Devoir de Philosophie

Folie et raison

Publié le 27/08/2011

Extrait du document

folie

 

a) N'y a il point de la hardiesse à la philosophie d'estimer des hommes qu'ils produisent leurs plus grands effects et plus approchans de la divinité, quand ils sont hors d'eux et furieux et insensez ? Nous nous amendons par la privation de nostre raison et son assoupissement. Les deux voies naturelles pour entrer au cabinet des Dieux et y preveoir le cours des destinées sont la fureur et le sommeil. Cecy est plaisant à considérer : par la dislocation que les passions apportent à nostre raison, nous devenons vertueux ; par son extirpation que la fureur ou l'image de la mort apporte, nous devenons prophetes et. divins. Jamais plus volontiers je ne l'en creus. C'est un pur enthousiasme que la saincte verne a inspiré en l'esprit philosophique, qui luy arrache, contre sa proposition, que l'estat tranquille de nostre ame, l'estat rassis, l'estat plus sain que la philosophie luy puisse acquerir, n'est pas son meilleur estat. Nostre veillée est plus endormie que le dormir ; nostre sagesse, moins sage que la folie ; noz songes vallent mieux que noz discours ; la pire place que nous puissions prendre, c'est en nous. Mais pense elle (1) pas que nous ayons l'advisement de remarquer que la voix qui faict l'esprit, quand il est despris de l'homme, si clair-voyant, si grand, si parfaict et, pendant qu'il est en l'homme, si terrestre, ignorant et tenebreux, c'est une voix partant de l'esprit qui est partie de l'homme terrestre, ignorant et tenebreux, et à cette cause voix infiable et incroyable ? MONTAIGNE - II. 12.

e Liaison interdisciplinaire - Shakespeare. « Le Roi Lear «. 1608.

b) Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l'image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l'instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l'oeuvre de l'existence. C'est un souterrain vague qui s'éclaire peu à peu, et où se dégagent de l'ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres : — le monde des Esprits s'ouvre pour nous.

Swedenborg appelait ces visions Memorabilia ; il les devait à la rêverie plus souvent qu'au sommeil ; l'Ane d'or d'Apulée, la Divine Comédie de Dante, sont les modèles poétiques de ces études de l'âme humaine. Je vais essayer, à leur exemple, de transcrire les impressions d'une longue maladie qui s'est passée tout entière dans les mytères de mon esprit ; — et je ne sais pourquoi je me sers de ce terme maladie, car jamais, quant à ce qui est de moi-même, je ne me suis senti mieux portant. Parfois, je croyais ma force et men activité doublées ; il me semblait tout savoir, tout comprendre ; l'imagination m'apportait des délices infinies. En recouvrant ce que les hommes appellent la raison, faudra-t-il regretter de les avoir perdues ?

G. de NERVAL. — Aurelia (1853). Ed. La Pléiade, p. 360.

c) Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant ! — Car il arrive à l'inconnu !

RIMBAUD - Lettre à Paul Démeny - Le 15 mai 1871 (extraits).

d) Tout se passe comme si chez l'homme deux plans de pensée se trouvaient superposés : une suprastructure ou néo-intellect, de formation artificielle et tardive, comportant les catégories logiques et chronologiques, et une infrastructure ou paléointellect représentant le jeu naturel et primitif des fonctions mentales, tel qu'il se révèle chez l'être privé de raison. La mémoire sociale est l'oeuvre de la raison, comme celle-ci est l'oeuvre de la société. La maladie la détruit et alors apparaît une nouvelle mémoire que l'on a pu Interpréter comme une création morbide à cause de l'apparente richesse de son jaillissement d'images, mais ce n'est qu'une illusion. La maladie ne crée rien, elle détruit et elle libère. Dans la partie qu'elle a engagée avec l'homme, elle ne donne que ce qu'il apporte. La folie est contenue dans l'homme, elle est ce qui reste quand l'humanité s'est retirée. Chez un homme seul, elle est chez elle. Une adaptation incessante à un univers hostile avait péniblement abouti à fabriquer ces merveilleux instruments que sont les catégories rationnelles, grâce auxquels tout se passe comme s'il y avait une connaissance objective du monde et une communauté spirituelle. L'oeuvre sociale est anéantie. Avec la ruine de la mémoire sociale se trouve détruit tout l'appareil des connaissances et des savoirs, toute l'épargne accumulée par le labeur monstrueux des générations. Un homme vit, mais en lui l'humanité est morte. En lui s'est brisée cette chaîne ininterrompue que l'on a pu considérer comme un même homme et qui apprend toujours. Ainsi la suite des hommes pourrait-elle être considérée dans son ensemble et dans sa marche comme s'efforçant par une lutte ininterrompue contre l'univers et contre l'individu à se forger une raison, et la raison tout entière ne serait que l'ensemble des forces qui s'opposent à la folle.

Pr DELAY : les maladies de la mémoire. Ed. P.U.F.

Liens utiles