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FREUD: La psychanalyse face à la tradition philosophique et psychologique

Publié le 02/02/2011

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Et voici, chose étrange, que tous ou presque tous s'accordent à trouver à tout ce qui est psychique un caractère commun, un caractère qui traduit son essence même. C'est le caractère unique, indescriptible et qui n'a d'ailleurs pas besoin d'être décrit, de la conscience. Tout ce qui est conscient est psychique et, inversement, tout ce qui est psychique est conscient. Comment nier une pareille évidence ! Toutefois reconnaissons que cette manière de voir n'a guère éclairé l'essence du psychisme car l'investigation scientifique, ici, se trouve devant un mur. Elle ne découvre aucune voie qui puisse la mener au-delà. (...) Comment méconnaître, en effet, que les phénomènes psychiques dépendent à un haut degré des phénomènes somatiques et que, inversement, ils agissent aussi très fortement sur eux? Si jamais l'esprit humain se trouva dans une impasse, ce fut bien à cette occasion. Pour trouver un détour, les philosophes furent contraints d'admettre au moins l'existence de processus organiques parallèles aux processus psychiques et dépendant de ceux-ci d'une façon difficilement explicable. (...) La psychanalyse sortit de ces difficultés en niant énergiquement l'assimilation du psychique au conscient. Non, la conscience ne constitue pas l'essence du psychisme, elle n'en est qu'une qualité, et une qualité inconstante, bien plus souvent absente que présente. (...) Mais il nous reste encore à réfuter une objection : malgré les faits dont nous venons de parler, certains prétendent qu'il ne convient pas de renoncer à l'idée de l'identité entre psychique et conscient, car les processus psychiques dits inconscients ne seraient que des processus organiques parallèles aux processus psychiques. De ce fait, le problème que nous voulons résoudre ne porterait plus que sur une vaine question de définition. (...) Est-ce seulement par l'effet du hasard que l'on n'est parvenu à donner du psychisme une théorie d'ensemble cohérente qu'après en avoir modifié la définition ? Gardons-nous d'ailleurs de croire que c'est la psychanalyse qui a innové cette théorie du psychisme. (...) Le concept de l'inconscient frappait depuis longtemps aux portes de la psychologie, et la philosophie comme la littérature flirtaient avec lui, mais la science ne savait comment l'utiliser. La psychanalyse a fait sienne cette idée, l'a sérieusement considérée et l'a emplie d'un nouveau contenu. Les recherches psychanalytiques ont retrouvé certains caractères jusque-là insoupçonnés du psychisme inconscient et découvert quelques-unes des lois qui le régissent. Nous ne voulons pas dire par là que la qualité de conscience ait perdu de sa valeur à nos yeux. Elle reste la seule lumière qui brille pour nous et nous guide dans les ténèbres de la vie psychique. Par suite de la nature particulière de notre connaissance, notre tâche scientifique dans le domaine de la psychologie consistera à traduire les processus inconscients en processus conscients pour combler ainsi les lacunes de notre perception consciente.

Abrégé de psychanalyse (1938). Traduction A. Berman, Paris, PUF, 4e éd., 1964, p. 19-20 note.

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« de la psychologie scientifique appelleront la psychologie « classique »).

En affichant sa méfiance vis-à-vis de laphysiologie et en proclamant la séparation de la conscience et du corps voués, dans l'investigation, à des disciplinesfondamentalement distinctes, l'école éclectique (Jouffroy, Cousin, Royer-Collard) prétend que nous sommesconstamment informés de ce qui se passe en nous, qu'il s'agisse de nos pensées ou de nos sensations, et que, quoique fasse notre intellect ou qu'éprouve notre sensibilité, nous en avons immédiatement conscience.

Cetterestauration de l'intériorité, de la conscience comme fait primitif et fondateur de vérité repose sans doute aux yeuxde Freud sur un sophisme qui consiste à confondre immédiateté et connaissance, évidence et transparence.

C'estce sophisme qui doit être démonté et détruit par la psychanalyse.b) Mais la critique ne s'épuise pas dans cette dénonciation.

Il existe aussi une psychologie à vocation scientifique,celle-là même qui s'est constituée en réaction contre les apôtres de l'introspection et qui, forte des récentesconquêtes de la physiologie, s'est heurtée elle aussi au mur de la conscience omniprésente; sa manière decontourner l'impasse a consisté dans la mise en place du principe du parallélisme psycho-physiologique qui stipuleque rien ne se trouve dans notre conscience qui ne soit associé à un processus physiologique simple (comme dansle cas de l'acte réflexe) ou complexe (comme dans le cas de la mémoire, par exemple).

On ne parle plus en termesde substances (âme-corps) agissant l'une sur l'autre, mais en termes de phénomènes qui se trouvent en connexionconstante.

La solution envisagée par les psychologues demeure, aux yeux de Freud, peu satisfaisante, dans lamesure où elle n'évacue nullement l'assimilation du psychique au conscient qui reste, comme telle, l'une des deuxfaces du phénomène à étudier. 3.

