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Jacques GAUCHERON. Les mythes de l'enfance et les mythes de la poésie. (Enfance et poésie.)

Publié le 22/03/2011

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mythes

Aux idées reçues concernant la poésie correspondent exactement les idées reçues concernant l'enfance, si bien que s'établit un jeu de miroir sans fin qu'il nous faut sommairement décrire. Les idées régnantes sur la poésie constituent des images et des mythes dont nous pouvons cerner les traits principaux. Tout le monde croit détenir ici un savoir, et être en mesure de juger. Mais ce qu'on sait le mieux, c'est qu'elle est un genre rébarbatif, un prétexte à exercices scolaires, lectures d'ailleurs réputées difficiles, leçons de récitation fastidieuses. (Ce témoignage est d'ailleurs douteux, puisque le souvenir authentique est plutôt un certain plaisir à apprendre des textes qui se retiennent plus facilement que les proses.) C'est en fait l'institution pédagogique qui est visée, et il est de bon ton d'incriminer le caractère mécanique de la récitation. Le second thème, c'est que la poésie est inutile. On peut s'en passer dans la vie. On parle bien évidemment d'un usage économico-social. Et il faut reconnaître que l'acte poétique est dans son fondement même, une provocation vis-à-vis de l'utilitarisme étroit et de la rentabilité immédiate. Cependant et dans le même temps, on louera la poésie d'être gratuite, on aura tendance à privilégier le non-dire. On se félicitera que la poésie s'écarte de toute signification relative à un contexte social et qu'elle se contente de chanter son peu de sens. Cette apologie de la gratuité revient toutes les fois que se produisent des affrontements idéologiques d'importance. Beaucoup de bons esprits alors s'efforcent de tenir la poésie éloignée des tumultes et des fureurs et voudraient qu'elle soit une petite oasis dans laquelle on trouverait un refuge intellectuel. Le plaisir poétique, certains iront le chercher du côté de l'absurde, de l'insolite pour l'insolite. Volontiers on pensera que l'exercice de la poésie est la mise en œuvre de démarches tout à fait irrationnelles; il arrivera qu'on la brandisse comme une arme contre la raison, comprise en son sens le plus étroit et reflet d'un ordre social déterminé. Tout ceci relève en notre siècle de la séparation qui s'est opérée entre l'intelligence abstraite et la sensibilité créatrice, cette dernière ayant été quasi abandonnée et continuant de l'être par les systèmes éducatifs. Mais peut-être faut-il suggérer que la poésie est malade quand elle recherche l'absurde et l'insolite pour eux-mêmes, alors qu'elle combat pour sa santé lorsqu'elle se définit comme « raison ardente « avec Apollinaire, « ou raison légère « avec Paul Éluard. On en arrive vite à recommander aux poètes de conserver leur fraîcheur, celle de l'enfance évidemment, leur naïveté et leurs attitudes puériles. On souhaite que le poète soit un poète-enfant, c'est-à-dire un être marginal, non impliqué dans les affaires de son temps, éventuellement si cela lui chante, du genre a-social modéré. Quand on essaie ainsi de ramener le poète vers l'image de l'enfance, on n'est pas loin de restreindre la parole à sa futilité, à une sorte de bêtification ou de platitude enjolivée, qui laisse toute chose en son état et passe à côté de ce qui fait l'essentiel de la vie des hommes. Il est sans doute inutile que j'ajoute que je me fais de la poésie une autre conception. Lorsqu'elle s'accomplit pleinement, elle est vérité pratique, raison sensible, inquiétude essentielle ; elle ne peut donc manquer d'être dangereuse. Et c'est là le véritable motif pour lequel finalement tous les immobilismes s'en méfient. Curieusement cette image de la poésie que je viens de tracer plus haut correspond point par point, — ce ne peut être un hasard — à l'image que les adultes produisent de l'enfance. Quand les adultes évoquent l'enfance à travers le souvenir qu'ils ont de leur enfance, ils substituent à une vision authentique des clichés de pensée. On pense généralement que l'enfant est un être spontané, naïf, plein de fraîcheur, tout entier mû par sa joie de vivre, alors qu'en réalité à côté de ces moments spectaculaires de bonheur et de gaieté, il est consciemment et inconsciemment, préoccupé de construire un univers des choses et des gens, dans lequel il puisse s'insérer. Il est incertitude et ignorance, et au plus vite il se barbouille des conventions de pensée qui circulent dans sa vie quotidienne. Il est par la force des choses crédule et les moyens de communication de masse ne se privent pas de cette fragilité pour lui faire colporter n'importe quelle bêtise et lui faire, à travers la publicité rabâchée, désirer n'importe quoi. Loin d'être comme on le prétend un être naturel, il adopte, certes de façon fugitive heureusement, tout ce qui lui apparaît comme ayant bonne réputation. Si l'imitation est pour lui un procédé d'assimilation et d'adaptation, il est somme toute normal qu'il en résulte un certain manque de discernement qui ne se résoudra que par l'expérience et la réflexion. (...) Les adultes prennent ainsi plaisir à ce que disent les enfants (tout simplement par ignorance ou par maladresse dans le maniement de la dénomination), en attribuant des vertus de cocasserie, d'absurdité, d'irrationnel, d'invention saugrenue dont seuls ils son. capables de juger. Le drolatique n'est souvent perçu par l'enfant qu'au moment où il s'aperçoit qu'il fait rire des adultes et devient par là un personnage intéressant. Si l'on ajoute que notre société s'est mise à rendre une sorte de culte à l'enfance — bien que les moyens d'éducation enfantine ne soient pas toujours largement accordés—on en arrive assez vite à l'image de l'enfant-poète, « naturellement « poète au sein d'une conception de la poésie très culturellement édifiée. Les mythes de l'enfance et les mythes de la poésie se recoupent donc de façon quasi inextricable. Tout se passe comme si en poésie l'enfant devenait le modèle obligatoire auquel doit se conformer le poète. Tout se passe comme si enfance et poésie étaient devenues synonymes. Poète-enfant et enfant-poète ne font plus qu'un, ce qui tend à limiter étrangement les pouvoirs de la poésie et le caractère de l'activité poétique.

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