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HENRY BECQUE (1837-1901). TEISSIER, MARIE (Les Corbeaux, Acte II, sc. IV, Stock, édit.)

Publié le 01/07/2011

Extrait du document

Henry Becque est le premier qui ait donné au théâtre une pièce entièrement réaliste, c'est-à-dire triste et sombre, mais saisissante de vérité : les Corbeaux (1882). D'abord assez mal accueillie, cette comédie s'est peu à peu imposée, et elle est restée au répertoire du Théâtre-Français. Sous le nom de corbeaux, Becque désigne les hommes d'affaires qui se précipitent sur une succession difficile, et qui abusent de l'inexpérience d'une veuve et de ses enfants pour consommer leur ruine. Teissier était l'associé de Vigneron; celui-ci vient de mourir; Teissier manœuvre, avec un notaire et un architecte, pour tirer parti de la situation. Dans la scène que nous citons, nous le voyons discutant avec Marie, seconde fille de Mme Vigneron, et cédant peu à peu à son charme discret. Il finira par la demander en mariage.

TEISSIER, MARIE

MARIE. — Ne partez pas, monsieur, avant d'avoir fait la paix avec ma mère. Elle a tant pleuré, ma pauvre mère, tant pleuré, qu'elle n'a plus toujours la tête à elle. TEISSIER, revenant. — Il était temps que vous m'arrêtiez, mademoiselle. J'allais de ce pas assigner Mme Vigneron au Tribunal de commerce en remboursement des avances que je lui ai faites. Je me suis gêné moi-même pour ne pas laisser votre mère dans l'embarras. (Il tire une seconde fois son portefeuille et y prend un nouveau papier.) Vous aurez l'obligeance de lui remettre ce petit compte qu'elle vérifiera facilement. Au 7 janvier, avancé à Mme Vigneron 4.000 francs qui ont dû servir aux obsèques de votre père; au 15 janvier, avancé à Mme Vigneron 5.000 francs pour les dépenses de sa maison, c'est à ce titre qu'ils m'ont été demandés; au 15 également, écoutez cela, remboursé une lettre de change signée : Gaston Vigneron, ordre : Lefébure, montant : 10.000 francs. Votre frère étant mineur, son engagement ne valait rien. Mais Mme Vigneron n'aurait pas voulu frustrer un bailleur de fonds que ce jeune homme a trompé nécessairement sur son âge et sur ses ressources personnelles. (Il plie le papier et le lui remet.) Je suis votre serviteur. MARIE. — Restez, monsieur, je vous prie de rester. Ce n'est pas ce compte qui a bouleversé ma mère au point de s'emporter avec vous. Elle vous eût remercié plutôt, tout en blâmant son fils, comme il le mérite, d'avoir fait honneur à sa signature. TEISSIER, surpris, avec un sourire. — Vous savez donc ce que c'est qu'une signature? MARIE. — Mon père me l'a appris. TEISSIER. — Il aurait mieux fait de l'apprendre à votre frère. MARIE. — Asseyez-vous, monsieur; je suis peut-être bien jeune pour parler d'affaires avec vous. TEISSIER, debout, souriant toujours. — Allez, causez, je vous écoute. MARIE. — Je m'attendais bien, pour ma part, à un grand changement dans notre position, mais qu'elle fût perdue entièrement, je ne le pensais pas. Dans tous les cas, monsieur, vous ne nous conseilleriez ni une faiblesse, ni un coup de tête. Que devons-vous faire alors? Examiner où nous en sommes, demander des avis et ne prendre aucune résolution avant de connaître le pour et le contre de notre situation. TEISSIER. — Ah ! laissons de côté vos immeubles qui ne me regardent pas. Que faites-vous, en attendant, de la fabrique? MARIE. — Qu'arriverait-il, monsieur, si nous voulions la garder et vous la vendre? TEISSIER. — Elle serait vendue. Le cas a été prévu par la loi. MARIE. — Il y a une loi? TEISSIER, souriant toujours. ■— Oui, mademoiselle, il y a une loi. Il y a l'article 815 du Code civil qui nous autorise l'un comme l'autre à sortir d'une association rompue en fait par la mort de votre père. Je peux vous mettre à même de vous en assurer tout de suite. (Tirant un volume de sa poche.) Vous voyez quel est cet ouvrage : « Recueil des lois et règlements en vigueur sur tout le territoire français. « Je ne sors jamais sans porter un code sur moi, c'est une habitude que je vous engage à prendre. (Il lui passe le volume à une page indiquée, pendant qu'elle prend connaissance de l'article, il la regarde avec un mélange d'intérêt, de plaisir et de moquerie.) Avez-vous compris? MARIE. — Parfaitement.

(Les Corbeaux, Acte II, sc. IV, Stock, édit.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Une scène d'une pièce de théâtre intitulée : Les Corbeaux; Exposez brièvement la situation au moment où Marie intervient auprès de Teissier; Quel intérêt peut avoir la jeune fille à essayer de faire la paix avec l'ancien associé de son père ? D'après cette scène, que pressentez-vous de l'état de fortune de la veuve et de ses enfants ? Comment apparaît Teissier dans cette scène ? Son attitude justifie-t- elle le titre Les Corbeaux que l'auteur a donné à sa pièce (à développer) ; N'y a-t-il pas un contraste frappant entre le langage de Marie et celui de l'homme d'affaires?

II. —«L'analyse de la scène. — La situation ne vous semble-t-elle pas très tendue au début de cette scène, et l'intervention de Marie n'était- elle pas nécessaire ? (Mme Vigneron s'est emportée à la suite d'une discussion d'affaires et a congédié brutalement Teissier); Quelle faute a commise Gaston Vigneron ? De quelles qualités fait preuve Marie dans ce dialogue? (esprit de conciliation, droiture, sentiment de l'honneur, simplicité, sens pratique, intelligence); Teissier ne se laisse-t-il pas prendre au charme de la jeune fille? Par quels mots du texte se marque cette attitude ? Marie finira par accepter d'épouser Teissier. Ne pensez- vous pas que le principal mobile de la jeune fille, en consentant à ce mariage, sera de sauver sa mère et ses sœurs de la misère ? Appréciez la conduite de Marie.

III. — Le style; — les expressions. — Indiquez les qualités caractéristiques du style dans cette scène (simplicité, parfaite convenance du langage de chacun à son caractère, brièveté); Donnez le sens des expressions suivantes : elle n'a plus toujours la tête à elle; assigner au Tribunal de commerce..., rembourser une lettre de change, faire honneur à sa signature; Qu'est-ce qu'un bailleur de fonds? des avances?

IV. — Grammaire. — i° Donnez des synonymes de : obsèques; Quel est le mot simple contenu dans remboursé? Citez quelques mots de la même famille ; Nature des propositions contenues dans le 1er paragraphe du morceau; leur fonction, s'il y a lieu.

Rédaction. — Dans un pauvre ménage d'ouvriers, le père vient de mourir, laissant dans la misère une femme et les enfants. L'aînée des filles, âgée de seize ou de dix-sept ans, emploie toute son intelligence et son énergie à venir en aide à sa mère et à ses frères et sœurs plus jeunes.

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