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La grande peur de l'an 2000 - J.-C. Sournia

Publié le 23/04/2011

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La mode est au pessimisme, à l'apocalypse, seuls les devins tristes sont honorés. Les moralistes, autrefois si écoutés, proclament la dégradation des mœurs, l'affaiblissement de la famille, l'irrévérence des jeunes pour leurs aînés. On connaît cette antienne (1) depuis des millénaires, les moralistes n'ont jamais dit autre chose, et pourtant les mœurs existent toujours, les aînés dirigent toujours les jeunes, et les amoureux voulant fonder une famille continuent à s'unir par les liens sacrés du mariage. Les sociologues énumèrent les méfaits de la ville; demain, nous aurons les « urbaniatres «, qui, comme les « sociatres « actuels, affronteront d'autant plus les tâches qu'ils se les fabriqueront. Et pourtant nos rues sont plus propres et nos habitations sont moins surpeuplées qu'autrefois, et on se porte mieux en ville qu'à la campagne. Le citadin s'y protège mieux contre les intempéries, il s'y fatigue moins, l'eau qu'il boit à son robinet est médicalement plus saine que celle de la plupart des puits. Les médecins nous disent à quel point notre santé physique est menacée, puisque, à les entendre, nous mangeons mal, nous respirons mal, nous travaillons mal. Et pourtant de nombreuses maladies ont été vaincues, l'homme est plus vigoureux que jamais, sa vie s'allonge... (1) L'antienne est, dans les cérémonies catholiques, un verset qu'on chante et qu'on reprend ensuite : ici, le mot est employé au figuré.  

sans cesse, son alimentation fait F objet de perfectionnements et de tels contrôles qu'une boîte de conserves de haricots verts est plus saine que bien des légumes ayant séjourné sur les marchés. Toutes nos activités sont « psychiatrisées « : la vie en société, les gestes de la vie quotidienne, la conduite de nos voitures. Tout est angoisse : à l'aide d'un double sens, nous sommes tous « aliénés «, nous allons à la dépression généralisée. Grâce à ces beaux parleurs (« charlatan « vient d'un vieux mot italien qui signifie « parler «), nous nous approchons de l'an 2000 au milieu des mêmes fables et des mêmes terreurs que nos ancêtres d'il y a dix siècles, sans plus de rationnel qu'eux. Nous sommes en plein millé-narisme (1). Gomment nier que la vie de l'homme s'améliore, comment nier qu'il a presque toujours su s'adapter aux conditions que la nature ou lui-même lui imposaient? Il est exact que les progrès techniques dus à son ingéniosité sont encore réservés à une minorité d'humains et que, même dans nos pays, des tâches défavorisées subsistent ; mais de meilleures conditions gagnent chaque année un nouveau pays, une nouvelle couche sociale. Il est exact que chaque amélioration technique a ses inconvénients et qu'aucune des pollutions que l'on décrit n'est un leurre; elles ne doivent pas être minimisées, elles sont des dangers certains, évitables pour la plupart. Le ciel de nos villes peut redevenir clair, l'expérience de Londres le prouve. Nos rivières devenues cloaques peuvent redevenir limpides, la Suède le prouve. Nos rues et nos campagnes peuvent être nettoyées. Le perfectionnement de nos automobiles ayant fait du permis de conduire un permis de port d'arme, nous avons les moyens de lutter contre l'idiote mortalité liée à la circulation routière. L'évolution de nos techniques est inévitable, elle est liée à l'insatisfaction de l'homme, à ses désirs, à ses ardeurs. Personne ne peut arrêter cette marche. A lui de veiller à ce que les avantages en surpassent les conséquences fâcheuses. Mais le rôle des moralistes, des penseurs, des médecins, de ceux qui détiennent le pouvoir et la parole est d'aider l'homme à vivre, alors que sa condition est absurde : poussière, il retourne à la poussière après quelques décennies d'agitation sur cette terre. Leur fonction sociale est d'aider l'homme à vivre et non d'entretenir l'angoisse et le désespoir. Continuons à travailler à l'amélioration de la vie, soyons plus vigilants sur les effets de nos nouvelles techniques, mais ne participons pas à la panique collective de l'an 2000. J.-C. Sournia, article paru dans « le Monde « du 12 mai 1972. • Vous résumerez ce texte en en respectant le mouvement ou vous l'analyserez en distinguant les thèmes majeurs. Puis, vous choisirez une phrase ou vous dégagerez un thème, dont vous préciserez les données. Vous en discuterez le contenu après avoir justifié les raisons de votre choix. (1) Le millénarisme est la doctrine (ou la croyance) suivant laquelle te Messie (Jésus-Christ) devait régner mille ans sur la terre, période après laquelle survenait la fin du monde, suivie du jugement dernier.

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