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La Fontaine disait « Il faut plaire pour instruire ». Dans quelles mesures cette affirmation peut-elle s'appliquer aux écrits des Lumières ?

Publié le 18/09/2010

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fontaine

 

Introduction 

Le XVIIè siècle est le siècle qui voit se développer le classicisme, courant littéraire, nommé à posteriori, qui se développe en France. Il se définit par un ensemble de valeurs et de principes qui dessinent un idéal s’incarnant dans l’ « honnête homme « et il développe une esthétique fondée sur une recherche de la perfection. L’un de ses représentants, Jean de La Fontaine (1621-1695),  est célèbre pour ses recueils de Fables (1668 et 1678), principale œuvre poétique de cette période et l’un des plus grand chefs-d’œuvre de la littérature française. Les écrivains classiques puisent leur inspiration dans l’Antiquité et obéissent à deux règles d’or : « Plaire et instruire «. La Fontaine affirme dans la Préface de son premier recueil au sujet de la fonction de la fable : « Il faut plaire pour instruire «.

Dès lors plusieurs questions se posent : Faut-il plaire pour instruire ? Cette fonction de la littérature peut-elle concernée d’autres écrits de périodes historiques différentes ? Dans quelles mesures pourrait-elle s’appliquer aux écrits des philosophes des Lumières ?

C’est ce que nous allons voir en nous intéressant d’abord à la signification de cette maxime au XVIIè s ; puis nous nous verrons dans quelles mesures « faut-il plaire pour instruire « au XVIIIè s et enfin nous envisagerons les limites de cette affirmation.

 

Développement

 

I. Que signifie « Il faut plaire pour instruire « au XVIIè siècle ?

 

1) Origines 

« Plaire et Instruire « sont un précepte énoncé par le poète latin Horace dans Art poétique pour définir la fonction de la poésie = littérature dans l’Antiquité : « Il obtient tous les suffrages celui qui unit l’utile à l’agréable, et plaît et instruit en même temps. « Pour les auteurs classiques, le but essentiel de l’art est de « plaire et d’instruire « dans le sens où l’art doit provoquer la réflexion par le biais d’une forte réaction émotionnelle (rires, pleurs, terreurs…) sinon, l’art reste superficiel et inutile.

 

2) Dans le genre poétique :

Depuis l’Antiquité, les fables sont des apologues c’est-à-dire de courts récits écrits en vers qui visent à donner aux lecteurs une leçon. La Fontaine s’inspire d’œuvres antiques (textes en prose d’Esope, fabuliste grec du VIè s av JC) pour écrire ses Fables en vers et plus au goût de ses contemporains. Pour critiquer les défauts des hommes et de sa société, sans craindre la censure, il a personnifié des animaux comme par exemple « Le Loup et l’Agneau « ou des éléments de la nature tels que « le Chêne et le Roseau «. La morale est souvent exprimée soit au début, soit à la fin du poème, mais elle est aussi parfois implicite. Grâce aux procédés stylistiques tels que la versification ou la personnification, l’auteur parvient à divertir ses lecteurs pour mieux faire passer sa moralité (= « l’âme « de la fable ≠ « le corps « ). La Fontaine voulait faire retrouver leur esprit d’enfant à ses lecteurs, que demander de plus plaisant pour instruire ?

 

3) Dans le genre théâtral : 

Les règles du théâtre classique : à partir de 1630 plusieurs règle s’imposent aux dramaturges car elles renforcent l’illusion théâtrale : elles aident le spectateur à faire comme s’il assistait en direct à l’action jouée sur scène. Elles apportent le charme qui séduit, le sublime qui bouleverse. Il s’agit de la règle des trois unités (unité de lieu, d’action et de temps), le souci de la vraisemblance  et le respect de la bienséance (ne pas choquer le spectateur par des scènes de brutalités, des vulgarités…) Molière, Corneille, Racine mettent en pratique ces règle sdans leurs œuvres. Mais Molière est celui qui eut le plus de mal à brider son inspiration dans ces règles théâtrales. Influencé par le public spontané de la comédie, dont le rire reste le meilleur garant d’efficacité, il eut à cœur de subordonner les règles au plaisir, fidèle en cela au précepte d’Horace. La comédie de Molière a une visée esthétique « plaire « : « Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire… « (Molière, Critique de l’Ecole des femmes). Mais son but est aussi moral et didactique : la comédie « corrige les mœurs par le rire «. En représentant une humanité ridicule et pitoyable, elle démasque les imperfections des hommes et les incite à se corriger. Ainsi L’Avare (1668) de Molière dénonce un défaut très présent chez les bourgeois de l’époque nouvellement enrichis et incite les spectateurs à se corriger par le rire.

 

II. Dans quelles mesures cette maxime peut-elle s’appliquer aux écrits des Lumières ?

 

1) Le roman épistolaire 

Ex : Les Lettres Persanes de Montesquieu : les romans par lettres plaisaient beaucoup au 18ès car c’était un genre à la mode et compréhensible par tous. De plus ils permettaient de favoriser une intimité entre l’auteur et le lecteur. Le recours à la fiction orientale permet de plaire au lecteur, de piquer son intérêt. C’est une méthode plaisante et efficace pour faire réfléchir le lecteur sur les aspects critiquables de la société du 18è s : le mode de vie des Parisiens, le pouvoir royal et du pape qui sont jugés excessifs, tel qu’on peut le lire dans la « lettre XXIV «.

 

2) Le dialogue philosophique 

Ex : Supplément au voyage de Bougainville de Diderot : faire parler le chef tahitien permet de donner du réalisme au discours avec Bougainville, et de faire voyager les lecteurs du 18è siècle dans des pays qu’ils ne connaissent pas. L’argumentation de Diderot en faveur du bon sauvage est plus agréable à lire sous la forme d’un dialogue rapporté au discours direct, et aussi plus compréhensible grâce à la répartition claire des thèses défendues.

