Devoir de Philosophie

l'homme est-il un animal dénaturé ?

Publié le 04/02/2012

Extrait du document

C'est un lieu commun de dire que l'homme qu'il est le plus dangereux de tous les prédateurs, au point d'être lui-même l'artisan de sa disparition. De ce point de vue l'espèce humaine apparaît maintenant – au terme d'un certain développement - comme une espèceperturbatrice dans l'ensemble de la nature, et cela de manière assez paradoxale, puisque c'est son succès qui est aussi bien la cause de son malheur. C'est ce constat qui peut faire penser que l'homme est une sorte d'animal dénaturé : animal car obéissant aux mêmes instincts fondamentaux et à la même logique d'adaptation que les autres espèces d'êtres vivants,dénaturé car appartenant à une espèce sortie du rang de l'ordre de la nature, ayant son équilibre et œuvrant finalement, malgré elle, à sa destruction. Si l'on radicalisait cette idée, elle reviendrait à penser que l'humanité est comme issue d'une sorte de perversion de l'animalité, ce qui nous renvoie à la question de l'origine de l'humanité et de son sens. Il ne s'agit évidemment pas de chercher à déterminer de quelles sortes de transformations l'homme tel que nous le connaissons est issu – les sciences ont pour but de nous le faire comprendre -, mais de s'interroger sur la manière dont on doit penser la spécificité de l'homme : est-elle pensable à partir de l'animalité ou faut-il la penser d'un tout autre point de vue ? On pourrait en effet refuser de dériver l'être humain de l'animal en montrant qu'il est essentiellement d'une toute autre nature. Il faudrait alors expliquer ce statut d'exception. On peut aussi refuser de déduire l'humanité de l'animalité sans pour autant admettre que l'homme est d'une autre nature en le pensant d'abord du point de son indétermination initiale comme un être sans nature propre sinon sa capacité à se façonner et à être façonné par la société. Nous verrons d'abord ce qui peut conduire à croire que l'homme est d'une autre nature que l'animal.

« Méthode Descartes affirme que si l'on peut concevoir la possibilité d'une machine qui imiterait en tout n'importe quel animal au point de nous tromper, il sera toujours impossible de nous tromper dans l'imitation par une machine d'unhomme car « nous aurions toujours deux moyens très certains pour reconnaître qu'elles ne seraient point pour cela de vrais hommes » : « le premier est que jamais elles ne pourraient user de paroles, ni d'autres signes en les composant, comme nous faisons pour déclarer aux autres nospensées.[..]Et le second est que, bien qu'elles fissent plusieurs choses aussi bien, ou peut-être mieux qu'aucun de nous, elles manqueraientinfailliblement en quelques autres, par lesquelles on découvrirait qu'elles n'agiraient pas par connaissance, mais seulement par la disposition deleurs organes ».

La capacité d'inventer des signes et d'en user de manière intentionnelle, ainsi que la capacité d'inventer des dispositifs d'actionssur les choses extrêmement diversifiés et permettant l'adaptation de l'homme « en toutes sortes de rencontres », c'est à dire en une infinité decirconstances, manifesteraient la supériorité de l'homme, la possession de la raison comprise comme « un instrument universel » .

En bref que ce soit du point de vue intérieur – par la pensée et la conscience de soi – ou du point de vue de l'action extérieur, il faudrait reconnaître unedifférence de nature entre l'homme et les autres êtres vivants.

Cela revient à dire qu'il n'est pas nécessaire d'adhérer au mythe pour pouvoir êtreconvaincu que l'homme n'est pas d'abord un animal et encore moins un animal dénaturé. Pourtant cette assurance ne tient que tant qu'on ne prend pas en considération deux choses : d'une part rien n'interdit de concevoir les capacitéshumaines comme le résultat d'une série de transformations à penser sur le très long terme, et d'autre part il n'est pas certain qu'il n'y ait pas plus depoints de passage qu'on imagine entre les animaux supérieurs et les êtres humains.

Il est encore moins certain comme on va le voir qu'on puisseattendre de la seule référence à la conscience de soi la preuve que l'homme est nécessairement d'une autre nature que les autres êtres vivants.

Eneffet la conscience de soi, si on la réfère à la pensée pour la distinguer de la simple conscience perceptive – celle qui accompagne les sensations etles réactions sensorielles - , semble plus dépendre du langage que de la possession d'une âme immatérielle.

Si c'est le cas il n'y a aucune raison dene pas voir en l'homme un animal qui aurait connu une mutation non de sa nature mais de sa forme de vie en raison de sa socialisation, et de cepoint de vue comme un animal dénaturé.

