, ni l'originalité et la hardiesse des rimes presque toutes suffisantes ou riches, « truelles » et « ruelles »étant les plus remarquables à ce sujet.

C'est une de ces pages comme en révèle l'étude des manuscrits dé Hugo,celles où, sans Vergogne et.

sans crainte, une main enfantine a tracé un.

dessin.

Et le grand-père en sourit : Un rond couvre une page.

Est-ce un dôme ? Est-ce un œuf ? Une belette en sort qui peut-être est un bœuf. Et, s'éveillant, le poète transcrit ce qu'il voit à peine, « lueurs à travers ma paupière », et surtout ce qu'il entendconfusément : une cloche, le gazouillement des oiseaux auquel se mêle celui de ses petits-enfants, comme les crisdes baigneurs ou des voyageurs s'unissent à tous les bruits qui traduisent l'activité humaine et cet humble labeur dechaque jour que le poète célèbre si souvent. On chercherait en vain dans cette page un plan, une construction rigoureuse.

La plume note — et même souvent enphrases nominales ou d'un seul mot — ce que l'oreille perçoit à peine : le raclement de la truelle succédé au chantdes coqs ; aux pas des couvreurs « sur la maison » répondent les bruits du port. Et dans ce désordre à la fois spontané et calculé, involontaire et très évocateur, il y a l'indication de toute unephilosophie : (...) un beau désordre est un effet de l'art. Boileau a souvent raison, et Hugo le sait.

Mais par ce parti pris de tout confondre, le poète fait bien plus que detranscrire les fugitives et inconscientes notations du « dormeur éveillé » ; il illustre ce qui est un de ses dogmes :l'union, la fusion de tout ce qui respire et palpite ; le travailleur répond à l'oisif ; chaque corps de métier s'accoupleà un autre, et dans cet immense hymne au travail et à la fraternité, on sent une profonde joie de vivre.

Celaprocède peut-être d'un optimisme béat dont certains se gaussent à propos de Hugo.

Il n'empêche que la journéeainsi commencée sera belle et heureuse : n'a-t-elle pas été annoncée au poète encore endormi par le chant de «son » rouge-gorge, celui qui vient chaque matin chanter tout près de lui? Or, dans cette musique universelle à laquelle l'auteur des Chansons des rues et des bois est sensible, il n'y a pasplace pour la moindre dissonance choquante. Pourtant, que de mots suggèrent des bruits qui pourraient écorcher l'oreille : « raclement », « grincement », «chocs, rumeurs », « bruits », « sifflement », « vacarme ».

Mais, de même que ce vacarme de marteaux est atténuépar l'éloignement, tout ce qu'il pourrait y avoir de discordant, et même de choquant pour un homme à peine éveilléest adouci et comme harmonisé par la joie de vivre, l'amour de la nature et de l'humain, par tous les sentimentsaltruistes et généreux qui font encore vibrer le cœur du vieux poète. Ce n'est plus pour lui l'époque des grandes amours et des luttes passionnées ou féroces.

Il vit des heures immobilesfaites de quiétude et de demi-silence, des heures ralenties, suspendues à quelque contemplation, des heures sageset flâneuses faites de lentes promenades, ou comme ici, d'un réveil qui prend tout son temps, des heures. »

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