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histoire, histoire de l'

Publié le 13/04/2013

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histoire

1   PRÉSENTATION

histoire, histoire de l', étude et connaissance des événements passés de l’humanité, d’un peuple, d’une personne ou d’une société.

Jusqu’à ce que l’histoire devienne une discipline au XIXe siècle, elle n’est que le récit des événements dignes de mémoire.

2   QU’EST-CE QUE LA SCIENCE HISTORIQUE ?

En 1873, le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle proposait sa propre définition de l’histoire : « L’histoire, comme fait, est le développement de l’esprit humain tel qu’il se manifeste dans ses relations sociales et ses rapports avec l’État. Comme science, elle est l’intelligence de ce développement. Comme art, elle en est la reproduction ou la représentation par la parole. « Il est vrai que de tous les domaines d’étude scientifique, l’histoire est peut-être celui qui est le plus difficile à définir. D’une part, elle touche à de nombreuses sciences (notamment à la science pure, mais également à la philosophie, la sociologie, l’archéologie, l’épigraphie, la paléographie, etc.) ; d’autre part, elle peut devenir un enjeu politique, dans la mesure où elle est simultanément temporalité et devenir. Dans ce contexte, le métier d’historien est le résultat d’une lente maturation de l’appréhension de l’histoire comme discipline des sciences sociales.

2.1   Les sources de l’histoire

Sauf dans les cas exceptionnels où les historiens rédigent le récit d’événements dont ils ont été eux-mêmes témoins (l’histoire originale, qui est aujourd’hui du domaine du journalisme), les faits historiques ne sont connus que par des sources intermédiaires (l’histoire réfléchissante). Celles-ci peuvent être des témoins vivants, des récits, des mémoires, des lettres et des fictions, des documents juridiques et financiers des instances gouvernementales ou administratives, des institutions religieuses ou des entreprises, des informations livrées par les vestiges concrets de civilisations disparues, l’art et l’artisanat, des tombes et des terroirs agricoles, des paysages… pour reprendre une expression de Lucien Febvre : « avec tout ce qui, étant à l’homme, exprime l’homme, signifie la présence, l’activité, les goûts et les façons d’être de l’homme «.

Toutes ces sources d’information fournissent un témoignage qui permet à l’historien de déchiffrer le passé. Ce témoignage peut être partiel ou erroné, fragmentaire ou inexact. C’est pourquoi les historiens se doivent de le considérer de manière critique : l’histoire réfléchissante devient alors histoire critique.

2.2   L’interprétation historique

L’objectif de l’histoire comme tentative scientifique de comprendre la vie des hommes va au-delà du simple examen des témoignages. La mise en évidence de faits n’est que la base de la sélection, de la compilation et de l’explication qui constituent l’interprétation de l’historien. Ce processus d’interprétation donne des informations sur tous les aspects de l’investigation, à commencer par la sélection d’un sujet de recherche, car le choix d’un événement particulier, d’une société ou d’une institution spécifique est déjà lui-même un acte de jugement affirmant son importance. Le sujet choisi suggère à son tour un modèle ou une hypothèse provisoire qui guide les recherches, permet à l’historien d’affirmer, de classer les témoignages existants et de présenter un exposé détaillé et cohérent. L’historien doit respecter les faits, éviter (dans la mesure du possible) les erreurs, dues entre autres à l’ignorance, et fournir une interprétation convaincante et intellectuellement satisfaisante.

2.3   L’historien, éternel réviseur de l’histoire

En ce sens, l’historien, en tant que scientifique, présente des résultats toujours partiels. Totalement dépendant de ses sources (souvent lacunaires), il ne peut qu’émettre des propositions de vérité, ce pour quoi il se doit à une impartialité maximale. De surcroît, la mise au jour de nouvelles données — ou une interprétation novatrice d’un panel de documents antérieurement connus — amène l’historien à la révision de l’histoire au fur et à mesure du développement de ses recherches. En ce sens, l’historien pratique le révisionnisme historique, démarche scientifique qu’il ne faut pas confondre avec l’usage dévoyé de ce terme lorsqu’il est assimilé au négationnisme.

3   L’ANTIQUITÉ : NAISSANCE DE LA DISCIPLINE

Dans le monde occidental, l’historiographie s’est formée dans la Grèce antique, dont les normes et les thèmes choisis par les historiens ont dominé l’histoire pendant des siècles.

3.1   Le monde grec

À l’origine de l’histoire dans le monde grec, des logographes — inspirés par la Muse de l’Histoire, Clio — retranscrivent les récits issus de la tradition orale et de la poésie épique. Ces premiers textes — notamment Généalogies d’Hécatée de Milet, rédigées à l’orée du Ve siècle av. J.-C. — marquent une première évolution vers la naissance de l’histoire : les origines du monde ne sont plus exclusivement issues des croyances religieuses comme le traduisait Hésiode dans sa Théogonie (une généalogie des dieux).

3.1.1   Hérodote et Thucydide, les pères de l’histoire

Au milieu du Ve siècle av. J.-C., le Grec Hérodote se pose en « enquêteur « pour rédiger ses Histoires. Son objectif est novateur : comme il le précise dès sa préface, il veut éviter que tombent dans l’oubli les événements constituant la mémoire des hommes. Hérodote s’efforce d’expliquer le cours des événements et les décisions des chefs par les usages de leur peuple, c’est-à-dire par la culture à laquelle ils appartiennent. Il s’intéresse aussi à ce qui distingue les croyances et les pratiques des Perses de celles des Grecs.

