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Les hommes sont-ils des êtres à part dans la nature ?

Publié le 23/03/2004

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Le mot nature est ambigu. Le naturalisme du xviiie siècle par exemple est contradictoire. D'une part son épistémologie réduit la nature à un mécanisme (des faits soumis à des lois nécessaires) indifférent aux valeurs humaines. D'autre part, sa morale prétend se fonder sur la nature, c'est-à-dire sur des tendances spontanées, supposées bonnes; la nature devient alors la Mère-Nature, une sorte de providence bienveillante.[Introduction]L'homme est lié à son milieu, et il entretient avec lui des relations qui paraissent spécifiques. D'une part, l'existence de ce que l'on nomme sa « culture « paraît le distinguer clairement de tous les autres vivants. Mais de l'autre, le développement de cette même culture, en particulier dans ses aspects technoscientifiques, fait surgir depuis quelques dizaines d'années une réflexion qui met en cause d'éventuels excès dans la façon dont l'homme accomplit - et dans des proportions que Descartes lui-même n'avait sans doute pas prévues - le programme de devenir (comme) « maître et possesseur de la nature «. Avant de décider s'il convient de freiner l'extension des pouvoirs humains sur la nature, il n'est pas mauvais de se demander si les hommes sont bien des êtres à part dans cette même nature - quitte ensuite à essayer de donner à cette particularité l'ampleur qui paraîtra convenable.[I. La culture comme mise à distance]Que les hommes soient des êtres « à part « dans la nature paraît en fait peu contestable.

Cette question suscite deux approches: on peut se demander ce qui distingue l'homme par rapport aux autres animaux; ce qui fait de l'homme un animal à part Mais on peut également voir qu'on ne nous demande pas quelle est la spécificité des hommes, mais bien si on peut en discerner une. Il faudra donc non seulement se situer sur un plan descriptif, mais également déterminer les enjeux de la question. On ne pourra élaborer philosophiquement la question que si l'on sort d'une pure observation comparative pour s'interroger sur les discours que l'on peut tenir sur l'homme. Si en effet il est un être « à part «, alors on ne pourra pas en parler dans le même registre que pour le reste de la nature. Il faut donc se demander si l'anthropologie est une sous-discipline d'un discours plus vaste sur la nature ou s'il faut lui reconnaître un statut spécifique, notamment en raison de la présence en l'homme d'une « âme «.

« lui-même, il est d'une certaine façon «condamné» à s'autodéfinir.

C'est ce qu'avait compris Rousseau ; c'est ce que redisent à leur manière, en soulignant que les problèmes constants querencontrent les êtres humains aboutissent à des solutions très variables, lesethnologues, aussi bien que l'existentialisme sartrien.

Quel que soit l'aspect deleur culture que l'on privilégie (prohibition de l'inceste ou pratique del'échange, soins apportés au cadavre ou travail sous sa forme élémentaire),les hommes nient le donné naturel immédiat.

C'est par cette négationpremière qu'ils instaurent leur singularité, précisément parce qu'elle estimpossible aux autres espèces. Alors que l'animal obéit à ses instincts et ne peut qu'en réaliser le programme,l'être humain n'a que des pulsions l'autorisant à en varier les réalisations, et àinnover, en se transformant en fonction de ses premiers acquis.

Si la faim estbien, au départ, un besoin naturel, parce que relevant de la seule physiologie,la définition de ce qui est mangeable aussi bien que les façons de le préparern'ont plus rien de commun avec la nature.

On peut ici généraliser : tout cequi, dans l'homme, est d'abord donné par la nature (tout ce qui relève ducorps), est élaboré de multiples façons – au point que, finalement, le corpshumain n'est jamais accepté ni exhibé dansson état « naturel » ou initial : il devient un corps pris en charge par lescultures, et se révèle dès lors défini comme « humain » par les modificationsqui lui sont apportées.Cette négativité active de l'homme, c'est sans doute dans le travail qu'elle semanifeste avec ses conséquences les plus marquées. [II.

Travail, sens et valeur] L'analyse philosophique du travail, telle qu'elle est menée de Rousseau à Marx via Hegel, montre qu'il consiste en unedouble transformation : de la matière, mais aussi, simultanément, de l'homme lui-même.

En sorte que l'éloignementde l'homme relativement à la nature n'en finit pas de s'accentuer – dans la mesure où le façonnage de la matièreproduit un homme qui diffère de ce qu'il était antérieurement (cf.

la dialectique du maître et de l'esclave chezHegel).

La particularité des hommes s'affirme de plus en plus à travers l'histoire – dimension de l'existence que leuraction inaugure en quelque sorte et qu'ils sont les seuls à connaître.

C'est au point que leur univers devientirréductible à l'ordre simplement naturel (c'est d'ailleurs à ce niveau, encore anthropologique, que Sartre rencontre laréalité de la liberté).

Pour l'homme qui travaille, la nature n'est donc qu'un moyen.

L'univers des fins appartient exclusivement auxhommes, comme leur appartiennent les projets, les valeurs et les significations.

L'abeille ou le castor obéissent à desprogrammes physiologiques là où l'humain commence par concevoir un but (cf.

Marx : « Ce qui distingue dès l'abordle plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de laconstruire dans la ruche.

Le résultat préexiste idéalement dans la tête du travailleur »). Marx met en avant la distinction et de nature qui oppose la productionhumaine à la production animale.

La première est l'oeuvre d'un esprit libre quidécide de créer et de produire l'objet de son désir, y compris ce qui estinutile.

La seconde est l'oeuvre d'un simple instinct qui ne fait qu'exercer undéterminisme naturel visant à la seule conservation de la vie et de l'espèce.L'animal produit en effet sans le vouloir et sans en avoir conscience.Lorsqu'une abeille construit son alvéole, par exemple, c'est sans décider elle-même de la forme qu'elle lui donnera.

En revanche, chez l'homme, laproduction connaît deux moments : la conception d'abord puis la réalisation.Plus loin dans sa réflexion, Marx analyse l'exemple de l'abeille et del'architecte.

L'abeille ne fait qu'obéir à un déterminisme naturel, alors quel'architecte est lui-même l'auteur de son projet.

Marx en vient même à direque «la différence qui existe entre l'architecte le plus maladroit et l'abeille laplus habile, c'est que l'architecte porte d'abord sa maison dans sa tête ».Le sens de l'opposition dégagée par Marx dans ce texte est celui d'unedéfense et illustration de la liberté humaine que l'on trouve dans la productionde l'homme.

C'est pourquoi Marx insistera toujours pour que l'associationtravail-liberté ne soit pas sacrifiée au nom du capitalisme.

La conception du but indique l'ouverture d'un domaine du possible, qui vient doubler la nature : comme le pensait déjà au xv siècle Pic de la Mirandole, l'homme n'a pas dans la nature de statutou de lieu prédéterminé, et il peut ainsi devenir ce qu'il veut, en bien ou en mal (De la dignité de l'homme).

Rousseauet la pensée contemporaine le répètent : les hommes sont bien des êtres à part dans la nature, parce qu'ils sont lesseuls à agir au sens propre, ouvrant la dimension de l'Histoire, et parce qu'ils sont la source des valeurs (eux seuls. »

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