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L'inconscient est-il notre ennemi ?

Publié le 26/03/2004

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. Je pensais à ces choses comme je lisais la « Psychanalyse de Freud ; ce n'est qu'un art de deviner ce qui n'est point » (« Propos », « Signes ambigus », 17 juillet 1922). Ou encore dans un « Propos » antérieur : « Cette idée de l'inconscient, tant vantée et si bien vendue, je n'en fais rien ; [...] quand j'ai voulu en user, afin de me mettre à la mode, elle n'a rien saisi de l'homme, ni rien éclairé » (« Fantômes », 23 septembre 1921). Il s'agit, pour Alain, de quelque chose de plus qu'une simple question de mots. Il estime qu'on ne peut aucunement, à partir des doctrines sur l'inconscient ou l'hérédité, fonder une quelconque morale : « Le public comme les auteurs n'ont point coutume de dire conscience morale ; ils disent conscience, et tout est dit », ou encore, « J'étais aidé par la langue commune, qui n'admet point d'autre sens du mot conscience que celui qui implique le jugement moral. » (Alain, « Histoire de mes pensées « ). Au contraire, lorsque Freud parle d'inconscient, il le fait en référence à la conscience psychologique, et pas du tout par rapport à la conscience morale. Certes la conscience est toujours double, car la conscience oppose toujours ce qui devrait être à ce qui est. « La conscience suppose une séparation de moi d'avec moi, en même temps qu'une reprise de ce qu'on juge insuffisant, qu'il faut pourtant sauver.

« formée en pleine attention » n'est pas une pensée du tout.La fabrique de notre corps peut produire des suites de paroles et de gestes par le simple jeu de l'excitation et de lafatigue.

Et parce que je suis homme (et d'emblée crédule), je suis porté à croire que « tous mes mouvements sontdes signes, et tous mes cris sont des sortes de mots ».

Je suis porté à croire « que tout cela a un sens, et traduit àmoi-même mes propres pensées, pour moi secrètes, de moi séparées, et qui vivent, s'élaborent, se conservent dansmes profondeurs ».

Et avec le grand talent d'écrivain qui est le sien, Alain dénonce cette illusion : « C'est une erreursur les pensées mêmes, que l'on croit conserver en soi comme des pensées dans les profondeurs, qu'on reverra, quiauront grossi ; ou comme des algues recouvertes d'une eau opaque, qui grandissent et se nourrissent, et quequelque coup de mer jettera sur la plage.

»Cette croyance en la possibilité de lire les signes renvoie à cette toute-puissance des passions qui nous rend sifaibles et si crédules.

« Vieille question ; faut-il interroger le chêne de Dodone, ou les entrailles des animauxexpirants ? Ou bien encore, faut-il consulter la Pythie, folle par état et par système, et essayer de lire tous lessignes qu'elle nous jette ? » De même faut-il croire que ce qui vient dans mes rêves, « ce qui sort de mes entrailles,sans que je l'aie composé ni délibéré, est une sorte d'oracle, cad une pensée venant des profondeurs » ? Alainrépond résolument non.

Non, il faut refuser de croire que les mouvements de notre corps signifient des pensées.

Nonil faut refuser d'interpréter ses propres rêves.

« Il faut plutôt rejeter au mécanisme de la nature ces prétenduespensées, qui ne sont que des rencontres de signes » (« Sentiments, Passions & Signes »). Comme on le voit, la critique de l'inconscient qu'on trouve chez Alain ne porte pas sur tel ou tel point de la doctrinede Freud.

Elle est absolument radicale parce qu'elle écarte, comme on l'a vu, le psychologisme.

Au profit de lamorale.

Mais elle est radicale aussi parce qu'elle repose sur une certaine conception de l'homme.

Pour les tenants del'inconscient, il y a croyance en une intériorité, avec ses degrés de conscience, de préconscient, d'inconscient.

