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LA FORTUNE ET LE HASARD - ARISTOTE

Publié le 06/02/2011

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Aristote montre très finement que ces notions traduisent un faux semblant de finalité. Apparence d'intention humaine (c'est la « fortune «) lorsqu'un créancier rencontre son débiteur sans le chercher, comme s'il l'avait cherché. Apparence de finalité naturelle (c'est le « hasard«) lorsqu'un trépied jeté en l'air retombe fortuitement sur ses pieds (comme si c'était un phénomène finalisé). Bergson suivra de très près Aristote lorsqu'il écrira dans Les deux sources : « Le hasard c'est le déterminisme qui se comporte comme s'il avait une intention «.    Quand un caractère accidentel se présente dans les faits qui sont produits en vue d'une fin, alors on parle d'effets de fortune et de hasard. Nous aurons à .discerner plus loin la différence de ces deux choses ; pour le moment, contentons-nous de cette vérité évidente qu'elles appartiennent aux choses auxquelles s'applique la détermination téléologique ; par exemple, un homme aurait pu, s'il avait su, venir en tel lieu pour toucher de l'argent, alors que son débiteur y reçoit le montant d'une quête ; il y est venu, mais non pour cela ; mais il lui est arrivé par accident, étant venu là, d'être venu là pour toucher de l'argent ; et cela, non parce qu'il fréquente cet endroit la plupart du temps ou nécessairement ; et la fin, à savoir le recouvrement de la dette, n'est pas du nombre des causes finales immanentes, mais relève du choix et de la pensée ; alors, dans ces conditions, on dit qu'il est allé là par effet de fortune. Au contraire, s'il y est allé par choix et en vue de cette fin, soit qu'il y fréquente constamment, soit qu'il y recouvre son argent la plupart du temps, ce n'est pas effet de fortune.    On voit donc que la fortune est une cause par accident, survenant dans les choses qui, étant en vue de quelque fin, relèvent en outre du choix.    D'autre part on parle de bonne fortune, quand un bien arrive, de mauvaise fortune, quand c'est un mal ; de fortune heureuse ou d'infortune quand ce bien ou ce mal sont considérables ; par suite quand il s'en faut de peu qu'on ait éprouvé un grand mal ou un grand bien, on parle encore de fortune heureuse, ou d'infortune ; parce que la pensée les considère comme existant, le peu-s'en-faut passant pour un écart nul. En outre, l'heureuse fortune est, dit-on, chose peu sûre, et avec raison ; car la fortune n'est pas sûre ; car aucun effet de la fortune ne peut être ni toujours, ni fréquemment.    En résumé, comme nous l'avons dit, la fortune et le hasard sont des causes par accident, pour des choses susceptibles de ne se produire ni absolument, ni fréquemment, et en outre susceptibles d'être produites en vue d'une fin.    Différence entre le hasard et la fortune.    Mais ils diffèrent en ce que le hasard a plus d'extension ; en effet tout effet de fortune est de hasard, mais tout fait de hasard n'est pas de fortune. En effet, il y a fortune et effets de fortune, pour tout ce à quoi peut s'attribuer l'heureuse fortune et en général l'activité pratique. Aussi est-ce nécessairement dans les objets de l'activité pratique qu'il y a de la fortune. Une preuve en est qu'on regarde comme identique au bonheur, ou presque, la bonne fortune ; or, le bonheur est une certaine activité pratique, puisque c'est une activité pratique réussie. Par suite, les êtres qui ne peuvent agir pratiquement ne peuvent, non plus, produire aucun effet de fortune. D'où résulte qu'aucun être inanimé, aucune bête, aucun enfant n'est l'agent d'effets de fortune, parce qu'il n'a pas la faculté de choisir ; ils ne sont pas non plus susceptibles d'heureuse fortune ni d'infortune, si ce n'est par métaphore ; ainsi Protarque disait que les pierres dont on fait les autels jouissaient d'une heureuse fortune parce qu'on les honore, tandis que leurs compagnes sont foulées au pied. En revanche ces choses elles-mêmes peuvent, en quelque façon, pâtir par effet de fortune quand celui qui exerce sur elles son activité pratique agit par effet de fortune ; autrement, ce n'est pas possible.    Quant au hasard, il appartient aux animaux et à beaucoup d'êtres inanimés ; ainsi on dit que la venue du cheval est un hasard, quand par cette venue il a trouvé le salut, sans que le salut ait été en vue. Autre exemple : la chute du trépied est un hasard, si après sa chute il est debout pour servir de siège, sans qu'il soit tombé pour servir de siège.    Par suite, on le voit, dans le domaine des choses qui ont lieu absolument en vue de quelque fin, quand des choses ont lieu sans avoir en vue le résultat et en ayant leur cause finale hors de lui, alors nous parlons d'effets de hasard ; et d'effets de fortune, pour tous ceux des effets de hasard qui, appartenant au genre des choses susceptibles d'être choisies, atteignent les êtres capables de choix.

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