Devoir de Philosophie

L'Ingénu De Voltaire

Publié le 21/07/2010

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INTRODUCTION

Le XVIIIe siècle, marqué par une période de révolte, de contestation et d’esprit plus critique, a apporté de grands bouleversements et des métamorphoses notoires dans la quasi-totalité des secteurs de la vie. Aux niveaux social, politique et religieux, de grands changements ont vu le jour sous l’influence des grands écrivains et philosophes du «Siècle des Lumières «. La littérature change alors de source d’inspiration et de destinataire. Elle ne sera plus sous la houlette et la commande des rois et de la bourgeoisie, bien au contraire. Les écrivains philosophes vont se pencher sur les maux qui gangrènent la société et dénoncer à travers leurs œuvres toutes les injustices dont souffrent les minorités et les plus faibles. Ainsi, les abus de pouvoir, les écarts de la religion et les dérives de la société constituent, entre autres, les principales thématiques qui intéresseront les auteurs du moment. Et Voltaire, l’une des figures emblématiques de la littérature du XVIIIe, inscrit naturellement son œuvre dans l’élan contestataire de cette époque où la superstition et les idées reçues reculent au profit de la pensée rationnelle et scientifique. C’est ainsi que L’Ingénu, paru en 1767, reste une illustration parfaite et une description exacte de la réalité sociale de l’époque. En effet, par le truchement de l’ironie, il jette un regard critique sur les Français sous le règne de Louis XIV, et ainsi dénoncer les tares qui minent toutes les sphères de la société. Dans notre travail, nous tenterons de montrer comment L’Ingénu s’attèle aux critiques sociales, politiques et religieuses. LA CRITIQUE SOCIALE

