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L'homme et la pensée

Publié le 22/10/2011

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Une pensée sans langage, l'accession intuitive et directe à une vérité qui serait plénitude et joie, voilà qui semble désirable, et qui peut même passer par « le désirable par excellence «. Au débutant, la voie parait facile. Les maîtres spirituels savent qu'elle ne l'est pas. Mais pour joindre l'état de béatitude extatique, ce que l'esprit seul n'a pas pu, la drogue, succédané répandu, peut-être le pourra ?

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(Photo USIS) LA REVERIE Quand cet effort choisit de se suspendre, quand la vie intérieure s'accorde un abandon, la pensée « libre » s'épand, se perd dans les sables, se disperse, s'enfuit en rêverie.

Elle se moque alors du réel, de l'utile, du vrai.

Elle se moque d'être ou non adéquate à une action possible.

Et d'être communicable.

Dans la rêverie, la fantaisie se donne libre cours.

Elle ne prend en considération aucune des catégories, aucune des interdictions de la vie quotidienne, pratique.

La loi du temps est déjouée : le pass.é est présent, l'avenir est tout de suite.

La rêverie est complaisante aux vœux du rêveur.

~roche du rêve, elle met en jeu ce qu'il ne sait pas de lui-même : les ressources cachées ·ou à demi-cachées de son inconscient.

Bachelard a montré comme la rêverie puise profondément au fonds commun d'une culture, et redonne vie aux mythes anciens que l'action nie et enfouit.

La pensée rêveuse jette un : ·pont entre la conscience lucide et le monde toujours étouffé de nos désirs et de nos craintes.

Mais justement parce qu'elle est béante à nos fantasmes les moins admis, la rêverie divagante échappe à son propre contrôle : elle se subit elle-même, livrée qu'elle est aux humeurs, aux caprices du cœur et du corps.

Est-ce une pensée libre, que cette rêverie soumise, en fait, aux pulsions affectives, aux thèmes obsédants que toute notre volonté consciente a fait le choix de refuser ? La rêverie se meut dans un espace­ temps ludique, compensation, consolation de l'espace-temps où agir est possible.

Aussi le rêveur, abandonné aux illusions flatteuses de s a dérive, se laisse-t-il flotter hors de sa vie et hors de soi en un non-lieu fait de facilités dont les fausses promesses l'éloignent en fait de ce qu'il souhaite réaliser ou obtenir.

Celui qui rêve son livre ne l'écrit pas.

Celui qui se rêve peintre ne fait pas de progrès en peinture.

La pensée rêveuse, loin de démontrer notre liberté, nous dégoûte même d'être libres; elle substitue le leurre au réel, et recueille san s discrimination les scories d'un psychisme où le pire se mêle au meilleur.

« Je n e suis pas bête, dit encore Monsieur Teste, car chaque fois que je suis bête, je me nie, je me tue ».

La rêverie est l'état d'une pensée qui renonce à « nier », « tuer » sa « bêtise ».

Tentation, pour l'esprit, que ce renoncement à se « tuer » à la moindre alerte : tentation, de renoncer à cette vigilance, et à ces minuscules assassi­ nats secrets.

.Mais c'est renoncer à l'esprit même : c'est renoncer à l'exercice actif et vivant de la pensée , laquelle exerce sa critique d'abord sur soi, quand elle ne démissionne pas.

Faut-il refuser la rêverie ? Ceux qui se refusent le vagabondage de la rêverie, et prétendent diriger leur pensée en lui tenant la bride courte sont-ils de véritables réalistes, et tirent-ils de leur faculté de penser le meilleur parti ? On peut le contester.

En effet, en se privant de rêverie, ils perdent un contact extrêmement préci~ux, pour ne pas dire irremplaçable, avec leur etre le plus profond.

Et, s'il est dangereux de substituer le rêve à l'action et à la création il est aussi dangereux de vivre à la surfac~ de s.oi-même, sans oser affronter ses propres fantomes et sa propre nuit.

Celui qui rêve trop se perd dans les profondeurs de soi-même et s'isole infiniment du monde et du temps, - mais celui qui ne rêve pas tombe dans une autre illusion, et méconnait ses forces vérita­ bles .

Les constructions les plus solides et les plus rationnelles de l'esprit humain ont souvent pris naissance dans une rêverie, comme le montre l'histoire des grandes décou­ vertes scientifiques : Descartes lui-même n'a-t-il pas puisé dans un songe le principe même de sa méthode ? Ce songe, il ne l'a pas écarté de sa pensée comme une absurdité négligeable : il y a au contraire apporté son attention, - une attention rêveuse elle-même.

Et de cette rêverie, il a su tirer l'entrepri se la plus rigoureuse et la plus universelle.

Quiconque refuse la rêverie a peur non de sa liberté, car ce n'est pas la liberté. »

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