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Furet, le Passé d'une illusion (extrait)

Publié le 13/04/2013

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Avec le Passé d’une illusion (1995), énorme succès de librairie, l’historien François Furet revient sur la question du communisme et de sa dimension totalitaire. Mais il se penche aussi sur lui-même ; d’où cette introduction teintée d’ego-histoire, convoquant son parcours d’homme de gauche, d’ex-militant du Parti communiste français (PCF) passé par toutes les phases de la désillusion vis-à-vis du modèle communiste, avant de tenter d’en être l’historien.

Le Passé d’une illusion de François Furet (préface)

 

[…] l’expérience soviétique constitue l’une des grandes réactions antilibérales et antidémocratiques de l’histoire européenne au xxe siècle, l’autre étant bien sûr celle du fascisme, sous ses différentes formes. Elle révèle ainsi un de ses traits distinctifs : d’avoir été inséparable d’une illusion fondamentale, dont son cours a longtemps paru valider la teneur avant de la dissoudre. Je ne veux pas dire simplement par là que ses acteurs ou ses partisans n’ont pas su l’histoire qu’ils faisaient, et qu’ils ont atteint d’autres objectifs que ceux qu’ils s’étaient assignés — ce qui est le cas général. J’entends plutôt que le communisme a eu l’ambition d’être conforme au développement nécessaire de la Raison historique, et que l’instauration de la « dictature du prolétariat « a été revêtue par là d’un caractère scientifique : illusion d’une autre nature que celle qui peut naître d’un calcul de fins et de moyens, et même d’une simple croyance en la justesse d’une cause, puisqu’elle offre à l’homme perdu dans l’histoire, en plus du sens de sa vie, les bienfaits de la certitude. Elle n’a pas été quelque chose comme une erreur de jugement, qu’on peut, à l’aide de l’expérience, repérer, mesurer, corriger ; mais plutôt un investissement psychologique comparable à celui d’une foi religieuse, bien que l’objet en fût historique. L’illusion n’« accompagne « pas l’histoire communiste. Elle en est constitutive : à la fois indépendante de son cours, en tant que préalable à l’expérience, et soumise pourtant à ses aléas, puisque la vérité de la prophétie tient dans son déroulement. Elle a son socle dans l’imagination politique de l’homme moderne, et pourtant elle est sujette au réaménagement constant que les circonstances lui imposent, comme condition de sa survie. Elle fait de l’histoire son aliment quotidien, de façon à intégrer sans cesse tout l’advenu à l’intérieur de la croyance. Ainsi s’explique qu’elle n’ait pu disparaître que par la disparition de ce dont elle nourrissait sa substance : croyance au salut par l’histoire, elle ne pouvait céder qu’à un démenti radical de l’histoire, qui ôtât sa raison d’être au travail de ravaudage inscrit dans sa nature. […] J’ai avec le sujet que je traite une relation biographique. « Le passé d’une illusion « : je n’ai pour le retrouver qu’à me retourner vers ces années de ma jeunesse où j’ai été communiste, entre 1949 et 1956. La question que j’essaie de comprendre aujourd’hui est donc inséparable de mon existence. J’ai vécu de l’intérieur l’illusion dont j’essaie de remonter le chemin à une des époques où elle était la plus répandue. Dois-je le regretter au moment où j’en écris l’histoire ? Je ne le crois pas. À quarante ans de distance, je juge mon aveuglement d’alors sans indulgence mais sans acrimonie. Sans indulgence, parce que l’excuse qu’on tire souvent des intentions ne rachète pas à mes yeux l’ignorance et la présomption. Sans acrimonie, parce que cet engagement malheureux m’a instruit. J’en suis sorti avec un début de questionnaire sur la passion révolutionnaire, et vacciné contre l’investissement pseudo-religieux dans l’action politique. […]

 

 

Source : Furet (François), le Passé d'une illusion. Essai sur l'idée communiste au xxe siècle, Paris, Robert Laffont / Calmann-Lévy, 1995.

 

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