Peu après, son compatriote Thucydide écrit l’Histoire de la guerre du Péloponnèse, une étude sur le long conflit qui a opposé Athènes et Sparte de 431 à 404 av. J.-C., pour finalement ruiner les deux cités. Pour Thucydide, l’histoire commence avec le doute : aucun document ne doit être accepté pour lui-même, il faut établir les faits et les insérer dans une chaîne de causalité.

C’est avec ces deux hommes, considérés comme les « pères fondateurs de l’histoire «, que la connaissance historique s’est mise en place. L’un, Hérodote, part à la découverte de l’altérité (le monde non grec), permettant de poser l’identité du monde grec dont il est issu ; l’autre, Thucydide, pose les bases de l’histoire critique. Ils incarnent deux sensibilités et même deux conceptions différentes de l’analyse historique mais qui se rejoignent sur un point essentiel : le refus du merveilleux épique, de la mythologie et de l’épopée. Méthode et écriture se trouvent ainsi définies. Leurs contemporains, reconnaissant le talent exceptionnel de ces deux historiens, ont donné à leur œuvre une importance qui a influencé leurs successeurs.

3.1.2   Les successeurs, de Xénophon à Polybe

Comme Hérodote et Thucydide, leurs successeurs préfèrent s’intéresser aux événements récents, privilégier les témoignages visuels et oraux aux dépens des témoignages écrits ; comme eux enfin, ils pensent que les activités humaines les plus dignes d’intérêt concernent l’État et la vie politique. Aucune spécialisation n’est alors censée préparer au métier d’historien, dont le profil est celui de tout individu cultivé : une bonne connaissance de la littérature et de la rhétorique, l’art de l’éloquence et de la persuasion par les mots. L’histoire n’est pas une discipline en elle-même, mais fait partie des institutions reconnues dans la cité.

Au IVe siècle av. J.-C., Xénophon et Théopompe de Chios appliquent à la période hellénistique les principes de leurs « pères « (leurs ouvrages portent tous deux le nom d’Helléniques). Deux siècles plus tard, Polybe explique, dans la continuité de Thucydide, l’histoire de Rome, sa vie politique et ses succès militaires. Implacable et logique, il privilégie les documents écrits et préfigure la philosophie de l’histoire et la sociologie politique, dans le livre VI de son Histoire universelle, en établissant une classification des systèmes politiques, qui doit beaucoup à Aristote. Au Ier siècle apr. J.-C., Denys d’Halicarnasse et Diodore de Sicile rédigent respectivement Antiquités romaines et Bibliothèque historique, deux ouvrages qui retracent l’histoire de la civilisation romaine.

3.2   Le monde romain

Le prestige du grec — considéré comme la langue des arts et de l’enseignement — est alors tel que les premiers historiens romains rédigent leurs œuvres dans cette langue.

3.2.1   L’éloquence au service de l’histoire

Au iie siècle av. J.-C., Caton l’Ancien est le premier à écrire l’histoire romaine en latin avec son ouvrage Origines ; son exemple fait bientôt école. Cependant, son œuvre dénote plus une démarche d’annaliste que d’historien, dans le sens grec du terme. Et à sa suite, les auteurs romains qui entreprennent une réflexion historique partent tous du postulat de l’exaltation de la grandeur romaine. L’histoire à Rome est l’apanage des orateurs, maîtres dans l’art de l’éloquence. Au ier siècle av. J.-C., Cicéron, bien qu’il ne soit pas historien, définit les règles stylistiques et éthiques de l’histoire appliquée aux événements de la vie publique.

À la même époque, Salluste adjoint à cette méthode stylistique la réflexion de Thucydide. Il développe alors un brillant style latin qui combine la réflexion éthique et la perspicacité psychologique (la Conjuration de Catilina, la Guerre de Jugurtha, Histoires). Son analyse politique, fondée sur les mobiles personnels de l’action, influence largement et longtemps les historiens.

3.2.2   Les biographies impériales officielles

Cependant, fondamentalement, l’historiographie romaine diffère de son homologue grecque, notamment sur son rapport au pouvoir ; en effet à Rome, notamment au cours de la période impériale, un historien peut encourir l’exil, voire la mort. Cette politique engendre alors l’apparition d’une histoire « officielle « : sous les règnes d’Auguste et de Tibère, Tite-Live écrit une histoire institutionnelle de Rome depuis ses origines (Histoire romaine) ; contemporains des premiers Antonins, Tacite (Histoires) et Suétone (Vie des douze Césars) écrivent pour leur part une histoire essentiellement psychologique des empereurs qui prend souvent la forme d’un réquisitoire. L’histoire des Juifs est replacée dans le contexte du monde hellénistique et romain par Flavius Josèphe, aristocrate juif hellénisé (Antiquités judaïques). À la même époque, Plutarque rédige ses Vies parallèles, biographies de grandes figures de la Grèce et de Rome ; mettant l’accent sur les aspects dramatiques et le caractère édifiant de leur vie, il fait de ces personnalités les illustrations des choix éthiques qui doivent prévaloir dans la vie politique.

À la fin de la période romaine, quelques traits essentiels sont fixés : l’histoire se doit d’être la narration de faits véritables et vérifiables ; la césure entre le mythe et l’histoire est opérée, les œuvres des prédécesseurs sont conservées dans les grandes bibliothèques (à Rome ou à Alexandrie) ; on continue d’écrire une histoire du passé proche, le passé trop lointain ne permettant pas de privilégier le témoignage visuel et oral. Un historien comme Ammien Marcellin est typique de cette approche (Histoire, ive siècle).