La satire de la société commence dès les premières pages du roman. Voltaire, en décrivant le prieur, nous dira qu’il « était un très bon ecclésiastique, aimé de ses voisines, après l’avoir été autrefois de ses voisines.« [1] Certes, il le brocarde plaisamment, sans méchanceté, cependant cela donne une idée assez claire sur les personnes qui ont en charge la vie religieuse de la société. Et c’est pour dire qu’ils ne sont pas aussi saints qu’ils le laissent paraître et qu’un petit détour dans leur passé suffit pour se faire une idée de leurs mœurs anciennes. Cette caractéristique n’est toutefois pas propre aux hommes d’Église. Elle se manifeste aussi chez les personnes ordinaires de la société à l’instar de mademoiselle de Kerkabon qui « aimait le plaisir et était dévote«. L’ambivalence dans le caractère des personnages permet ainsi de mettre en relief l’hypocrisie qui se manifeste dans les différentes sphères de la société. La satire se manifeste de façon plus concrète dans les échanges entre le personnage principal du conte et ses hôtes. En effet, il s’agit d’un jeune sauvage d’Amérique, un huron, l’Ingénu, qui a débarqué d’un bateau sur la côte bretonne. Il sera accueilli et adopté comme un fils par les Français. Et c’est à travers les divers échanges et les différentes péripéties qui jalonnent le séjour de l’Ingénu sur le sol français que Voltaire s’attèle à une vraie critique des tares de la société. Le jeune homme de vingt-deux ans possède l’esprit libre, il est maître de ses actes et dit tout ce qu’il pense comme un bon sauvage qui n’a pas encore été au contact de la civilisation. Ses premières discussions avec les Bretons laissent paraître toute l’étroitesse d’esprit des Français du XVIIIe siècle et leur méconnaissance des autres cultures. Ainsi, ces derniers affirment sans gêne qu’ils pensaient que « le français était la plus belle de toutes les langues après le bas breton  [2]« Pire, l’abbé saint - Yves, un personnage du conte, pense qu’ «un homme qui n’était pas né en France n’avait pas de sens commun[3]«. À travers ces deux propos, on peut aisément comprendre la suffisance des Français de l’époque et l’estime qu’ils avaient d’eux-mêmes. Toutefois, c’est le procédé satirique de l’auteur qui nous permet de déduire qu’il cherche plutôt à mettre en lumière le grand défaut de ses compatriotes qui se croient supérieurs et plus intelligents que les autres. D'ailleurs, l’appellation de «sauvage« n’est pas fortuite, car elle permet à Voltaire de faire porter à l’Ingénu toutes les idées et pensées qui sont à l’origine de son combat, à savoir : un homme libre de toute contrainte sociale et religieuse, doué d’un esprit critique et qui ose s’interroger sur la vie de sa société. En effet, les réponses données par le huron lors des discussions avec ses hôtes illustrent bien la tentative de l’auteur de pousser les Français à se pencher sur leurs propres défauts, car ils semblent bien ne pas s’en apercevoir. Ainsi, aux Français qui posaient des questions de façon débile, l’Ingénu répond : «Messieurs, dans mon pays on parle l’un après l’autre; comment voulez-vous que je vous réponde quand vous m’empêchez de vous entendre [4]« La référence à un autre pays est aussi une façon pour l’auteur d’amener les Français à voir, par la comparaison, que les autres peuples qu’ils semblent mépriser sont beaucoup en avance sur eux, car comme le laisse entendre l’Ingénu en parlant des Anglais : «Ce sont de braves gens; ils ne m’ont jamais proposé de me faire sous-diacre; ils ne m’ont point enlevé ma maitresse [5]«. Voltaire, à travers le point de vue du personnage principal, nous apprend qu’il s’agit d’une société intolérante, qui abuse délibérément de la Bible. Ainsi, lors de la toute première rencontre avec le jeune homme, les Français tentent de lui imposer la religion catholique et à se soumettre aux pratiques qui précèdent à la conversion (baptême, circoncision, confession, etc.) Mais c’est sans compter avec l’esprit critique de l’Ingénu qui réussit à déceler clairement les incohérences entre les coutumes de la société et les écrits saints. Les passages faisant état de cet anachronisme sont nombreux dans l’ouvrage. En effet, l’Ingénu n’arrête pas de répéter au fil du livre : « Je m’aperçois tous les jours qu’on fait ici une infinité de choses qui ne sont point dans votre livre [6]«, « Je n’ai point vu dans le livre que vous m’avez donné qu’il fut mal d’épouser les filles qui ont aidé les gens à être baptisés…[7]« ou « Il n’y a pas un mot de tout cela dans le livre [8]«. Ainsi, c’est d’abord par l’usage répétitif de la négation ne …point et ne…pas que le huron manifeste, d’une part, tout son désaccord et son opposition aux exigences de la société et de l’autre, montrer le fossé qui existe entre les écrits bibliques et les pratiques de la population. Par la suite, le discours de l’Ingénu devient plus virulent, parce qu’il interpelle directement les Français dans leur ensemble sur leur incohérence et leur déviance. Il n’hésite pas à pester : « Je vous défie de me montrer dans le livre… [9]« « Montrez-moi dans le livre que m’a donné mon oncle… [10]« Bref, d’un ton satirique et conciliant, l’auteur passe à des réponses plus acerbes et plus accusatrices. Cela nous permet de voir que Voltaire tente bien de pousser ses compatriotes à s’autocritiquer et à revoir leur rapport aux textes sacrés, car comme le mentionne Jacques Van Den Heuvel, dans Voltaire dans ses contes : «L’honnêteté foncière va de pair chez l’Ingénu avec la rectitude intellectuelle. Il est exempt de ces petits calculs, de ces compromissions qui font l’ordinaire de la vie civilisée [11]«. Néanmoins, acquérir la faculté du discernement et de la pensée critique n’est pas chose facile comme le témoigne le parcours de l’Ingénu. C’est par la confrontation des idées , la lecture des livres de sciences et de philosophie et les conversations avec un esprit éclairé que l’on arrive à faire table rase des idées préconçues en quittant le monde des «ignorants« pour accéder au monde des «âmes exercées«. Bien évidemment, la tentative du Huron d’éclairer la lanterne de ses compatriotes par ses discours très critiques envers la société ne sera nullement du goût du clergé qui y voit une manière de libérer le peuple du joug de la religion. Mais, Voltaire ne s’arrêtera pas uniquement à la dénonciation de la manipulation des textes sacrés, il ira beaucoup plus loin en s’attaquant à l’intolérance religieuse et montrer la vraie face de ceux qui sont censés prêcher la parole de Dieu et des dirigeants. LA CRITIQUE RELIGIEUSE ET POLITIQUE