 

3) Le conte philosophique 

Ex : Candide de Voltaire est un conte philosophique, genre inventé au 18è s et qui présente des caractéristiques narratives et argumentatives. L’aspect narratif de ce genre apparaît à travers les ingrédients du conte traditionnel (personnages typés, intrigue amoureuse, découverte de lieux inconnus, le schéma narratif concentré…). On trouve en même temps une dimension argumentative avec une critique sociale et politique dans le chapitre XIX concernant la dénonciation de l’esclavage et ses conséquences, ou encore une critique religieuse avec le chapitre  VI sur l’autodafé. La visée d’un conte philosophique est bien de plaire pour instruire, de défendre une cause à travers une histoire fictive. Ainsi, Candide réfute la philosophie optimiste de Leibnitz et affirme la moralité du conte au chapitre XXX : « Il faut cultiver notre jardin «, métaphore qui signifie qu’il faut s’appliquer à faire évoluer la société et à la rendre meilleure plutôt que de parcourir le monde à la recherche de richesses éphémères. Mais le conte participe aussi à convaincre et persuader à travers une mise en scène satirique comme on peut le voir au chapitre III avec la dénonciation de la guerre comme un acte barbare et injuste à travers les aventures du héros Candide.

L’apologue est donc la forme appropriée et plaisante choisie par Voltaire pour faire passer les principes de liberté, d’égalité et de fraternité avant l’heure.

 

4) Le recours aux procédés pour convaincre et persuader quand « il faut plaire pour instruire «.

Pour convaincre, le texte argumentatif fait appel à la raison du destinataire. La défense de la thèse s’appuie sur la force et la diversité des arguments et des exemples. Les idées s’enchaînent de manière logique. Cette force logique conduit le lecteur à adhérer au point de vue défendu par l’auteur. 

Pour persuader, le texte argumentatif fait appel aux sentiments. Il met en œuvre des procédés et des techniques qui provoquent l’émotion : implication par les pronoms, utilisation des termes affectifs ou évaluatifs, usage de l’exclamation, de l’apostrophe et de la fausse question. L’auteur ajoute à la logique des idées une dimension affective qui entraîne l’adhésion. 

Ex : Traité sur la tolérance de Voltaire (l’affaire Calas)

 

5) L’ironie

L’ironie est une forme d’expression dans laquelle on se moque de qn, d’un adversaire ou d’une idée. Elle consiste essentiellement en un écart entre ce qui est dit et ce qui est pensé. Elle est une arme très efficace dans l’argumentation car elle permet de mettre les rieurs de son côté. C’est l’arme favorite des philosophes du 18è s comme Voltaire ou Montesquieu. Dans Candide, les effets produits vont de la simple antiphrase (les héros abares et bulgares qui détruisent les villages) à de subtils jeux de sens (“Il avait le jugement assez droit, avec l’esprit le plus simple”). Il se crée une distanciation, dans laquelle est contenu l’essentiel du message que Voltaire veut faire passer et qui convie le lecteur à rire avec l’auteur.

 

III. Dans quelles mesures cette maxime appliquée aux écrits des Lumières présente-t-elle des limites ?

 

 1) Le principal objectif des écrits des Lumières : mettre le savoir à la portée de tous pour lutter contre l’obscurantisme. Les idées priment toujours sur les effets de style. La recherche du plaisir n’est pas l’essentiel. 

Ex : L’Encyclopédie, le Dictionnaire philosophique et l’article « fanatisme «.

 

2) Le deuxième objectif : dénoncer les injustices sans forcément plaire             la forme a surtout été choisie pour déjouer la censure, mais cela n’a pas toujours été suffisant.

Ex : Tel La Fontaine qui se moque de ses contemporains au XVIIè s,  Voltaire dans ses contes et Montesquieu dans ses Lettres se livrent à une satire du pouvoir en place (Louis XV). La forme ne permet pas toujours d’atténuer la portée critique des idées puisque Voltaire se réfugie en Suisse pour échapper à la censure, Montesquieu publie Les Lettres persanes de façon anonyme. Beaumarchais l’évoque dans  Le Mariage de Figaro (V,3) quand il fait dire à Figaro « et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans… « ou encore « J’écris sur la valeur de l’argent et sur son produit net : sitôt je vois du fond d’un fiacre baisser pour moi le pont d’un château fort, à l’entrée duquel je laissai l’espérance et la liberté. «

NB : l’Encyclopédie a été une 1ère fois interdite après la publication du 1er volume.

 

 3) L’emploi de l’ironie peut détourner le lecteur de la visée 1ère de l’écrit si cette ironie n’est pas comprise.  Le lecteur prendra alors le texte au 1er degré, faisant ainsi un contresens et confondant l’ironiste avec ceux qu’il attaque.  Ex : le portrait satirique du roi dans les Lettres persanes ou les allusions ironiques de Beaumarchais dans le monologue de Figaro.

 

Conclusion

Finalement, on a pu voir que l’affirmation « il faut plaire pour instruire « peut s’appliquer autant au XVIIè qu’au XVIIIè s. Cette maxime a mis en évidence que les écrivains des Lumières ont su faire passer leurs idées dans différents domaines grâce à des genres plaisants comme le roman épistolaire, le conte philosophique, ou le dialogue argumentatif ou encore à des procédés tels que l’ironie. Cependant, on a vu aussi que cette maxime appliquée aux Lumières pouvait présenter des limites. En effet, dans leur volonté de diffuser leurs idées à toute l’humanité pour faire évoluer la société de leur temps, les philosophes n’ont pas toujours privilégié la forme et les conséquences ont été souvent malheureuses (censure, prison…)

 

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