L'idée de patrie ?

La patrie, c'est la nation envisagée sous un aspect sentimental et presque religieux. Ainsi comprise, la patrie est quelque chose d'extrêmement primitif et spontané, dont on trouve les manifestations tôt dans l'histoire : chez les anciens, bien sûr, pour lesquels la patrie incarne à peu près toutes les valeurs parce qu'en la Cité se confondent les cadres religieux, juridiques, moral, géographique... de l'existence. Mais on peut remonter plus loin et trouver presque partout les manifestations d'un attachement naturel de l'homme à ce qui, dès sa naissance, l'entoure : les visages, les coutumes, les ancêtres, les paysages... Ce n'est pas seulement une question de commodité, d'utilité, d'habitude, mais un besoin, semble-t-il, de s'enraciner dans le concret, le défini, de trouver auprès des gens et des choses connus dès l'enfance comme une sorte de permanence rassurante. « Cela n'a pas changé » : ainsi s'exprime l'heureuse surprise du voyageur qui « rentre au pays » après une longue absence. L'exilé, le déraciné, connaissent, eux, au contraire, cette angoisse de n'être de nulle part, de ne se sentir rattaché à rien par des fibres plus fortes que toute raison ; même s'ils se fixent quelque part, ce sera toujours avec le sentiment qu'il n'y a dans leur choix rien de nécessaire, donc de définitif, et leur imagination reste vagabonde. Il leur manque cet attachement privilégié à un coin de terre, pas nécessairement le plus beau ou le plus agréable, mais qui soit vraiment leur, en vertu de ces affinités mystérieuses qui ne se nouent que dans l'enfance, et relèguent le reste de la planète au rang d'un album d'images. Comme le dit si bien Ramuz : « Je suis patriote parce que j'aime mon pays au sens géographique du mot, j'aime une terre, un certain climat, un certain ciel, je l'aime de nécessité. J'aime cette terre parce que j'en sors, ce climat et ce ciel parce que j'en ai toujours été entouré ; je consens par là au mystère qui préside pour chacun de nous à sa naissance au monde et à sa promotion à l'être.