Jacques le Fataliste et son maître
Publié le 09/04/2013
Extrait du document
Le procédé littéraire utilisé par Diderot est dit « par farcissure «.C'est-à-dire qu ' il mêle des anecdotes et des dialogues (qu'il a recueillis pendant près de quinze ans) à la trame simple du récit de Jacques. Le thème de ce récit est emprunté au Tristram Shandy de Laurence Sterne. Diderot l'évoque vers la fin de son ouvrage, où la réalité croise sans cesse le romanesque; lorsque Jacques s'exclame « c'était écrit là-haut «, Diderot fait transparaître l'allusion à lui-même, auteur penché sur une table, écrivant ce qui arrive.
«
r--------- EXTRAITS
« Le maître fit un signe à l'hôtesse, sur lequel
elle comprit que Jacques avait la
cervelle brouillée.
»
Dès les premiers mots, le déterminisme
de Jacques a raison
Comment s'étaient-ils rencontrés? Par ha
sard , comme tout le monde.
Comment
s'appelaient-ils ? Que vous importe ?
D'où venaient-ils ? Du lieu le plus pro
chain.
Où allaient-ils ? Est-ce quel' on sait
où
l'on va ? Que di
saient-ils ?
Le maître
ne disait rien ;
et
Jacques disait que son
capitaine disait que
tout ce qui nous arrive
de bien et de
mal ici
bas était écrit là-haut.
LE MAÎTRE.
- C'est un
grand mot que cela.
JACQUES.
- Mon capi
taine ajoutait que
chaque balle
qui par
tait d'un fusil avait son
billet.
LE MAÎTRE.
- Et il avait
raison
...
Les histoires rapprochent
le maître et le serviteur
LE MAÎTRE.
- Eh bien, notre hôtesse, il n'y
a donc pas moyen de savoir vos aventures ?
L'HÔTESSE.
- Non.
JACQUES.
- Vous avez un furieux goût pour
les contes!
LE MAÎTRE.
- Il est vrai ; ils m'instruisent
et
m'amusent.
Un bon conteur est un
homme rare.
JACQUES.
- Et voilà tout juste pourquoi je
n'aime pas les contes, à moins que je ne les
fasse.
LE MAÎTRE.
- Tu aimes mieux parler mal
que te taire.
JACQUES.
- Il est vrai.
LE MAÎTRE.
- Et moi,j' aime mieux entendre mal
parler que
de ne rien entendre .
JACQUES.
- Cela nous met tous deux fort à
notre aise.
Les rapports d'autorité de valet à
maître sont parfois inversés ; Jacques
refuse de descendre, l'hôtesse intervient
En achevant ce prononcé(.
.
.) où l'on avait
entendu
(.
.
.) le maître crier à son serviteur :
« Tu descendras ! » et le serviteur crier de
son côté :
« Je ne descendrai pas ! » :
allons, dit-elle à Jacques, vous, donnez-moi
le bras sans parlementer davantage
...
Jacques s'écria douloureusement: il était
donc écrit là-haut que
je descendrais ! ...
L'HÔTESSE À JACQUES.
- Il était écrit là
haut
qu'au moment où l'on prend maître,
on descendra, on montera, on avancera,
on reculera, on restera, et cela sans
qu'il
soit jamais libre aux pieds de se refuser
aux ordres de la tête.
Qu'on me donne le
bras, et que mon
ordres' accomplisse ...
Jacques donna
le bras à l'hôtesse ; mais à
peine eurent-ils passé
le seuil de la chambre, ·
que le maître se préci
pita sur Jacques, et
l'embrassa ; quitta
Jacques
pour embras
ser l'hôtesse ; et les
embrassant
l'un et
l'autre,
il disait : « Il est
écrit là-haut que
je ne
me déferai jamais de
cet original-là, et que
tant que je vivrai
il sera
mon maître et que
je
serai son serviteur ...
»
L'hôtesse ajouta : Et
qu'à vue de pays, vous
ne vous en trouverez
pas plus mal tous deux.
« Agathe est jeune, vive, blanche, grasse,
potelée ; ce sont les
chairs les plus fermes ,
n'est-ce pas? et la peau la plus douce ? »
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Ses écrits ne furent pas tous publiés de
son vivant; ainsi
Jacques le Fataliste,
composé en 177 4, n'a été imprimé pour la
première fois qu'en 1796.
Ce chef-d'œuvre
donne la mesure
du génie de Diderot.
Nulle
lourdeur, nulle affectation, mais au
contraire jaillissement, spontanéité.
A
chaque réplique, le rire fuse.
La générosité,
la jeunesse se reconnaissent
à ce style.
La
postérité
n'a pas manqué d'accorder à
}'écrivain l'hommage que madame de Vandeul,
sa fille, rendait
à l'homme : il est
impossible de le connaître sans l'aimer.
»
Lucien Scheler, préface de Jacques le
Fataliste, La Bibliothèque française, 1947.
emploie
l'image
d'un grand rouleau des
causes et des effets plutôt que celle,
classique,
d'un grand livre.
C'est qu'un
livre a un début et une fin et suppo se
quelqu'un qui
l'a écrit.
Ce quelqu'un qu'il
a toujours refusé, sans parti pris ni hostilité
systématique, simplement parce que cette
hypothèse compliquait et obscurcissait
encore plus, et inutilement, l'interprétation
de la Nature, clef de la connaissance de
l'homme.
» R.
Vitrolles, Dictionnaire des
littératures
de langue française, Bordas,
1975.
« Le récit, fort bizarre, ressemble à une
kermesse d'idées ivres, où l'exquis et
même le sublime se mêlent
au gro ssier et au
saugrenu.
» Henri Berthaut , Dictionnaire
des lettres françaises, Fayard, 1973.
« Pour illustrer le destin , dans sa
" rhapsodie" de Jacques le fataliste Diderot
1 Sipa-Ico no 2, 3, 4 aquare lles de Lelo ng gravées par Se rres, éd , Java! et B ourd eau x, 1928, clich és B.N.
DIDEROT0 2.
»
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