Le second paragraphe constitue la troisième étape de la réfutation freudienne.

Une variante du parallélismepsycho-physiologique stipule que les processus psychiques que d'aucuns voudraient inconscients sont purement etsimplement confondus avec les processus organiques parallèles; l'inconscient, lorsqu'on en parle, est ainsi réduit ausomatique.

Il faut, pour émettre l'objection, admettre que les faits organiques sont premiers et que certainsphénomènes vitaux puissent n'être pas accompagnés de conscience.

Or, Freud insiste sur le fait qu'il s'agit là d'unesimple question de définition qui, au lieu d'éclairer le débat, finit par noyer le poisson : en réduisant l'inconscient auseul somatique, on renforce du même coup la thèse de l'identité du psychique et du conscient.Ce qui demeure, c'est évidemment l'impossibilité de penser une quelconque interaction « âme-corps », puisque leprincipe du parallélisme annonce qu'il y a concomitance et non action réciproque entre les phénomènes psychiqueset les phénomènes organiques.

Mais l'« extrémisme » de certains psychologues ne saurait remettre en cause lesophisme qui préside à la représentation coutumière, philosophique et psychologique de l'appareil psychique.Le coup de théâtre analytique va justement consister à détruire le sophisme en promouvant l'inconscient commestructure psychique, objet spécifique de la psychologie : l'inconscient sera le psychique lui-même et son essentielleréalité.

Dès lors que les manifestations conscientielles se révèlent lacunaires (comme en témoignent le rêve, l'oubli,etc.), la définition de la vie psychique doit subir une révision complète et radicale.

Seule la définition du psychiquepar le concept d'inconscient permet l'élaboration d'une théorie d'ensemble cohérente qui n'est pas simplement l'effetdu hasard. 4.

Le troisième paragraphe précise en quoi la psychanalyse rompt avec la tradition psychologique.

En reprenant àson compte l'idée abstraite d'inconscient, et dans sa volonté de prendre l'idée au sérieux, Freud lui a conféré unnouveau contenu, transformant par là même l'idée en concept.

C'est dire que le point de rupture porte moins surl'émergence de la notion d'inconscient, qui trouve à se nourrir elle aussi d'une certaine tradition littéraire etphilosophique (on peut évoquer la tragédie grecque, les Romantiques allemands, mais également Schopenhauer etNietzsche, sans parler du sentiment populaire qui a toujours estimé que les rêves ont un sens), que sur le statut duconcept d'inconscient dont mille indices fournis par la vie quotidienne (rêve, actes manqués, lapsus, mots d'esprit,etc.) réclament justification.

Au mur et à l'impasse qui invitent le psychologue à un détour, s'oppose ainsi la portepar laquelle peut s'engouffrer la psychanalyse pourvu, si l'on veut filer la métaphore, qu'elle construise la bonneroute (la méthode) et qu'elle se munisse d'une architecture théorique capable de rendre compte de l'expériencevécue par chaque individu.

Prendre au sérieux (contre la psychologie officielle) l'idée d'inconscient et lui conférer unnouveau contenu, c'est tout un.

Pour ne prendre qu'un exemple, il arrive à Freud, pour définir ce nouveau contenu,de parler de « représentations inconscientes » : l'expression même, en se démarquant fortement de la notiontraditionnelle (philosophique) de représentation comme simple contenu d'un acte de pensée, suggère résolument (etnon sans quelque provocation) la dissociation recherchée du psychique et du conscient.

Les caractèresinsoupçonnés du psychisme inconscient renvoient entre autres aux mécanismes du refoulement et de la sublimation.Les lois spécifiques qui régissent ces mécanismes relèvent de ce que Freud appelle les « processus primaires »(condensation, déplacement, surdétermination).La psychanalyse construit donc le concept de son objet : l'inconscient et ses lois propres.

Mais la conscience n'estpas pour autant éliminée du champ scientifique : qualité inconstante, et non plus essence même de la viepsychique, elle demeure néanmoins la lumière qui peut nous guider dans les ténèbres.

Tel Champollion devant leshiéroglyphes, l'analyste doit assumer, de manière conjecturale, la « traduction » des processus inconscients enprocessus conscients; et l'énoncé de cette traduction n'est possible que par le truchement de la logique discursives'essayant à renouer les fils solides mais épars de la logique aberrante, encore que cohérente, mise en oeuvre parles processus primaires.

Le concept de conscience, déchu de son hégémonie psychologique, retrouve sa place ausein d'une topique (le système inconscient-préconscient-conscient) qui lui restitue sa dignité en même temps qu'ellelui assigne ses limites.

La destruction de la thèse de l'identité du psychique et du conscient ne signifie nullementl'annulation pure et simple de la conscience elle-même.

Tout au contraire, en mettant en évidence le sens de larévolution psychanalytique, Freud entend montrer deux choses :— comment il se déprend de la tradition philosophique et de la psychologie de son temps, tout en s'inscrivant dans. »

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