C’est dans le conflit entre, d’un côté, les protestants et les catholiques et, de l’autre, entre les jansénistes et les jésuites que Voltaire s’appuie pour dénoncer le rejet et les persécutions dont les minorités religieuses font l’objet. En effet, dès les toutes premières pages du conte, le personnage principal mentionne dans ses dialogues l’existence d’un groupe qui a dû s’enfuir pour se protéger de la répression religieuse «J’ai trouvé en arrivant à Plymouth un de vos Français refugiés que vous appelez huguenots [12]«, dira-t-il. Cela fait référence aux protestants qui se sont enfuis de la France pendant le règne de Louis XIV. Toutefois, ce n’est qu’à travers la rencontre de l’Ingénu avec les victimes et les discussions qui s’en ont suivies que nous pouvons nous apercevoir de l’étendue de leur souffrance. « Nous abandonnons nos douces campagnes, nous fuyons notre patrie [13]«, se plaignent-ils. En effet, persécutés, opprimés torturés et tués, les survivants sont condamnés à l’exil vers d’autres lieux plus hospitaliers à l’image de l’Angleterre. P.G Castex qui reprend un texte dû à d’Alambert dans son livre Voltaire Micromégas, Candide, L’ingénu écrit : «Enfin, ce qui a mis le comble à la puissance et à la gloire de la société, c’est sous Louis XIV que les Jésuites sont parvenus à détruire ou du moins à opprimer en France les protestants et les jansénistes, leurs ennemis éternels : les protestants, en contribuant à la révocation de l’Édit de Nantes, cette source de dépopulation et de malheurs pour le royaume ; les jansénistes, en les privant des dignités ecclésiastiques, en armant les évêques contre eux, en les forçant d’aller prêcher et écrire dans les pays étrangers, où même ces infortunés trouvaient encore la persécution [14]«. Ce tableau sombre de la situation renseigne éloquemment sur l’intolérance religieuse qui prévaut à cette époque. Aucune forme de différence n’est acceptée et toute forme de velléité envers l’Église catholique est fortement réprimandée. Comme le soutient André Versailles, dans Voltaire, un intellectuel contre le fanatisme : « Marque d’incorruptibilité morale, l’intolérance demeure pour les zélés la gardienne de l’orthodoxie indispensable à la perpétuation de la vérité de l’Église dont l’enseignement doit être, à l’instar de Dieu, éternelle et immuable [15]«. Ainsi, toutes les raisons étaient bonnes et les arguments les plus iniques avancés pour casser toute dynamique d’opposition. La déclaration d’un religieux jésuite disant qu’ «ils sont plus dangereux que les huguenots et les athées [16]« laisse imaginer le fossé qui s’est creusé entre les groupes et la légitimation des sévices qui tombent sur les protestants et les jansénistes. Pourtant, ceux qui sont à la tête de ce conflit et qui l’entretiennent assidument ne sont pas en réalité aussi saints qu’ils le laisser paraître. On apprend au fil du texte que le révérend père de la chaise «était avec mademoiselle du Tron [17]«, que «le prélat était enfermé avec la belle madame de Lesdiguières pour les affaires de l’Église [18]« ou que « l’évêque de Meaux examinait avec mademoiselle de Mauléon l’amour mystique de madame Guyon [19]«. Par ces révélations, Voltaire fustige la débauche et le libertinage sexuel des personnes qui sont censés incarner et sauvegarder les valeurs de l’Église. Et, pour mieux ironiser ce qui se passe entre les quatre murs, il n’hésite pas à utiliser plusieurs fois le terme « affaires« afin de mettre en relief toute