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Grenier, La vie quotidienne

Publié le 27/04/2011

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Le silence peut être relatif aux autres. Celui des inférieurs signifie le respect ; et le supérieur n'hésite pas à le réclamer avant toute autre marque de considération. Leporello qui disait volontiers mille choses désagréables à son maître s'arrête subitement lorsque Don Juan le rappelle à l'ordre. Il chantait : « Non voglio più servir ! « et puis l'apparition du seigneur lui ferme la bouche.    Les rapports d'égalité peuvent avoir également le silence pour manifestation. Mais c'est à la condition expresse qu'ils soient fondés sur des affinités. Sinon, rien n'est plus terrible que la promenade faite avec quelqu'un qui n'a pas de sympathie physique avec vous. Il reste muet, ou bien c'est vous. Le silence amical suppose une complicité, qui va de l'approbation à la sympathie et à l'amour.    Il existe encore un silence, c'est celui du supérieur par rapport à l'inférieur. Ce silence peut être fait de froideur, de dédain ou de condescendance. C'est celui du héros de Stendhal, du Dieu de Vigny. C'est celui des chefs. La plus grande qualité de celui qui commande, disait Napoléon, c'est la froideur. En tout cas, c'est l'absence de familiarité. La présence de celle-ci n'en est que plus goûtée lorsque l'occasion se présente au chef d'être populaire. Encore faut-il qu'il sache bien doser le mélange du silence et de la parole et choisir les moments opportuns. Plus actuel et plus passionnant pour les esprits est le problème moral et social du silence.    Le silence est alors considéré non dans sa vertu mais dans son insuffisance. Il prend la forme d'une abstention par docilité à une puissance inférieure qui est celle de la crainte. Il devient donc un acte — et un acte mauvais.    Une loi récente a sanctionné la non-assistance à une personne en danger. La société a pris ainsi en charge ce qui était du ressort de la morale, la législation a pris le relais de la religion, une fois de plus. Le bon Samaritain n'est pas récompensé pour autant, parce qu'il n'a fait que son devoir. Mais les deux passants précédents qui ont laissé l'homme blessé sans le secourir sont punis. Comme tant d'autres fois une codification a succédé à une admonition, la justice a pris la place de la charité jugée défaillante. Se taire, c'est coopérer avec le mal.    Cette conception s'est élargie et étendue jusqu'à entraîner la requête de sanctions vis-à-vis de ceux qui ont assisté passivement à des actes criminels de toute sorte. La neutralité est condamnée. Elle est encore excusée dans le cas des nations qui, comme la Suisse, ont fait de cette neutralité un dogme pour préserver leur existence dans un monde bouleversé. Mais elle est devenue inadmissible pour une autorité morale. Ainsi le pape Pie XII aurait-il dû prendre parti en termes explicites pendant la dernière guerre où tant de crimes atroces contre l'humanité ont été commis. Les partisans du pape se trouvent contraints de prendre une position défensive, ce qui prouve que, même s'ils ont raison, ils en sont réduits à plaider.    Sartre a tiré les conséquences ultimes de cet état de fait de la conscience collective : il condamne de manière absolue toute abstention (en ce qui concerne les affaires publiques) de l'homme privé et à plus forte raison de l'homme qui écrit ou qui parle en public. (...) Il faut protester publiquement.    il a toujours existé un silence réprobateur, il y a toujours eu un silence approbateur. Le premier semble avoir disparu au profit du second.    Je crois que la cause en est dans les progrès de l'idéal démocratique qui transforment chaque homme en citoyen, chaque citoyen en électeur, chaque électeur en juge. Sieyès avait déjà proposé dans sa Constitution une distinction entre citoyens actifs et citoyens passifs. Cette distinction a beau n'avoir pas été rendue légale, elle est devenue de plus en plus importante. Le citoyen passif a été chargé d'une mauvaise conscience. Puisque le peuple est souverain et qu'il fait partie du peuple, il ne doit pas laisser tranquille un crime sans le condamner; et une condamnation tacite ne suffit pas, il faut une condamnation expresse et publique. De là les manifestes qui paraissent, couverts de signatures, à chaque grand acte public jugé criminel, celui qui n'y ajoute pas sa signature est censé rester insensible à cet acte, si même il ne passe pas pour y être favorable.    Cette situation est si insupportable que beaucoup aiment mieux prendre parti aveuglément. Certes, il y a des crimes contre l'humanité qui demandent à être dénoncés, mais il arrive que pour des forfaits plus cachés ou plus lointains l'ignorance persiste. Le silence n'est pas à reprocher à celui qui ne sait pas.    Par malheur il arrive que l'on vous demande de rompre le silence toujours en faveur du même parti. Le résultat en est que, dans une guerre civile, par exemple, où les pertes sont partagées et les atrocités équivalentes, vous êtes sommé de ne voir qu'un côté des choses.    Sans vouloir revenir au silence dédaigneux et hautain des Stoïciens qui opposaient à la tyrannie un visage impassible, il est dommage que l'homme aujourd'hui en soit réduit à des positions extrêmes, passe son temps à crier et à protester ou courbe la tête sous la terreur.    Grenier, La vie quotidienne.    Selon votre préférence, résumez le texte en suivant le fil du développement ou faites-en une analyse qui, distinguant et ordonnant les thèmes, s'attache à rendre compte de leurs rapports.    Choisissez ensuite un problème qui ait dans ce texte une réelle consistance et auquel vous attachez un intérêt particulier; vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.   

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