3.3   Le monde chinois

Le passé de la Chine, dont l’origine remonte à près de 3 000 ans, constitue la plus ancienne et la plus volumineuse histoire nationale. Les lettrés chinois se sont intéressés très tôt à leur histoire, étudiée dans l’objectif de transmettre des leçons applicables à la vie des hommes. Ces leçons de l’histoire font alors intégralement partie de l’enseignement en Chine, une attitude largement développée par Confucius, qui met l’accent sur l’importance d’une histoire exemplaire et sur l’archivage de faits authentiques.

Le Shujing (« Livre des annales «), contenant des documents des première et moyenne périodes de la dynastie des Zhou, et le Chunqiu (« les Printemps et les Automnes «), une chronique de l’histoire de l’État de Lu, où a vécu Confucius, sont deux des cinq classiques du confucianisme. La grande attention apportée à la rédaction et à l’authenticité des informations est l’une des premières obligations des lettrés confucéens, fonctionnaires de l’État chinois unifié après le IIIe siècle av. J.-C. La plupart des anciens textes historiques chinois sont ainsi des ouvrages officiels comportant de nombreux détails et faits concrets, sans tentative de synthèse ou d’explication.

Les paroles et les faits de chaque empereur sont consignés jour après jour, puis rassemblés pour constituer une étude de leur règne. De la même manière, chaque dynastie a sa propre histoire officielle complète (il en existe 25 au total), rédigée selon un modèle conventionnel ne laissant aucune place aux informations sociales ou artistiques par exemple, et ne permettant aucune interprétation personnelle de la part de l’auteur, bien que le choix des documents soit dicté par les principes de la morale confucéenne.

4   LE MOYEN ÂGE : UNE HISTOIRE RELIGIEUSE
4.1   L’histoire à l’aune des Écritures saintes
4.1.1   Eusèbe et saint Augustin, pères de l’histoire chrétienne

Dès le IVe siècle, à la suite de la conversion de l’empereur Constantin le Grand, le christianisme introduit une nouvelle manière de considérer et d’écrire l’histoire en Europe. Sur les traces de l’historien romano-chrétien Sextus Julius Africanus qui, le premier, relate l’histoire depuis la Création biblique (Chronographie, v. 221), Eusèbe de Césarée rédige une Histoire ecclésiastique (v. 324), qui retrace le développement de l’Église depuis ses origines et exalte les années de persécutions et de martyre jusqu’au triomphe de l’ordre chrétien. Ce nouveau genre de l’histoire ignore les règles classiques concernant le style et le choix des thèmes. Le christianisme entend donner une signification totale à l’histoire des hommes, qui s’affirme à la jonction des royaumes de Dieu et des hommes dans l’intervalle historique défini par la vie de Jésus-Christ. L’Église élabore une doctrine sur le fonctionnement du divin dans l’histoire.

Au début du Ve siècle, Paul Orose réinterprète l’histoire romaine à partir de la critique chrétienne, et saint Augustin d’Hippone, dans son ouvrage De civitate Dei (la Cité de Dieu, 415-427), établit des relations beaucoup plus complexes et plus subtiles entre l’histoire chrétienne et l’histoire profane.

4.1.2   L’histoire aux mains des scriptoria

Avec la chute de l’Empire romain d’Occident au Ve siècle apr. J.-C., les traditions de l’enseignement classique (dont l’histoire fait partie) sont bouleversées. L’alphabétisation devient une compétence quasi exclusive du clergé, dont la tâche est de conserver et de diffuser une culture érudite et religieuse. C’est à l’ombre des monastères que s’écrit désormais l’histoire. La production historique est abondante, centrée sur les hagiographies et les récits de miracles, dont le plus illustre représentant est Jacques de Voragine, auteur de la Legenda aurea (la Légende dorée). Un autre genre est également bien représenté : les chroniques et les annales, œuvres souvent anonymes de moines qui relatent simplement, d’année en année, tous les événements qui leur sont connus.

4.1.3   L’histoire islamique

Dans le monde arabe, la tradition musulmane dérive de la foi religieuse qui l’a fortement influencée. Considéré comme le successeur des prophètes juifs et chrétiens, Mahomet donne à l’islam le sens de l’histoire. La compilation et la vérification du Hadith — les traditions qui constituent avec le Coran les fondements de la loi islamique — provoquent le développement précoce de l’étude historique.

Aux VIIIe et IXe siècles, les théologiens et les historiens se lancent dans la rédaction d’ouvrages qui attestent les sources fiables de la vie et de l’enseignement de Mahomet. Al-Tabari est l’auteur du Tarikh al-Rusul wa al-Muluk (Chronique des prophètes et des rois, v. 915), qui devient la source de référence de l’histoire des premiers temps de l’islam. Les historiens islamiques préfèrent en général raconter la vie des hommes connus pour leur esprit ou leur savoir religieux, plutôt que celle des hommes politiques et des soldats, considérant la vie des dévots comme le reflet de la progression spirituelle de la société. Les dictionnaires biographiques appartiennent de ce fait à une longue et importante tradition, à commencer par ceux retraçant la vie des compagnons de Mahomet.

4.2   L’histoire en Orient
4.2.1   Méthodologie de l’histoire arabe

Au XIVe siècle, Ibn Khaldun élabore une philosophie de l’histoire et une théorie de la société dont on ne trouve aucun équivalent dans l’Antiquité ou le Moyen Âge, et qui préfigurent la sociologie moderne. À la suite d’Abu al-Fida (Mukhtasar tarikh al-bashar, « Abrégé de l'histoire de l'humanité «), Ibn Khaldun rédige en effet une histoire universelle qui révèle l’ampleur de sa culture et sa capacité exceptionnelle à élaborer une théorie générale du développement social et politique (Muqaddima, « Introduction méthodologique à l’histoire «). Selon lui, l’histoire, qui ne saurait être envisagée comme une suite d’événements, doit plutôt être tenue pour une invitation à la méditation. Cette réflexion permet de mettre en relief la cohérence des faits historiques et non pas seulement leur succession. Son œuvre connaît un succès immédiat.

