IBN AL-FARIDH
Publié le 21/05/2012
Extrait du document
Chareffedine Omar Ibn al-Faridh était né au Caire en 577 de l'hégire (u81 de l'ère chrétienne). Après avoir cherché en vain l'illumination dans la retraite et l'austérité, il se rendit à La Mecque sur le conseil d'un saint caché sous la personne d'un vieil épicier que tout le monde prenait pour un idiot. Il passa en Arabie une quinzaine d'années en un ou deux séjours, revint au Caire en 1231 et y mourut en 632 (1235).
«
nuances communes à des idées diverses et dont le cliquetis sonore exprime la vision d'un monde
merveilleusement illusoire et réel à la fois.
Çajâoun oua lâ mâoun, oua louthfoun oua lâ haoua, oua
noûroun oua lâ nâroun oua roûhoun oua lâjismou.
C'est une limpidité et ce n'est pas de l'eau, c'est une
fluidité et ce n'est pas de l'air, c'est une lumière et ce n'est pas du feu, c'est un esprit et ce n'est
pas un corps.
Le jeu de mots coïncide alors avec l'affirmation rayonnante de la réalité transcen
dante et immanente à la fois.
Rien de cela; tout est cela; tout est néant et tout est Etre; tout est
sans
prix; la poésie est la réalité absolue.
Pour réaliser l'identité suprême, il est clair qu'il ne suffit pas de syllogisme; il faut des rites,
des ascèses, des techniques.
La science des positions et des respirations est utile, mais courte.
Quel épanouissement, quelle plénitude, quand éclate au milieu des litanies et des danses extatiques
le
chant d'un beau vers, écho des musiques célestes! La poésie devient exercice spirituel, et de
nos jours encore, les vers d'Ibn al-Faridh, le « pôle des gnostiques », le « sultan des amoureux »
ne cessent d'être chantés dans de telles circonstances, dans le Moyen-Orient comme dans le
Maghreb.
Ces vers, dont nous venons d'identifier le sens profond, ressassent avec des répétitions
lancinantes,
comme celles de la souffrance et de l'amour, les thèmes du souvenir et de la nostalgie,
de la générosité, de la fidélité, de la soumission amoureuse, des angoisses de la « nuit obscure »,
de l'amour, source et terme du grand jeu de l'existence, de la quête de l'âme à la recherche des
« traces » de son Dieu, de l'ivresse qui est la véritable lucidité.
Je n'ai que mon âme, Celui qui donne son âme par amour n'est pas prodigue.- Montre la coquetterie la
plus orgueilleuse; tu
en as le droit: conduis-toi en tyran; la beauté t'a donné ce pouvoir! - Si ma destruction
doit
m'unir à toi, ah! Jais la venir! Q,ue je sois ta rançon!- Vous avez pris mon cœur, qui est une partie de moi.
Q,uel mal cela pourrait-il vous Jaire de me prendre tout entier? - Où qu'ils aillent, ils sont devant mes yeux;
où qu'ils soient, dans mon cœur.
Qu'importe s'il semble s'éloigner.
Celui que j'aime est avec moi; s'il s'absente
de la prunelle de mon œil, il est en moi.
- Tu es présent en moi dans ton absence même, et dans ta cruauté je
sens une tendresse.
- La pleine lune a remplacé pour mon œil réveillé l'image de ta face; en toute forme
étrangère
ton apparition a rafraîchi mes _yeux; je n'ai vu que toi seul.
Sans doute, le mysticisme d'Ibn al-Faridh ne le fait pas complètement échapper à la contra
diction existentielle dont il dit si bien les angoisses.
Il court « vers les souffles du zéphir »; il ressent
tous les sentiments
humains; chaque beauté perce son cœur d'un glaive de feu.
Les puristes lui
reprochent d'avoir composé dans sa jeunesse un distique sur un garçon boucher, et en arabe
dialectal encore! et aussi d'avoir eu des esclaves musiciennes et danseuses à Bahnassa, dans la
banlieue du Caire.
Mais il faut tenir compte de son tempérament nerveux extrêmement complexe;
et cette commotion déclenchant l'extase, il la trouvait aussi bien à la vue d'un chameau ou à
l'audition d'une musique.
Se
promenant un soir au bord du Nil, il entendit un foulon qui s'emportait contre son
travail :
Ce morceau de drap me coupe le souffle.
S'il ne se nettoie pas, qu'il soit déchiré.
Alors Omar Ibn
al-Faridh se mit à répéter ardemment: Il m'a coupé l'âme! S'il ne se nettoie pas, qu'il soit déchiré.
Combien difficile de purifier l'esprit de tout le contingent, de le couper, de l'annihiler dans
l'Existence véritable!
Un autre soir, des gardes de police chantaient une chanson d'amour : Monseigneur, nous
avons veillé, espérant t'atteindre.
Monseigneur,
tu ne l'as pas permis et nous nous sommes endormis pour rêver
de toi.
A1onseigneur, le rêve n'est pas venu.
Sans doute ne nous prêtes-tu aucune attention.
Ibn al-Faridh passait par là.
Saisi par l' « état », il se mit lui aussi à chanter :
0 habitants de Thaï ba, n'avez-vous pas à offrir les mets de l'hospitalité? La nuit a conduit vers vous
un hôte étranger.
Gesticulant, perdant le contrôle de ses sens et de ses gestes, il se mit à déchirer ses vêtements,
à pleurer et à gémir jusqu'à l'aube de façon si émouvante et contagieuse, que les passants attroupés
l' imitèrent.
Certains
de ses vers, assure son petit-fils Ali, lui venaient, d'une perfection et d'une virtuosité.
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