la nébuleuse et le caractère louche entre les hommes de l’Église et les belles femmes de la société. Mlle Saint-Yves, l’amour de l’Ingénu, l’apprendra à ses dépens lorsqu’elle décide de demander la libération de son amoureux. Sa rencontre avec le père Tous-à-Tous, guide spirituel et confesseur du roi est la parfaite illustration de cette hypocrisie de la société et de la religion. Ce «directeur de conscience« tente ouvertement de l’encourager à commettre l’adultère afin d’obtenir l’élargissement de son amour. Pire, c’est à travers des références religieuses, «par des arguties scolastiques, par des subtilités de raisonnement dont Pascal a déjà dénoncé le vice profond [20]«, qu’il essaie de persuader la jeune fille à commettre l’acte qui causera plus tard sa mort : « soyez sûre ma fille, que quand un jésuite vous cite saint Augustin, il faut que ce saint ait réellement raison[21]«, « les actions ne sont pas d’une malice de coulpe quand l’intention est pure [22]«. Si les religieux peuvent user d’autant d’influence sur la population, c’est qu’ils jouissent du soutien de la cour et du pouvoir en place. En effet, l’image que donne l’Ingénu donne de la cour et surtout de son roi Louis XIV, c’est celle d’un roi soumis à l’influence maléfique des Jésuites, détourné par eux de la vérité. Les arrestations arbitraires, l’emprisonnement, les abus de pouvoir, etc. ne sont pas seulement ciblés vers ceux qui ne partagent pas les mêmes croyances religieuses, mais ils sont aussi dirigés vers toute personne qui ose en parler et les dénoncer. L’ingénu attaque principalement l’institution des lettres de cachet qui permettent ces arrestations arbitraires « sans aucune formalité de justice«. «Hélas! Monsieur, on est donc bien libéral de lettres de cachet dans vos bureaux [23]«, se plaint Mlle Saint-Yves en s’adressant à Saint-Pouange. L’Ingénu qui fut arrêté et jeté à la Bastille sans être jugé s’étonne que la justice française soit encore en retard par rapport à d’autres pays : « Il n’y a donc point de lois dans ce pays? On condamne les hommes sans les entendre! Il n’en est pas ainsi en Angleterre [24]«, s’indigne-t-il devant Gordon son codétenu janséniste. La Bastille où ils sont emprisonnés constitue un lieu hermétique comme l’illustre la métaphore du cimetière et du tombeau. Ainsi, retranchés du monde, les prisonniers se cognent au silence des hommes et à l’oubli total. Pour donner une idée de ce lieu de l’ensevelissement, Jacques Den Heuvel, cite la réaction de Igli, le héros des Lettres iroquoises de Maubert du Gouvest : « Je t’écris, mon cher Alha, de la Bastille, où je suis par l’ordonnance du surveillant de cette ville immense : c’est l’épaisseur de la terre que ces murs impénétrables de pierre où je suis renfermé. On dit que je suis un impie, que je n’ai pas de religion. Il est vrai, cher ami, que j’ai parlé librement de leurs folies. Au reste, je suis ici bien nourri, mais je n’ai pas ma liberté. Ce présent que nous fait le Grand Esprit on nous l’a ravi. [25]« Cette plainte d’Igli met en lumière le bâillonnement dont fait l’objet tout individu qui ose donner un avis contraire à celui qui est établi par l’Église et l’État. Et pour l’Ingénu qui se plaint qu’on puisse « sacrifier si facilement la liberté des hommes et l’honneur des femmes [26]«, cela montre toute la rage qui anime Voltaire devant la barbarie qui consiste à retirer injustement à l’homme libre « son bien le plus précieux«, le premier de ses droits. CONCLUSION

