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V. Hugo, Préface du Cochon de Saint-Antoine.

Publié le 26/04/2011

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Qu'est-ce donc que les contes de Voltaire? — Le merveilleux. Et qu'est-ce donc que Voltaire? - Le bon sens.    Mais je me trompe. Voltaire n'est pas seulement le bon sens, il est la science, la philosophie pratique, la morale, la civilisation, le droit, la liberté, l'humanité s'enseignant elle-même, l'homme universel qui révèle l'univers à l'homme. Il est le vulgarisateur souverain du Dictionnaire philosophique, qui, voyant le despotisme partout, non seulement dans les idées, dans les mœurs, dans les traditions et dans les croyances, mais jusque dans les mots, prit les mots un à un, les retourna, les déshabilla, les mit à nu, et leur enleva le bâillon monarchique et religieux, qui fit brusquement de tous ces mots esclaves, de tous ces mots muets, la lumineuse et militante légion du verbe, et qui leur arracha, après dix-huit siècles de silence, un immense cri de liberté. Il est le causeur intarissable et exquis de sa Correspondance où il se montre tour à tour familier et profond, spirituel et sublime, implacable et pathétique, paternel aux souffrances, terrible aux abus et à la sottise, secourable aux idées, faisant ensemble le voyage autour de sa chambre et le voyage autour de son siècle, à la fois l'homme du coin du feu et le Titan du flambeau. Il est le civilisateur dont le souffle révolutionnaire traverse toutes les œuvres, même celles qui, comme la Henriade et ses Tragédies ne gardent pas dans la forme le niveau de son génie. Il est l'histoire qui, sachant que l'histoire est la grande régicide, marche à pas énormes, dans Y Essai sur les mœurs, à travers tous les faits, tous les pays et tous les règnes; qui fait passer successivement chaque roi devant les yeux du lecteur avec son cortège d'événements, qui effleure et qui approfondit, qui a en même temps la rapidité d'une foule et la certitude d'un guide, qui, chemin faisant, touche à l'arquebuse de Charles IX, au crucifix de Philippe II, au billot de Marie Stuart, au poignard de Ravaillac, au chapelet de Louis XIII, à la cuirasse de Richelieu et même au visage du masque de fer, et qui, quand il s'arrête, a fait, sinon le plein jour au moins déjà l'aurore, et a mystérieusement éclairé, devant le trône, le seuil géant de 89. Il est enfin l'avocat douloureux et pathétique des suppliciés, condamnés de son temps, sans crime et sans jugement, à ces morts effrayantes qui duraient depuis le lever jusqu'au coucher du soleil, et où le sang du patient n'arrivait au sépulcre qu'à travers le sablier; il est la conscience humaine enseignant l'humanité à ces magistrats sanglants qui siègent dans l'histoire du passé sur les degrés de l'échelle du gibet; il est le sauveur de d'Étallonde et de Sirven, le vengeur de Calas innocent qu'on vient de rouer, de Lally-Tollendal innocent qu'on vient de décapiter, de La Barre innocent qu'on vient de brûler et qui a eu quatre bourreaux à la fois; lui le rieur, lui le démolisseur ironique, lui l'immense satire, il est à son heure toute la pitié de son temps, et, frappant de déchéance avec ses éternels plaidoyers le vieux système des pénalités sauvages, décrétant moralement cette abolition de la torture que Louis XVI ne fera que contresigner, il enlève à l'échafaud tout son luxe de cruautés, il lui retire le pilori, la langue coupée, la poix bouillante, la tenaille, le brodequin; il broie la roue, il brise la potence, il pulvérise le bûcher, et il arrache à la peine de mort ses mille morts.    Voilà ce que c'est que Voltaire. C'est, si on veut faire la philosophie de son œuvre, l'homme qui a tout employé à tout détruire, et pour qui l'obstacle a été l'arme. Les idées avaient pour ennemis les mots, il s'arma de mots; la justice avait pour ennemis les juges, il s'arma des supplices; la liberté avait pour ennemis les historiens, il s'arma de l'histoire; la vérité avait pour ennemis la superstition, le miracle, la fable, le conte, il s'arma du conte.    V. Hugo, Préface du Cochon de Saint-Antoine.    Vous ferez de ce passage soit un résumé, soit une analyse. Puis vous choisirez dans le texte une question à laquelle vous attachez un intérêt particulier, vous en préciserez les données et vous ' exposerez vos propres vues sur cette question.

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