4.2.2   Longue tradition d’histoire dynastique en Chine

Le premier auteur d’une histoire complète de la Chine depuis sa fondation est Sima Qian, qui rédige son Shiji (« Mémoires historiques «) sous la dynastie des Han. Ce chef-d’œuvre prend modèle sur le Chunqiu, mais comporte également des tableaux de données, des dissertations sur divers sujets et des biographies de personnages importants. L’ampleur et la puissance littéraire de cette œuvre lui ont donné une grande influence. Le successeur de Sima Qian, Ban Gu, relate sa propre période dans le Hanshu (« Histoire des Han «), y ajoutant un plus grand nombre de dissertations, ainsi qu’une liste des sources utilisées.

Leur exemple influence la période suivante de l’étude historique chinoise sous Taizong, premier empereur de la dynastie des Tang. En 629, un premier « Bureau d’histoire « est créé pour rassembler les documents d’État et en faire des annales dynastiques officielles. En 636, cinq histoires officielles de la période interdynastique précédente, comprenant des bibliographies précises, sont constituées. Liu Zhiji rédige le premier traité sur la méthode historique en plusieurs langues. Le mandarin de la dynastie Song, Simi Guang, écrit personnellement une autre histoire de la Chine allant jusqu’en 959 ; son titre, Zizhi tongjian (« Miroir complet pour l’assistance dans le gouvernement «), laisse percevoir le but historique de la classe dirigeante confucéenne. Simi Guang étudie minutieusement 322 sources, décrit son propre cheminement et expose ses réflexions sur des contentieux dans de nombreuses annotations. Vers 1063, Ou Yangxiu compile un monumental travail sur l'histoire de la Chine et rassemble, en collaboration avec le réformiste Fan Zhongyan (989-1052), le catalogue de la Bibliothèque impériale des Song, riche de quelque 80 000 volumes.

4.3   L’histoire en Occident
4.3.1   Les premières chronologies historiques

En Occident, même si le schéma dominant demeure celui de la Cité de Dieu de saint Augustin, les ouvrages des historiens antiques, conservés dans les bibliothèques des monastères, donnent à certains le désir de parvenir à un travail d’écriture plus élaboré. Les premiers écrivains médiévaux, comme Grégoire de Tours (Histoire des Francs), se lancent dans cette voie. L’Historia ecclesiastica gentis Anglorum (Histoire ecclésiastique des Angles, 731) du moine anglais Bède le Vénérable témoigne de cette écriture élaborée et du changement du regard. À sa suite, Geoffroi de Monmouth rédige au début du XIIe siècle une Historia regum Britanniae (Histoire des rois de Bretagne), base de l’histoire de l’Angleterre.

Parallèlement à l’épanouissement d’une historiographie cléricale, et souvent monastique, qui s’attache à définir l’histoire universelle selon le dessein divin orienté par la chronologie biblique, apparaît dans plusieurs pays où se consolide un pouvoir princier — et particulièrement dans le royaume de France au XIIe siècle — une histoire témoignant d’un sens nouveau du cadre temporel et de la position de l’homme. Ce dernier redevient Homo faber, agissant, toujours sous l’égide de la providence, dans un univers créé par Dieu. Le sentiment de bénéficier d’un héritage se fait jour chez Bernard de Chartres, et tout un appareil conceptuel permet une périodisation d’ensemble qui fait gagner en cohérence au récit historique.

4.3.2   Les panégyriques et chroniques royales

En même temps s’amorce timidement le mouvement historique qui va mener à l’élaboration d’une histoire nationale « très chrétienne « des royaumes européens. Primat, un moine de l’abbaye de Saint-Denis, est le premier à écrire une chronique des rois de France (1250-1284), commandée par Saint Louis. Rédigées en français à partir du XIVe siècle, les Grandes Chroniques de France touchent désormais également une élite de lecteurs laïques. La sécularisation progressive de l’histoire est déjà visible chez les grands chroniqueurs, familiers des princes et souvent mêlés aux décisions politiques : Eginhard au IXe siècle, Suger au XIIe siècle, Jean de Joinville et Jean Froissart au XIVe siècle, Thomas Basin et ou Philippe de Commynes au XVe siècle. De fille de l’Église, l’histoire devient servante du pouvoir.

Eginhard rédige une biographie de Charlemagne (Vie de Charlemagne) ; l’abbé Suger se charge de celles de ses successeurs (Vie de Louis le Gros, Vie de Louis VII) ; Jean de Joinville rédige les actes du roi Louis IX de France pendant les croisades (Vie de Saint Louis) ; Jean Froissart rapporte dans ses Chroniques les exploits des chevaleries anglaise et française au cours de la guerre de Cent Ans. Quant à Philippe de Commynes, il rapporte dans ses Mémoires son expérience d’homme de confiance de Louis XI (1524).

5   L’ANCIEN RÉGIME : DU RENOUVEAU AUX LUMIÈRES
5.1   La Renaissance de l’histoire

Les historiens de la Renaissance rejettent la division médiévale chrétienne de l’histoire commençant par la Création, suivie par la venue de Jésus-Christ et s’achevant par le Jugement dernier. Leur vision de l’histoire, qui comporte également trois parties, est nettement plus détachée : l’Antiquité précède le Moyen Âge, lequel vient de laisser placer à un nouvel âge d’or.

