L'influence de Rousseau ?

Du vivant même de Rousseau, sa gloire et son influence furent considérables. Ses deux Discours, ainsi que la Lettre à d'Alembert, furent discutés avec passion dans l'opinion éclairée. En condamnant les sciences, les arts, les raffinements de la civilisation, en exaltant la pureté des instincts primitifs, Rousseau prenait position contre Voltaire et les encyclopédistes, fervents de la raison et apôtres du progrès; et il était salué comme le chef d'une réaction contre les idées des philosophes.

Ses deux triomphes furent La Nouvelle Héloïse et l'Émile. La Nouvelle Héloïse eut plus de soixante-dix éditions en quarante ans; des milliers de lecteurs, et surtout de lectrices, versèrent des larmes sur les malheurs de Julie et de Saint-Preux, s'attachèrent aux problèmes moraux que posaient certaines lettres, rêvèrent d'une vie familiale idyllique dans un décor naturel : à bien des mondains corrompus, La Nouvelle Héloïse rendait le goût d'une vie simple et d'une pureté perdue. L'Émile fit méditer bien des parents, bien des éducateurs; des mères écrivirent à Rousseau pour lui demander des conseils, des directives; quelques enfants furent entièrement élevés selon ses principes; un plus grand nombre servirent de terrain d'expérience, jusque dans la plus haute société, à quelques-unes au moins de ses suggestions : « des reines ont allaité leurs enfants; un grand roi a appris un métier «, note avec enthousiasme Bernardin de Saint-Pierre; et Mme de Staël exprime une opinion couramment répandue, lorsqu'elle écrit en 1788 : « Il me semble que l'enfant élevé suivant les principes de Rousseau serait Émile, et qu'on serait heureux d'avoir Émile pour fils. «