Aucontraire pour Alain, il n'y a point un « intérieur » de l'homme : « L'intérieur de l'homme, et ce genre de pensée quiprétend se passer du monde, voilà une fiction de littérateur ».

L'homme qui pense (et c'est là l'honneur de l'homme),c'est un homme non pas replié sur lui-même dans une éternelle introspection, mais projeté dans le monde : «L'homme pensant, selon moi, c'est l'homme en mouvement.

» Ce qui est « en lui », dit Alain, ce n'est pas la pensée,mais ce qui est structure et mouvement.

« Bref le dedans de l'homme n'explique jamais rien de ce qu'il dit ou de cequ'il fait.

» Ainsi la pensée de l'homme est dans son action qui lui fait parcourir le monde.

« Point n'est besoin desupposer quelque idée sourde qui revient du fond de la nuit ; le monde est assez grand ; et l'homme pensant leparcourt, faisant de chaque chose dieu et destin.

» (« Propos », « Fantômes », 23 septembre 1921). L'inconscient représente une menace destructrice potentielleJung, à propos des forces archaïques qui gisent au fond de l'inconscient, dit, dans Dialectique du moi et del'inconscient, qu'elles «peuvent à tout moment fondre sur nous avec la puissance destructive d'une avalanche».L'homme doit s'efforcer de connaître autant que possible les profondeurs de son âme afin de ne pas devenir le jouetde son inconscient.

C'est d'ailleurs ce que disait déjà Freud: Dans la trente et unième des « Nouvelles conférences d'introduction à lapsychanalyse » (1932), intitulé « La décomposition de la personnalitépsychique », Freud décrit le but du traitement psychanalytique par cetteformule : « Là où « çà » était, « je » dois devenir », où le « ça » représentel'inconscient.

Il est remarquable que la traduction de la phrase allemande aitprêté à controverses.Pour comprendre l'enjeu de cette phrase, il faut garder à l'esprit que lapsychanalyse, avant d'être une discipline, voire une science, est avant toutune thérapie, une façon de guérir des patients.Dans notre texte, Freud affirme « C'est que l'être humain tombe malade enraison du conflit entre les revendications de la vie pulsionnelle et la résistancequi s'élève en lui contre elles ».

La maladie provient d'un conflit entre lesnormes « éthiques, esthétiques et sociales » et des désirs qui « semblentremonter d'un véritable enfer ».Or ces désirs censurés ne sont pas plus conscients que la censure elle-même.Le malade subit donc un combat interne dont il n'a ni la maîtrise, ni laconnaissance : « La psychanalyse entreprend d'élucider ces cas morbidesinquiétants, elle organise de longues et minutieuses recherches, elle se forgedes notions de secours et des constructions scientifiques et, finalement peutdire au moi : « il n'y a rien d'étranger qui se soit introduit en toi, c'est unepart de ta propre vie psychique qui s'est soustraite à ta conscience et à lamaîtrise de ton vouloir.

»En quoi consiste alors le traitement ? A traduire l'inconscient en conscient : « On ne prête pas assez attention danscette affaire à un point essentiel, à savoir que le conflit pathogène des névrosés n'est pas comparable à une luttenormale que des tendances psychiques se livrent sur le même terrain [...] Il y a lutte entre des forces dontquelques-unes ont atteint la phase du [...] conscient, tandis que les autres n'ont pas dépassé la limite del'inconscient.

C'est pourquoi le conflit ne peut aboutir que lorsque les deux se retrouvent sur le même terrain.

Et jecrois que la seule tâche de la thérapeutique consiste à rendre cette rencontre possible.

» (« Introduction à lapsychanalyse »).Le but de la cure est donc de faire que le patient, au lieu de subir un conflit dont il n'a pas la maîtrise, puisseprendre conscience de celui-ci.

Un conflit qui existe mais n'est pas posé ne peut être résolu.

Seule la claireconscience des désirs qui agitent le patient, et des choix qu'il doit faire entre ses désirs et ses normes, peut amener. »

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