5.1.1   L’histoire de l’homme par l’homme

L’étude approfondie de la littérature grecque et romaine de l’Antiquité et le renouveau de l’enseignement de la rhétorique — caractéristique de la vie intellectuelle dans l’Italie du XVe siècle — influencent l’écriture historique et encouragent une approche profane et réaliste de l’histoire politique. Leonardo Bruni, qui étudie les ouvrages récemment retrouvés de Tacite, reconsidère l’histoire de sa ville natale, Florence, à la lumière de l’expérience romaine (Historiarum Florentini populi libri XII, « Douze livres sur les histoires du peuple florentin «, 1420). Au XVIe siècle, Nicolas Machiavel (Istorie fiorentine, « Histoire de Florence «, 1525) et François Guichardin (Storia d’Italia, «Histoire de l’Italie «, 1561-1564) rédigent également des ouvrages plaçant l’histoire politique dans un monde régi par les lois et les ambitions des hommes. L’influence de la Renaissance impose progressivement en Europe une dissociation entre histoire profane et histoire ecclésiastique.

5.1.2   Proposition d’une « histoire parfaite «

Au milieu du XVIe siècle, l’influence d’une culture humaniste fondée sur le droit, la philosophie et l’histoire, ainsi que l’expérience des troubles politiques que vont bientôt engendrer les divisions religieuses, suscitent en France un nouveau courant historique dit de « l’histoire parfaite «. Incarné par des savants issus de la bourgeoisie de robe comme Jean Bodin (Méthodus ad Facilem historiarum cognitionem, « Méthode pour une étude aisée de l’histoire «, 1566) et Étienne Pasquier (Recherches de la France, 1561-1621), ce courant s’efforce de comprendre le caractère « national « de la France en retrouvant dans sa langue et dans ses traditions, juridiques ou populaires, un lointain passé gaulois.

5.2   L’histoire classique

Les traditions de l’étude historique à la période classique mettent l’accent sur la connaissance littéraire et sur une nouvelle interprétation de l’histoire aux dépens de la recherche de base. L’historien ne fait plus une simple lecture de ses sources, il se met à les faire parler.

5.2.1   En Occident

Pendant le Grand Siècle, alors que triomphent l’arbitraire royal et l’Église, l’histoire est mise au service des Grands, appréhendée de manière séculaire. Des historiographes royaux, tel Jean Racine, continuent à rédiger des panégyriques dont l’unique objectif est la glorification du roi. D’autres écrivains font l’apologie de la chrétienté, comme Bossuet dans son Discours sur l’histoire universelle (1681).

5.2.2   En Orient

Dans la Chine du XVIIe siècle, une méthode rigoureuse de critique des sources, permettant une détection précise des falsifications en analysant le langage du texte, est établie. Les chroniques et documents locaux rapportent l’histoire de la vaste expansion des provinces de la Chine. Un répertoire partiel de la bibliothèque impériale de la dynastie des Qing, constitué en 1782, compte 2 316 ouvrages d’histoire.

5.3   La révolution des Lumières
5.3.1   Naissance de l’« histoire savante «

À partir du XVIe siècle, de nombreux historiens de toute l’Europe vouent leur vie à la recherche laborieuse et systématique des sources de leur histoire nationale et religieuse.

En France, les bénédictins de l’ordre de Saint-Maur, guidés par Jean Mabillon, fixent la méthode critique propre à l’authentification et à l’analyse des documents (ecclésiastiques mais aussi politiques) et inventent l’« histoire savante « dont peut se réclamer aujourd’hui encore l’érudition scientifique. Ludovico Muratori réunit les documents sur l’histoire de l’Italie. Gottfried Wilhelm Leibniz compile les annales de l’Allemagne médiévale et l’Autrichien Joseph Eckhel détermine les champs de la numismatique. William Dugdale, l’évêque Thomas Tanner et Thomas Hearne réunissent des documents et des textes anglais puis publient des annales médiévales. Ces auteurs ne sont que quelques-uns des nombreux chercheurs ou érudits dont le travail minutieux permet la conservation des sources de la connaissance historique, ainsi que la création et la définition des principaux champs de la recherche historique, comme la diplomatique, la numismatique et l’archéologie.

5.3.2   Naissance de la philosophie de l’histoire

La philosophie de l’histoire naît au siècle des Lumières. C’est alors que voient le jour les idées du devenir de la matière, de l’évolution des espèces, du progrès du genre humain. Voltaire ajoute aux traditions littéraires de l’histoire son rationalisme provocateur. Le Siècle de Louis XIV (1732-1751) est fondé sur le souci de rapporter des faits objectifs — même si l’ensemble de l’ouvrage demeure une célébration du monarque et de la civilisation sous son règne. Avec l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (1756), Voltaire joue un rôle essentiel dans le renouveau des études historiques. Dans ces deux ouvrages, sa curiosité, jointe à sa passion de la vérité, l’entraîne en effet à un examen critique et raisonné de ses sources, dont il confronte les témoignages contradictoires. D’autre part, Voltaire est le premier — avec Montesquieu (Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, 1734) — à s’intéresser à l’histoire du peuple ou de la nation, et non plus exclusivement à l’histoire monarchique ou militaire. D’autres figures marquantes des Lumières, comme David Hume et William Robertson cultivent également avec bonheur cette approche philosophique de l’histoire.