La démocratie dont jouissent aujourd’hui les sociétés occidentales a permis à l’homme d’être au centre des préoccupations de l’État. Il est aussi au début et la fin de la vie sociale. Une plus grande justice a entrainé la réalisation de la liberté d’expression, la liberté de culte et une séparation entre l’État et l’Église. Toutefois, cet état de fait n’a été possible que grâce à la lutte acharnée des plus grands intellectuels et philosophes du monde. Le XVIIIe siècle, avec ses grands écrivains, a ainsi permis l’éclosion des grands écrivains qui ont posé les jalons d’une société plus démocratique. Voltaire, comme Rousseau et Montesquieu, s’est ainsi inscrit dans le sillage des défenseurs d’une plus grande justice sociale. Avec son conte philosophique l’Ingénu, il s’attèle à une dénonciation de toutes les dérives qu’elles soient d’ordre social, politique ou religieux. Cependant, trois siècles après la parution de son ouvrage, nous assistons de nouveau à la montée en puissance du fanatisme et de l’extrémisme religieux, alors son œuvre ne s’impose-t-elle pas toujours par son actualité ? BIBLIOGRAPHIE Castex, Pierre- Georges, Voltaire « Micromégas«, « Candide«, « L’Ingénu«, Sedes, Paris, 2005, 269 p. Van Den Heuvel, Jacques, Voltaire dans ses contes, de « Micromégas« à « L’ingénu«, Slatkine, Genève, 1999, 357 p. Masson, Nicole, L’Ingénu de Voltaire et la critique de la société à la veille de la Révolution, Paris, 1989, 128 p. André Versailles, Voltaire, un intellectuel contre le fanatisme, Éditions la Renaissance du livre, Belgique, 2002, 101 p. Catherine Trachez- Griffoul, Voltaire, Éditions Bordas, Paris, 1992, 94 p. Plagnol- Diéval, Marie- Émmanuelle, L’Ingénu, Voltaire, «Résumé«, «Personnages«, «Thèmes«, Paris, 1989, 80 p. ----------------------- [1] Voltaire, L’Ingénu, Éditions du Renouveau Pédagogique Inc. Canada, 2007, p. 4 [2] Ibid. p. 8 [3] Ibid. p. 14 [4] Ibid. p.7 [5] Ibid. p.32 [6] Ibid. p. 28 [7] Ibid. p. 27 [8] Ibid. p. 27 [9] Ibid. p. 19 [10] Ibid. p. 22 [11] Jacques Van Den Heuvel, Voltaire dans ses contes, Éditions Armand Colin, Paris, 1967, p. 302 [12] Voltaire, L’Ingénu, Éditions du Renouveau Pédagogique Inc. Canada, 2007, p. 8 [13] Ibid. p. 35 [14] P. –G Castex, Voltaire Micromégas, Candide, L’Ingénu, Éditions SEDES, Paris, 1982, p. 234 [15] André Versailles, Voltaire un intellectuel contre le fanatisme, Éditions la Renaissance du livre, Belgique, 2002, p.32 [16] Voltaire, L’Ingénu, Éditions du Renouveau Pédagogique Inc. Canada, 2007, p. 57 [17] Ibid. p. 56 [18] Ibid. p. 56 [19] Ibid. p. 56 [20] P. –G Castex, Voltaire Micromégas, Candide, L’Ingénu, Éditions SEDES, Paris, 1982, p. 230 [21] L’Ingénu, Éditions du Renouveau Pédagogique Inc. Canada, 2007, p. 70 [22] Ibid. p. 69 [23] Ibid. p. 65 [24] Ibid. p. 62 [25] Jacques Van Den Heuvel, Voltaire dans ses contes, Éditions Armand Colin, Paris, 1967, p. 298 [26] Voltaire, L’Ingénu, Éditions du Renouveau Pédagogique Inc. Canada, 2007, p. 66

