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l'homme a-t-il besoin d'être dominé

Publié le 21/03/2004

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Le fardeau de la liberté morale
* «Prendre ses responsabilité«, «être condamné à choisir«, «fuir sa liberté« comme un fardeau : toutes ces expressions s'inscrivent dans une problématique dont Nietzsche disait qu'il fallait découvrir la généalogie. En effet, que la liberté puisse être un fardeau, au point qu'on aspire à être dominé pour s'en débarrasser, présuppose qu'on puisse distinguer un sujet qui choisit et les actions qu'il fait. J'ai fait ceci, mais j'aurais pu faire autre chose : prendre mes responsabilités au lieu de les fuir, penser à mon salut au lieu de me divertir, ne pas être de mauvaise foi mais exister dans l' «authenticité«., etc. Mais cette idée ne va pas de soi ; elle a été inventée, affirme Nietzsche, par des êtres incapables d'accepter l'innocence du devenir et la noblesse de ceux qui s'inscrivaient spontanément dans les mouvements de la vie, s'y aventuraient avec l'aisance d'êtres assez forts et libres pour ne pas s'interroger sur leur liberté, et encore moins pour la ressentir comme un fardeau. Les idées de liberté, de responsabilité morale, etc., sont des notions mythologiques, inventées par les faibles pour pouvoir demander des comptes aux forts, les accuser, les culpabiliser, pour se venger d'eux, de leur humiliation d'avoir besoin d'être dominés par eux. Mais prétendre ainsi isoler des causes, dans le devenir, causes de certains effets également définis, c'est plaquer arbitrairement sur le réel des catégories qui font illusion mais qui n'ont aucune vérité. Leur succès atteste seulement celui des faibles, qui, dans le même mouvement, se sont attribués le mérite d'être ce qu'ils étaient, par une «sublime duperie de soi«.
L'idée de liberté (d'un sujet responsable de ses actes) charge ainsi l'humanité d'un fardeau qui se nomme la morale, la responsabilité, la culpabilité, l'accusation.
Dans son Discours de la servitude volontaire, Etienne de La Boétie s'étonnait de ce que la plupart des hommes obéissent à un seul, non seulement lui obéissent, sans y être contraints ni forcés, mais le servent, mais veulent le servir ; aussi en concluait-il que «la seule liberté les hommes ne la désirent point, non pour autre raison, ce semble, sinon que s'ils la désiraient ils l'auraient.. Dès lors l'on peut se demander pourquoi l'homme refuse ainsi la liberté, s'il n'a pas un besoin d'être dominé.
L'homme a-t-il une disposition naturelle à se soumettre à l'autorité ? Ou, au contraire, est-il rétif à toute forme de contrainte ?

« C'est dans le « Contrat social » que l'on trouve l'une des affirmations les plus radicales de Rousseau concernant la liberté comme bien inaliénable, définissant l'homme en propre. L'idée que la liberté est un bien inaliénable, et que nul ne peut consentir à y renoncer pourappartenir à l'Etat, est une thèse centrale de la pensée politique de Rousseau .

Elle sous-tend tout le « Contrat social », où il s'agit de déterminer comment les hommes peuvent véritablement s'associer, obéir à un pouvoir commun, à des lois valant pour tous, sans abdiquer leurimprescriptible liberté. Cette fameuse formule s'inscrit dans un contexte polémique.

Rousseau vient de montrer, en accord avec Hobbes et les partisans de l'école du droit naturel, que toute société, tout Etat, ne peut reposer que sur des conventions : « Puisqu'aucun homme n'a une autorité naturelle sur son semblable, et puisque la force ne produitaucun droit, restent donc les conventions pour base de toute autorité légitime parmi leshommes. » Rousseau entend maintenant se démarquer de ses prédécesseurs en refusant toute espèces de pacte de soumission qui lierait le peuple à des gouvernants, qui soumettrait la liberté des hommesà celle d'un autre.

C'est pourquoi il entend prouver que renoncer à sa liberté conduit à se détruireen tant qu'être humain, et que, par suite, nul ne peut le vouloir. Mais sans doute faut-il comprendre que la liberté pour Rousseau est constitutive de l'humanité : être humain, c'est être libre.

On peut aller jusqu'à dire que la liberté pour Rousseau prend la place du cogito chez Descartes .

Descartes considérait les animaux comme de simples automates, des machines, et la pensée seule assurait l'homme de sa différence essentielle avec les bêtes.

A cela Rousseau rétorque, faisant sienne les thèses sensualistes : « Tout animal a des idées puisqu'il a des sens […] et l'homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus ou moins. » Mais, alors que l'animal est régi par l'instinct, par des règles de comportement innées, fixées par la nature, l'homme est libre : « et c'est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme ».