Porté par l’élan des Lumières, Edward Gibbon associe un profond respect pour l’érudition classique à de remarquables dons littéraires. Son Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain (History of the Decline and Fall of the Roman Empire, 1776-1788) devient une référence en matière de récit historique. Emmanuel Kant et Friedrich Hegel postulent un sens à l’histoire, procédant de la tradition chrétienne et une réflexion éthique, propre à l’Aufklärung (les Lumières). La dialectique hégélienne permet au temps de devenir une catégorie de l’intelligibilité ; l’histoire, même la plus sombre, trouve son sens.

6   LE XIXE SIÈCLE, ÂGE D’OR DE L’HISTOIRE
6.1   Multiplicité des courants historiques
6.1.1   L’histoire romantique

Au début du XIXe siècle, les historiens sont marqués par la Révolution française, tels que Chateaubriand (Études historiques, 1831) ou Augustin Thierry (De la réorganisation des société européennes, 1814). Ils portent bientôt l’histoire nationale à des niveaux de puissance d’analyse et d’évocation jusqu’alors inégalés, notamment Jules Michelet dans son Histoire de France (1833-1846). Combinant un romantisme visionnaire attaché à faire revivre le passé et une attention aux aspects sociaux héritée des Lumières, ils présentent l’histoire de France comme une totale et globale résurrection du passé.

6.1.2   L’histoire positiviste

Fondateur du positivisme, le philosophe Auguste Comte apporte à l’histoire en tant que discipline ; initiateur de la pensée sociologique, il a perçu l’irréductibilité du fait social et l’ambiguïté de l’histoire, science dans laquelle le sujet et l’objet peuvent se confondre. Selon le courant positiviste, l’histoire est un récit de causes et de conséquences.

6.1.3   L’histoire libérale

Libéral convaincu, adepte de la première Révolution (avant 1793), le politique Adolphe Thiers rédige son Histoire de la Révolution (1823-1827) avant de s’attaquer à une critique de la période napoléonienne dans son Histoire du Consulat et de l’Empire (1855). Auteur de Du gouvernement de la France (1816), celui qui a brigué le maroquin de l’Instruction publique entre 1832 et 1837, le libéral François Guizot, se pose en pédagogue politisé lorsqu’il publie à la fin de sa vie une Histoire de France racontée à mes petits-enfants. Mais le principal historien de conviction libérale demeure Alexis de Tocqueville qui, au milieu du siècle, propose une analyse politico-historique des régimes dans l’histoire avec son œuvre maîtresse De la démocratie en Amérique (1835-1840) puis avec l’Ancien Régime et la Révolution (1856).

6.1.4   L’histoire républicaine

Alphonse de Lamartine, le premier, propose une vision républicaine de l’histoire. Au lendemain du Printemps des peuples de 1848, il loue les événements dans son Histoire de la Révolution de 1848 (1849). À sa suite, des hommes comme Edgar Quinet ou Louis Blanc mettent leur plume au service de leurs idéaux républicains.

6.1.5   La théorie marxiste de l’histoire

Considérant que l’histoire est une perpétuelle lutte des classes au sein d’une longue maturation du capitalisme, le philosophe Karl Marx propose une lecture des événements passés dont la finalité est, au terme de la révolution socialiste, une société sans classe. En définissant le matérialisme historique, la dialectique et la lutte des classes comme moteur et dynamique émancipatrice de l’histoire, il offre une nouvelle grille d’analyse à toute une école historique.

6.2   L’histoire comme science
6.2.1   Une « science sociale «

Dans la seconde moitié du siècle, le séminariste Ernest Renan applique un rationalisme critique à une relecture de l’histoire sainte (Vie de Jésus, 1863), renversant le postulat de base (Dieu est une création de l’homme et non l’inverse). Pour sa part, le philosophe Hippolyte Taine entend adapter à l’histoire les règles du déterminisme historique (les Origines de la France contemporaine, 1874-1894). L’historien Fustel de Coulanges, quant à lui, est aussi exigeant dans la collecte et la critique des sources que dans la rigueur de l’explication sociologique (la Cité antique, 1864). Selon lui, « l’histoire n’est pas un art, elle est une science pure, comme la physique ou la géologie. «

Par son œuvre et son influence, l’Allemand Leopold von Ranke contribue largement à doter l’histoire d’une position de discipline académique indépendante avec des méthodes, des approches critiques et des filières de formation spécifiques. Il insiste sur l’exigence d’objectivité de l’institution qui doit rejeter tout aspect passionnel ; il fait de la consultation des sources de l’époque une loi de la construction historique. Il développe la critique des sources au-delà des limites fixées par la tradition savante en faisant de la prise en compte des circonstances historiques de l’auteur le critère d’évaluation des documents.

Cette combinaison entre une approche neutre et impartiale (comme exigence du moins) et l’idée que tous les observateurs sont les produits de leur époque et de leur milieu, et qu’ils sont ainsi nécessairement des témoins subjectifs, permet de dissocier l’histoire des genres littéraires intuitifs et de l’aligner sur la recherche scientifique moderne. De nombreux historiens modernes anglo-saxons reportent les fondations intellectuelles de leur discipline à ce développement universitaire allemand du XIXe siècle qui a influencé les spécialistes de l’histoire jusqu’en Amérique.

William Stubbs, avec ses collègues et ses étudiants de l’université d’Oxford, établit l’histoire sur des sources minutieusement examinées, un mouvement développé par Samuel R. Gardiner et Frederick W. Maitland. George Bancroft est le premier historien célèbre de l’histoire des États-Unis. Cette école méthodique se développe également en France, sous l’impulsion de Gabriel Monod, fondateur de la Revue historique (1876), Charles Victor Langlois, Charles Seignobos et Ernest Lavisse.

6.2.2   L’histoire professionnalisée

C’est au XIXe siècle également — peu après la création des Archives nationales (1808) — qu’apparaissent en France les grands établissements d’enseignement de l’histoire comme l’École nationale des chartes (1821), l’École française d’archéologie d’Athènes (1846) ou l’École française de Rome (1873). L’histoire se professionnalise ; archivistes, conservateurs et professeurs deviennent des fonctionnaires de l’État. Elle devient une discipline scolaire, comme le rappellent les manuels d’Ernest Lavisse (ou, plus tard, d’Albert Malet et Jules Isaac).

7   L’HISTOIRE SCIENTIFIQUE DEPUIS LE XXE SIÈCLE

Au XXe siècle, l’apparition de nouvelles sciences, telles que l’archéologie et l’anthropologie, permettent d’élargir le champ de la recherche historique, notamment en ce qui concerne la préhistoire. Parallèlement, l’histoire économique, la psychohistoire, l’histoire des idées, des structures familiales et des mentalités apparaissent et élaborent leurs méthodes et leurs objectifs, le plus souvent en réaction à l’école méthodique ou positiviste. Dans les années 1920, de nombreux historiens estiment que l’histoire traditionnelle souffre de défauts majeurs, dont les principaux sont de négliger les rapports sociaux, économiques et culturels.

7.1   Les courants historiques

Se dégageant de l’influence positiviste, le XXe siècle apparaît comme le siècle du foisonnement, des écoles comme des champs historiographiques.

7.1.1   L’histoire marxiste

Inspirées du modèle de matérialisme historique théorisé par Karl Marx et Friedrich Engels, les historiens marxistes placent l’économie et la lutte des classes au centre de l’histoire. L’événement est laissé de côté, de même que l’homme qui n’est plus acteur, mais simple rouage d’une histoire réduite à l’opposition entre oppresseurs et opprimés (le « sens « de l’histoire). Les limites de cette vision déterministe de l’histoire reposant sur des présupposés marxistes sont nombreuses. Il n’en reste pas moins que les historiens marxistes, parmi lesquels Ernest Labrousse, sont les premiers à mettre en relation l’économie et l’histoire et à travailler sur les structures matérielles des sociétés. En cela, ils ont largement influencé les historiens des Annales et leur apport est indéniable.

7.1.2   L’histoire sérielle et quantitative
7.1.2.1   L’école des Annales

Parmi les différents courants historiographiques français du XXe siècle, l’école des Annales se singularise par ses apports épistémologiques majeurs autant que par la position hégémonique qu’elle a occupée durant cinquante ans. Elle se constitue autour de la revue des Annales d’histoire économique et sociale fondée en France en 1929 par Marc Bloch et Lucien Febvre (bientôt rejoints par Fernand Braudel), et représente l’effort le plus important dans le renouvellement des méthodes et des approches de la pensée historique du XXe siècle.

Influencés par les critiques des sociologues disciples d’Émile Durkheim, Marc Bloch et Lucien Febvre ont pour objectif de parvenir à une « histoire totale « et privilégient pour cela l’étude des réalités collectives (comme les mentalités) et structurelles (les structures économiques et sociales) aux dépens de celle des individus et des événements. Au-delà de cet élargissement du champ de l’histoire, ils préconisent un décloisonnement des histoires nationales en faveur de périodes larges, et surtout une interdisciplinarité avec les autres sciences sociales. Après la Seconde Guerre mondiale, Lucien Febvre et Fernand Braudel deviennent les pères d’une famille historique qui — de Georges Duby à Pierre Goubert, de Robert Mandrou à Robert Boutruche, de Claude Fohlen à Jean Bouvier, d’Ernest Labrousse à Emmanuel Le Roy Ladurie — a fait de l’histoire française l’une des plus prestigieuses au monde.

7.1.2.2   La Nouvelle Histoire

Née dans les années 1970 avec la publication par Pierre Nora et Jacques Le Goff de Faire de l’histoire (1973-1974), la Nouvelle Histoire, troisième génération de l’école des Annales, recourt largement à l’anthropologie et se veut promoteur d’une histoire totale et cohérente, ainsi que d’une histoire des structures globalisantes et de la longue durée. Comme leurs aînés des Annales, ces historiens multiplient les sources et les sujets. L’histoire des mentalités s’inscrit dans ce cadre théorique d’une histoire sérielle — c’est-à-dire d’une histoire quantitative ancrée dans la longue durée — appliquée aux affects, au mental, au psychisme des sociétés.

Cependant, en mettant l’accent sur les phénomènes de longue durée et les permanences, les historiens des Annales ont laissé une vaste friche dans l’étude historique que se sont appropriés d’autres courants plus axés sur l’événement, et notamment l’histoire politique.

7.1.3   Les nouveaux courants
7.1.3.1   L’histoire politique

En 1954, René Rémond publie la Droite en France de 1815 à nos jours, acte de naissance d’une histoire politique à nouveau légitimée, et résolument ancrée dans la période contemporaine. Cette histoire politique, en rupture avec les réalisations des Annales, s’impose en France à travers les travaux de René Rémond et Raoul Girardet, puis entre autres de Michel Winock, Serge Bernstein ou encore Antoine Prost. Se saisissant du politique comme d’un objet protéiforme (partis, élections et représentation, pratiques militantes, opinion publique, médias, idées politiques, autorité et pouvoir, etc.), située au confluent de l’histoire et des sciences sociales, l’histoire politique montre la place centrale du politique dans l’histoire des sociétés et des hommes.