 

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« s'autocritiquer et à revoir leur rapport aux textes sacrés, car comme le mentionne Jacques Van Den Heuvel, dansVoltaire dans ses contes : «L'honnêteté foncière va de pair chez l'Ingénu avec la rectitude intellectuelle.

Il estexempt de ces petits calculs, de ces compromissions qui font l'ordinaire de la vie civilisée [11]».

Néanmoins, acquérirla faculté du discernement et de la pensée critique n'est pas chose facile comme le témoigne le parcours del'Ingénu.

C'est par la confrontation des idées , la lecture des livres de sciences et de philosophie et lesconversations avec un esprit éclairé que l'on arrive à faire table rase des idées préconçues en quittant le monde des«ignorants» pour accéder au monde des «âmes exercées».

Bien évidemment, la tentative du Huron d'éclairer lalanterne de ses compatriotes par ses discours très critiques envers la société ne sera nullement du goût du clergéqui y voit une manière de libérer le peuple du joug de la religion.

Mais, Voltaire ne s'arrêtera pas uniquement à ladénonciation de la manipulation des textes sacrés, il ira beaucoup plus loin en s'attaquant à l'intolérance religieuseet montrer la vraie face de ceux qui sont censés prêcher la parole de Dieu et des dirigeants. LA CRITIQUE RELIGIEUSE ET POLITIQUE C'est dans le conflit entre, d'un côté, les protestants et les catholiques et, de l'autre, entre les jansénistes et lesjésuites que Voltaire s'appuie pour dénoncer le rejet et les persécutions dont les minorités religieuses font l'objet.

Eneffet, dès les toutes premières pages du conte, le personnage principal mentionne dans ses dialogues l'existenced'un groupe qui a dû s'enfuir pour se protéger de la répression religieuse «J'ai trouvé en arrivant à Plymouth un devos Français refugiés que vous appelez huguenots [12]», dira-t-il.

Cela fait référence aux protestants qui se sontenfuis de la France pendant le règne de Louis XIV.

Toutefois, ce n'est qu'à travers la rencontre de l'Ingénu avec lesvictimes et les discussions qui s'en ont suivies que nous pouvons nous apercevoir de l'étendue de leur souffrance.

«Nous abandonnons nos douces campagnes, nous fuyons notre patrie [13]», se plaignent-ils.

En effet, persécutés,opprimés torturés et tués, les survivants sont condamnés à l'exil vers d'autres lieux plus hospitaliers à l'image del'Angleterre.

P.G Castex qui reprend un texte dû à d'Alambert dans son livre Voltaire Micromégas, Candide, L'ingénuécrit :«Enfin, ce qui a mis le comble à la puissance et à la gloire de la société, c'est sous Louis XIV que les Jésuites sontparvenus à détruire ou du moins à opprimer en France les protestants et les jansénistes, leurs ennemis éternels : lesprotestants, en contribuant à la révocation de l'Édit de Nantes, cette source de dépopulation et de malheurs pour leroyaume ; les jansénistes, en les privant des dignités ecclésiastiques, en armant les évêques contre eux, en lesforçant d'aller prêcher et écrire dans les pays étrangers, où même ces infortunés trouvaient encore la persécution[14]».Ce tableau sombre de la situation renseigne éloquemment sur l'intolérance religieuse qui prévaut à cette époque.Aucune forme de différence n'est acceptée et toute forme de velléité envers l'Église catholique est fortementréprimandée.

Comme le soutient André Versailles, dans Voltaire, un intellectuel contre le fanatisme : « Marqued'incorruptibilité morale, l'intolérance demeure pour les zélés la gardienne de l'orthodoxie indispensable à laperpétuation de la vérité de l'Église dont l'enseignement doit être, à l'instar de Dieu, éternelle et immuable [15]».Ainsi, toutes les raisons étaient bonnes et les arguments les plus iniques avancés pour casser toute dynamiqued'opposition.

