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L'interprétation peut-elle délirer ?

Publié le 02/02/2004

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Pour les superstitieux, les choses n'arrivent ni par hasard ni par une aveugle nécessité, mais parce qu'elles ont un sens (un but et une signification). ...font parler la nature Ils croient que la nature cherche à s'adresser à eux, qu'elle veut les aider ou les punir, qu'elle se préoccupe de ce qu'ils désirent ou ne désirent pas... La superstition consiste à donner un sens à ce qui n'en a pas (prendre des effets nécessaires pour des signes intentionnels). En réalité, la nature est silencieuse : elle ne nous dit rien ; c'est le délire humain qui la fait parler. Les phénomènes de la nature doivent être non pas interprétés (ils n'ont pas de sens caché), mais expliqués (ils ont des causes). Débat et enjeu Y a-t-il un sens absolu ? En ignorant les causes véritables des phénomènes (causes efficientes : A arrive parce que B), les superstitieux imaginent qu'ils sont les effets d'intentions cachées (causes finales : A arrive pour que B). Les superstitieux « continueront ainsi de vous interroger sans relâche sur les causes des événements, jusqu'à ce que vous vous soyez réfugié dans la volonté de Dieu, cet asile de l'ignorance ». Exigeant que les choses aient un sens ultime, la superstition conduit à la religion.

« le « muet silence 5 » de la nature n'a que le sens (subjectif) que nous désirons lui donner. A.

Une interprétation n'est pas une vérité scientifique • Mais dans quelle mesure l'herméneutique, ou le travail de décryptage du sens, est-elle une discipline scientifique ?La vérité d'une interprétation ne peut être la même que la vérité d'une théorie physique exprimée dans un langagemathématique et soumise au verdict de l'expérimentation.

Comme l'a montré l'épistémologue Karl Popper (1902-1994), une théorie physique est une hypothèse qui peut être réfutée, ou « falsifiée » par l'expérience.

Si laconséquence tirée de l'hypothèse et soumise au verdict expérimental se révèle fausse, la théorie sera définitivementabandonnée.

Rien de semblable n'existe dans les disciplines herméneutiques.

Une interprétation peut êtreingénieuse, pénétrante, lumineuse, mais elle reste nécessairement arbitraire.

On ne peut la «falsifier»: il n'existe pasde dispositif expérimental susceptible, le cas échéant, de la réfuter.

À un même fait je peux découvrir plusieurssens.

D'une même expérience, je puis proposer plusieurs interprétations, également significatives mais divergentes –sans avoir la possibilité de trancher.

« Toute interprétation est révocable », conclut Ricoeur dans De l'interprétation(1965) ; « le déchiffrement des énigmes n'est pas une science ». B.

Le conflit des interprétations • C'est un fait bien établi, par exemple par de nombreuses statistiques convergentes, qu'on se suicide beaucoupmoins en temps de guerre qu'en temps de paix.

Quel est le sens de ce fait ? Une herméneutique sociologiqueproposera le sens suivant : dans la patrie menacée, le danger renforce la cohésion du groupe social.

L'urgence despérils communs fait oublier aux uns et aux autres leurs problèmes personnels.

Les drames intimes qui provoquent lessuicides passent au second plan.

C'est notamment l'interprétation que propose Durkheim dans la célèbre étude qu'ila consacrée au suicide en 1897 (Le Suicide).

Mais l'herméneutique psychanalytique propose une signification un peudifférente : en période de guerre, toutes les pulsions agressives sont tournées – concrètement sur le front, enpensée à l'arrière – contre l'ennemi, et les hommes ne songent plus à les retourner contre eux-mêmes.

Lemasochisme latent se convertit en sadisme. • Les deux sens proposés (renforcement des liens sociaux ou bien dérivation des pulsions agressives) sontégalement intelligibles.

Et l'on pourrait sans doute encore en trouver d'autres.

L'herméneutique ne peut être tenuepour scientifique, précisément parce que ses interprétations sont irréfutables – à l'abri de toute réfutationexpérimentale.

L'interprétation pouvant se diriger sous tous les sens, n'ayant aucune barrière pour la limiter peutêtre délirante.

Une interprétation est délirante lorsqu'elle regroupe abusivement tous les faits sous la fausse lumièred'une explication unique qui peut être chimérique. « Un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience.

» POPPER L'histoire des sciences physiques est celle de leur révolution permanente.

Les théories n'ont qu'une valeur provisoire.Des faits « polémiques » surgissent qui les contredisent, qui obligent à des révisions.

Tout succès scientifique ouvreplus de questions qu'il n'en clôt.

Faut-il pour autant sombrer dans le scepticisme et affirmer qu'il n'y a rien qui vaillevraiment ? Comment distinguer, dès lors, la véritable science de la métaphysique ou des pseudo-sciences commel'alchimie ou l'astrologie ? Et que penser des sciences humaines ? La psychanalyse, la théorie de l'histoire de Marxpeuvent-elles prétendre légitimement à la scientificité ? Popper, dans « Logique de la découverte scientifique »propose un critère de démarcation, capable d'établir, de manière concluante, la nature ou le statut scientifiqued'une théorie.

Il écrit : «C'est la falsifiabilité et non la vérifiabilité d'un système qu'il faut prendre comme critère dedémarcation.

En d'autres termes, je n'exigerai pas d'un système scientifique qu'il puisse être choisi, une fois pourtoutes, dans une acception positive mais j'exigerai que sa forme logique soit telle qu'il puisse être distingué, aumoyen de tests empiriques, dans une acception négative : un système faisant partie de la science empirique doitpouvoir être réfuté par l'expérience.

»A l'époque de Popper, on affirmait généralement que ce qui distinguait la science des autres disciplines, c'était lecaractère empirique de sa méthode.

Autrement dit, en multipliant les observations et les expériences, le savant entirait, en vertu du fameux principe d'induction, des lois qu'il considérait comme nécessaires et universellementvalides.

Partant de là, les néopositivistes soutenaient que tout ce qui n'est pas vérifiable est « métaphysique » etdoit être éliminé de la science.

Or, comme le souligne Popper, l'induction, qui consiste à inférer une règle universelleà partir d'une multitude de cas particuliers et donc des théories à partir d'énoncés singuliers vérifiés par l'expérience,est une démarche logiquement inadmissible : « Peu importe le grand nombre de cygnes blancs que nous puissionsavoir observé, il ne justifie pas la conclusion que tous les cygnes sont blancs.

»Aussi Popper affirme-t-il qu'aucune théorie n'est jamais vérifiable empiriquement et il distingue trois exigencesauxquelles devra satisfaire ce qu'il appelle un « système empirique » ou scientifique : « Il devra, tout d'abord, êtresynthétique, de manière à pouvoir représenter un monde possible, non contradictoire.

En deuxième lieu, il devrasatisfaire au critère de démarcation, c'est-à-dire qu'il ne devra pas être métaphysique mais devra représenter unmonde de l'expérience possible.

En troisième lieu, il devra constituer un système qui se distingue de quelque autremanière des autres systèmes du même type dans la mesure où il est le seul à représenter notre monde del'expérience.

»La troisième exigence est la plus décisive.

Comment, en effet, reconnaître le système qui représente notre mondede l'expérience ? La réponde de Popper est la suivante : par le fait qu'il a été soumis à des tests et qu'il y a résisté.. »

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