7.1.3.2   La microhistoire

Centrée sur le rôle de l’acteur individuel, la microhistoire ou microstoria — courant complémentaire de l’histoire sociale — est apparue en Italie (Carlo Ginzburg) et s’est développée aux États-Unis (Nathalie Zemon Davis, Charles Tilly), au Royaume-Uni (Edward P. Thompson) et en France (Arlette Farge). Tous ces historiens ont cherché à étudier des phénomènes individuels rapportés à une échelle temporelle et spatiale limitée : comment la formation de l’État et le développement du capitalisme ont-ils influencé les modalités de l’action des gens du commun (Charles Tilly, la France conteste, 1986) ? Qu’est-ce qui pousse la population du Paris prérévolutionnaire du XVIIIe siècle à se lier, se disputer, s’organiser ou encore à se révolter (Arlette Farge, la Vie fragile, violence, pouvoirs et solidarités à Paris au XVIIIe siècle, 1986) ?

7.1.3.3   L’histoire du temps présent

Née dans les années 1940, l’histoire du temps présent a été l’objet de nombreuses critiques, émanant notamment des historiens issus de l’école des Annales, pour lesquels ce passé trop proche et parfois encore incandescent ne permet pas un travail scientifique objectif. En 1978, la création de l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) la fait accéder pleinement à la reconnaissance et à la légitimité. Le temps présent n’a pas de frontières temporelles, il évolue au fil des années : cette histoire du passé récent est celle de l’expérience vécue et redonne en cela son plein sens à l’événement. Les historiens du temps présent travaillent donc avec et sous le regard des témoins des faits qu’ils étudient. Les thèmes de recherche privilégiés de l’histoire du temps présent sont les grandes lignes de fracture du XXe siècle, soit entre autres la Seconde Guerre mondiale, le nazisme, Vichy et la collaboration, le communisme et son effondrement, les décolonisations.

7.2   Diversification des thèmes de recherche

À cette explosion des champs historiographiques répond une multiplication des axes de recherche, aussi bien verticalement que transversalement.

7.2.1   Un champ neuf : le XXe siècle

D’un point de vue chronologique, la richesse de la science historique contemporaine permet de travailler et d’élargir de nouveaux champs chronologiques. La période de l’entre-deux-guerres, longtemps délaissée, est maintenant un champ particulièrement riche de l’histoire contemporaine, et les historiens politiques du temps présent se sont emparés des grands enjeux du XXe siècle.

7.2.2   Sujets anciens, regards nouveaux

Le recours à de nouvelles sources comme l’art ou l’archéologie médiévale permet de porter un regard neuf sur d’anciens objets d’étude tels que le Moyen Âge ou, plus récemment, la Révolution française. Les recherches récentes portant sur les origines de la Révolution française (culturelles, idéologiques, politiques, religieuses, etc.) en témoignent. De même, la multiplication des travaux sur le Moyen Âge a permis le renouvellement des études médiévales et de la perception que nous avons de cette période.

7.2.3   L’histoire culturelle

Champ récent de la recherche historique (Pour une histoire culturelle de Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli est publié en 1997), l’histoire culturelle présente la particularité de n’être pas une affaire d’« école «, mais d’être un thème de recherche transversale, en terme de périodes comme en terme de courants historiographiques. Proche de l’histoire des mentalités, l’histoire culturelle porte sur des sujets variés qui ont en commun de permettre la compréhension du passé à travers l’étude des représentations. Ces thèmes s’articulent autour de quatre axes majeurs : l’histoire des politiques culturelles, l’histoire des supports culturels, l’histoire des pratiques culturelles, l’histoire des signes et des symboles culturels. C’est dans ce cadre que s’inscrit le travail d’Alain Corbin sur l’histoire de la sensibilité, ou encore celui de Roger Chartier (les Origines culturelles de la Révolution française, 1990).

7.2.4   L’histoire transversale

L’histoire s’étudie désormais également de manière transversale : histoire de l’entreprise, des femmes, des sciences, des sensibilités, des gens ou des choses « banales «. Les objets de la recherche se diversifient : de même qu’il n’y a pas une grande ou une petite histoire, il n’y a plus de grands ou de petits sujets dont les historiens ne puissent s’emparer. Au-delà des différentes approches et sensibilités historiques, il est incontestable que l’homme et la société ont retrouvé leurs places d’objets centraux d’une science historique devenue plurielle.

7.3   Questions du récit et de la scientificité

À compter des années 1990, les questions tournant autour de la subjectivité de l’historien, de la part croissante accordée aux modes narratifs et au récit, de la scientificité de la discipline sont remises au centre de la réflexion sur l’histoire. Il semble aujourd’hui acquis que si l’histoire n’est pas une affaire de style, elle possède intrinsèquement une dimension poétique et littéraire qu’il est impossible de nier ou d’occulter.

De même, depuis la parution de l’ouvrage de Paul Veyne (Comment on écrit l’histoire, 1971) se pose, au point d’ouvrir un vif débat, la question de comment relater l’histoire. Dans son essai, l’historien dénie notamment à l’histoire sa prétention à une scientificité absolue, critiquant en cela la méthode discursive de l’historien. Plus récemment, avec Douze leçons sur l’histoire (1996), Antoine Prost propose sa version en notant que la science historique ne dit pas le vrai sur le réel, mais plutôt du vrai sur un réel.

Science de l’homme, l’histoire est aussi plus que jamais une science pour l’homme. Instituteurs de la citoyenneté, juges des passions politiques ou sociales, selon Jacques Le Goff, les historiens voient actuellement leur responsabilité accrue. En effet, les débats historiques de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle traduisent, en France et dans le monde, des enjeux de pouvoir considérables, tandis que le rôle de la mémoire et la notion de devoir de mémoire sont au centre de la construction de l’identité et de l’évolution des sociétés contemporaines.

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