La déclaration d'un religieux jésuite disant qu' «ils sont plus dangereux que les huguenots et les athées[16]» laisse imaginer le fossé qui s'est creusé entre les groupes et la légitimation des sévices qui tombent sur lesprotestants et les jansénistes.

Pourtant, ceux qui sont à la tête de ce conflit et qui l'entretiennent assidument nesont pas en réalité aussi saints qu'ils le laisser paraître.

On apprend au fil du texte que le révérend père de la chaise«était avec mademoiselle du Tron [17]», que «le prélat était enfermé avec la belle madame de Lesdiguières pour lesaffaires de l'Église [18]» ou que « l'évêque de Meaux examinait avec mademoiselle de Mauléon l'amour mystique demadame Guyon [19]».

Par ces révélations, Voltaire fustige la débauche et le libertinage sexuel des personnes quisont censés incarner et sauvegarder les valeurs de l'Église.

Et, pour mieux ironiser ce qui se passe entre les quatremurs, il n'hésite pas à utiliser plusieurs fois le terme « affaires» afin de mettre en relief toute la nébuleuse et lecaractère louche entre les hommes de l'Église et les belles femmes de la société.

Mlle Saint-Yves, l'amour del'Ingénu, l'apprendra à ses dépens lorsqu'elle décide de demander la libération de son amoureux.

Sa rencontre avecle père Tous-à-Tous, guide spirituel et confesseur du roi est la parfaite illustration de cette hypocrisie de la sociétéet de la religion.

Ce «directeur de conscience» tente ouvertement de l'encourager à commettre l'adultère afind'obtenir l'élargissement de son amour.

Pire, c'est à travers des références religieuses, «par des argutiesscolastiques, par des subtilités de raisonnement dont Pascal a déjà dénoncé le vice profond [20]», qu'il essaie depersuader la jeune fille à commettre l'acte qui causera plus tard sa mort : « soyez sûre ma fille, que quand unjésuite vous cite saint Augustin, il faut que ce saint ait réellement raison[21]», « les actions ne sont pas d'unemalice de coulpe quand l'intention est pure [22]».

Si les religieux peuvent user d'autant d'influence sur la population,c'est qu'ils jouissent du soutien de la cour et du pouvoir en place.

En effet, l'image que donne l'Ingénu donne de lacour et surtout de son roi Louis XIV, c'est celle d'un roi soumis à l'influence maléfique des Jésuites, détourné par euxde la vérité.

Les arrestations arbitraires, l'emprisonnement, les abus de pouvoir, etc.

ne sont pas seulement ciblésvers ceux qui ne partagent pas les mêmes croyances religieuses, mais ils sont aussi dirigés vers toute personne quiose en parler et les dénoncer.

L'ingénu attaque principalement l'institution des lettres de cachet qui permettent cesarrestations arbitraires « sans aucune formalité de justice».

«Hélas! Monsieur, on est donc bien libéral de lettres decachet dans vos bureaux [23]», se plaint Mlle Saint-Yves en s'adressant à Saint-Pouange.

L'Ingénu qui fut arrêté etjeté à la Bastille sans être jugé s'étonne que la justice française soit encore en retard par rapport à d'autres pays :« Il n'y a donc point de lois dans ce pays? On condamne les hommes sans les entendre! Il n'en est pas ainsi enAngleterre [24]», s'indigne-t-il devant Gordon son codétenu janséniste.

La Bastille où ils sont emprisonnés constitueun lieu hermétique comme l'illustre la métaphore du cimetière et du tombeau.

Ainsi, retranchés du monde, lesprisonniers se cognent au silence des hommes et à l'oubli total.

Pour donner une idée de ce lieu del'ensevelissement, Jacques Den Heuvel, cite la réaction de Igli, le héros des Lettres iroquoises de Maubert du. »

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