Ce qui fait la grandeur de l'homme , sa spécificité, sa spiritualité, ce qui le définit en propre, ce n'est plus la raison, c'est la liberté. A partir de ces fondements, mis à jour dans le « Discours sur l'origine et les fondements parmi les hommes » (1755), Rousseau va s'employer à démontrer tous les arguments qui tentent de justifier l'esclavage privé et la sujétion politique. Il entend d'abord réfuter le parallèle établi par Grotius (1583-1645) entre l'esclavage privé et la soumission des peuples.

Si l'on pouvait comprendre qu'un homme se vende pour pouvoir survivre, il n'en resterait pas moins incompréhensive qu'un peuple se donne à un maître qu'il devra nourrir.Rétorquer que le peuple gagne au moins sa sécurité revient à dire, selon Rousseau , que les compagnons d' Ulysse étaient en sécurité dans l'antre du Cyclope : ils attendaient tranquillement d'être dévorés chacun à leur tour.

Enfin, même si u peuple pouvait se donner, il ne pourrait en aucun cas engager la liberté de ses enfants, nés libres, car en admettant que l'on puisse disposer de sa liberté, on ne peut engager celle des autres. Rousseau commence ici à démontrer les arguments fallacieux qui justifient l'emprise du pouvoir sur les hommes, et les privent de leur bien le plus précieux au nom d'une prétendue sécurité.

Mais il va plus loin en montrant que même un contrat de soumission est, en fait, juridiquement nul,moralement inconcevable. Un contrat suppose un échange de biens entre contractants, or renoncer à sa liberté, c'est renoncer à tout, c'est échanger un bien un bien infini(ma liberté) contre un avantage qui sera par définition disproportionné.

Si je donne tout, que pourra-t-on me restituer en échange ? Ce contrat estun contrat de dupe.

Je renonce à tous mes droits, je les donne à une autre qui en use à sa guise.

Qu'aurais-je à réclamer contre lui ? Que pourrais-jefaire s'il veut me nuire ? « C'est une convention vaine et contradictoire de stipuler d'une part une autorité absolue et de l'autre une obéissance sans borne.

» Renoncer à ma liberté revient à promettre d'obéir inconditionnellement à un autre, donc à me considérer comme un simple instrument, un simpleobjet, une chose dont l'autre peut disposer à sa guise.

Or, vouloir être un objet, un esclave, est impossible Je n'abdique pas alors simplement mesdroits, mais que je renonce aussi à mes devoirs, que je me détruis comme être moral.

Si celui auquel j'ai promis d'obéir m'ordonne de faire une action que je juge atroce, de deux choses l'une, ou bien j'obéis, mais alors j'abdique tout jugement, me considère comme une machine, et me niecomme être moral, je ne suis alors (à mes propres yeux) qu'un instrument animé, ou bien je refuse d'obéir et dans ce cas je fais éclater au grandjour que ce contrat de soumission est intenable, que je n'ai jamais pu véritablement vouloir obéir inconditionnellement. Ne pas être libre signifie ne pas accomplir sa volonté mais celle d'un autre.

Or, Rousseau montre que la liberté définit l'homme comme tel, et que nul e peut vouloir renoncer à sa liberté, cad nul ne peut vouloir véritablement se soumettre.

Ce serait « renoncer à sa qualité d'homme », vain &contradictoire : autant dire qu'un homme voudrait devenir un esclave, un instrument, une chose.

L'importance de la conception de Rousseau n'est donc pas tant de montrer que l'homme est naturellement libre que d'affirmer que cette liberté est inaliénable, et doit perdurer sous les lois, sous lepouvoir.

La liberté ne s ‘échange pas, on n'échange pas tout contre rien.

Sont ainsi disqualifiées toutes les théories qui, sous couvert d'assurer àl'homme sa sécurité, sa simple survie biologique, le privent en réalité de l'essentiel.

Cette sécurité est illusoire, cette survie est dégradante, en tantqu'elle transforme l'homme en chose et le prive de toute moralité.

En ce sens, La pensée de Rousseau se veut libératrice : « Les esclaves perdent tout dans leurs fers, jusqu'au désir d'en sortir ; ils aiment leur servitude comme les compagnons d'Ulysse aimaient leur abrutissement. » Rousseau anticipe sur le premier article de la « Déclaration des droits de l'homme » : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Faire ainsi éclater l'illégitimité de toute forme d'esclavage ou de soumission impose de penser une forme d'Etat où la liberté soit préservée.

Mais. »

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