C'est ce qu'on va maintenant développer. Dans cette partie deux choses sont ainsi à examiner si l'on veut montrer en quel sens l'homme peut être vu comme un animal dénaturé: premièrement il faut revenir sur ce qui fait la spécificité de l'homme, et deuxièmement montrer en quoi l'homme peut être pensé comme le résultat d'une transformation due au développement de la socialisation. La pensée et la conscience de soi sont-elles les traits distinctifs essentiels et primitifs de l'être humain.

Rien n'estmoins sûr si on considère le curieux paradoxe que présentent les rapports entre la pensée et la conscience de soid'un côté, le langage de l'autre.

En effet on peut aussi bien dire que la pensée est nécessaire pour qu'il y ait langage que l'inverse.

Il paraît difficile de séparer la capacité d'avoir des idées générales de la capacité de les désigner.

C'est ainsi que Rousseau, dans la première partiedu Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes montre que l'origine de la pensée proprement dite (par opposition à la pure sensation) coïncide avec l'origine du langage.

C'est en apprenant sa langue maternelle que l'enfant acquiert les instruments théoriques(concepts, structures linguistiques) qui lui permettront de traiter les informations sensorielles en allant au-delà de la conscience immédiate qu'il ena.

De même dire « je » ce n'est pas tant décrire un état qui serait le mien en me représentant que c'est le mien et non celui d'un autre, c'est prendre place dans un espace d'interlocution déjà structurée par l'opposition et la relation du « je » et du « tu ».

C'est ce que souligne Benvéniste dansson article « De la subjectivité dans le langage » où il écrit que la particularité des termes « je » et « tu » est de ne renvoyer « ni à un concept ni à un individu ».

Quand je pense je ne fais que penser, quand je dis que je pense je connais que je pense.

Dès lors on peut se demander si la conscience de soi est bien une sorte de fait primitif consistant en une connaissance directe et immédiate puisque la connaissance qu'elle estsupposée donner n'est constituée comme connaissance que dans le contexte d'une interlocution et d'une communication, d'un échange.

Parconséquent il faudrait plutôt définir l'homme comme un être de langage.

Comme le souligne le philosophe américain D.Dennett dans son livre « La diversité des esprits » il n'y a dans l'histoire de l'esprit « aucune étape plus décisive, foudroyante et riche en conséquences que l'invention du langage.

Quand l'homo sapiens a pu bénéficier de cette invention, toute l'espèce humaine a été en quelque sorte projetée à une telle distancequ'elle a laissé loin derrière elle toutes les autres espèces vivant sur terre » ( p.192 ).

Dans ce passage le langage est d'abord pensé comme un faitde l'évolution – les hommes ont à un moment trouvé un nouveau moyen d'agir et d'organiser leur vie, moyen qui a démultiplié leurs capacités -, et l'être humain tel que nous le connaissons est le produit de cette évolution soudainement accélérée par l'invention du langage.

Le moi tel quenous l'entendons et la conscience de soi sont les lointains effets de cette invention sans qu'on puisse dire que l'homme est par là devenu autre chose qu'un animal. Mais pourquoi alors dire qu'il serait dénaturé ? Cette idée a un sens si on part de l'idée que l'homme va se trouver devenir humain par une rupture qui implique autant une transformation de sescapacités intellectuelles que de ses dispositions morales.

Pour le développer on peut reprendre la fiction d'un homme naturel construite parRousseau.

A l'état de nature l'homme n'est mû que par deux passions : l'amour de soi et la pitié.

« L'amour de soi-même est un sentiment naturel quiporte tout animal à veiller à sa propre conservation...

» (cf note 15 de la première partie du DOFINEPH). L'amour de soi n'est que l'instinct naturel de conservation ou l'effort par lequel chacun tend à se conserver dans son être et la pitié est la répugnance naturelle à faire souffrir et à voirsouffrir .

En revanche, « l'amour-propre n'est qu'un sentiment relatif, factice et né dans la société, qui porte chaque individu à faire plus de cas de soi que de tout autre... » (idem).

L'important n'est plus désormais ce que je suis mais ce que je vaux selon l'estime publique.

Cette dépendance s'inscrit au cœur du « moi-même », puisque la naissance de l'amour-propre coïncide avec l'accession de l'homme à la conscience de soi.

Il ne fautpas confondre, en effet, le sentiment d'existence, cette sorte de conscience animale, antérieure à toute comparaison, qui habite le sauvage, et la véritable conscience de soi. Celle-ci, en ce qu'elle me permet de m'affirmer comme moi-même, distinct des autres et du monde, suppose une représentation objective de ce que je suis.

Or cette connaissance ne peut s'acquérir que par une comparaison.

Autrui me renvoie de ma personneune double image, à travers ce qu'il est, « mon semblable » à qui je peux m'identifier, mais aussi à travers ce que je pressens de l'image qu'il se. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles