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Jacques Rigaud, Le Futur du Passé.

Publié le 28/03/2011

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Parce que l'architecture, qu'elle soit de pierre, de verre, d'acier ou de béton, s'exprime par une matière qui résiste, parce qu'il n'est au pouvoir d'aucune théorie de la libérer tout à fait des lois de la pesanteur, parce qu'elle n'est pas geste gratuit et irresponsable, mais nécessité de vie, parce qu'enfin elle est faite pour durer et affronter le temps, elle place l'homme devant de vraies contraintes et l'oblige donc à réinventer sans cesse sa liberté. De ce fait, elle nous fournit peut-être le meilleur terrain de réflexion et d'expérience pour analyser les causes du malaise de notre temps au sujet du passé, et pour trouver les moyens de l'intégrer dans le futur, d'entrer dans l'avenir plus résolument parce qu'effectivement réconciliés avec le passé. On peut, impunément, mettre en pièces le Cid, la Tétralogie1 ou la philosophie kantienne2 parce que ces œuvres résistent à toute agression, tant qu'elles subsisteront dans la mémoire d'un seul homme. Mais la cathédrale de Chartres, il faut ou la détruire ou vivre avec elle. On n'échappe pas, en face d'elle, à une responsabilité. Ainsi, le patrimoine architectural nous oblige-t-il à une confrontation sans tricherie ni complaisance avec le passé. Il apparaît alors, non seulement comme un refuge, mais comme un exemple et un défi. Le patrimoine architectural est certainement, en premier lieu, un refuge pour la culture. Osons le reconnaître : nous avons besoin de lui, comme protection et comme référence. De toutes les richesses du patrimoine, l'architecture est, par définition, la plus visible et la plus directement accessible au plus grand nombre. Si le premier objectif du développement culturel est, selon l'expression d'André Malraux, de « rendre accessibles les œuvres capitales de l'humanité au plus grand nombre possible de Français, et d'assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel «, il est vrai que le patrimoine monumental est par lui-même le lieu de la pédagogie la plus claire et la plus directement assimilable. Le musée, le théâtre, la littérature, peuvent intimider un public non préparé, au lieu que le monument, le quartier ancien, par leurs seule présence, s'imposent; leur majesté même est familière. Michelet et Ruskin ont assez dit quels enseignements apportait au peuple la bible de pierre des cathédrales. C'est toute l'architecture qui, aujourd'hui, se fait langage. Mais il ne faudrait pas en conclure qu'elle exerce sa mission par sa seule présence au milieu de nous, aux multiples carrefours de nos existences quotidiennes et de nos loisirs. Il s'agit d'un capital qu'il faut inlassablement maintenir et faire fructifier.

D'abord le maintenir. C'est une tâche immense, herculéenne, qui dans certains cas prend la forme d'un sauvetage spectaculaire et prestigieux, mais plus souvent revêt l'aspect d'un labeur modeste de tous les instants. Mais il ne suffit pas de préserver l'intégrité matérielle des bâtiments. Le rayonnement culturel dépend de leur emploi : l'architecture n'est que le support minéral de la vie. A cet égard, des efforts considérables ont été accomplis, dont on peut dire que, dans les vingt dernières années, ils ont davantage transformé le visage et l'usage du patrimoine que dans les cent années qui ont précédé. Une sorte de malédiction a longtemps pesé sur ces châteaux, ces abbayes, ces hôtels, vestiges de puissances révolues dont une société égalitaire et républicaine ne savait trop que faire, sauf des préfectures dans le temps de gestion, et des brasiers en temps d'émeute. Dans ce patrimoine délaissé, quelques fleurons échappaient seuls à la disgrâce générale. Aujourd'hui, on a compris qu'il était à la fois nécessaire et possible de leur redonner vie. Certains monuments, les plus vastes et les plus notoires, ne peuvent avoir que valeur d'illustration historique, mais complète et vivante. On les rétablit dans un état aussi proche que possible de ce qu'il était, notamment au point de vue du mobilier et de la décoration, à l'un des moments significatifs de leur existence — c'est le cas, bien sûr, de Versailles, dont l'œuvre immense de restauration est exemplaire — ou l'on en fait les témoins synthétiques d'une époque ou d'une tradition — et l'on doit évoquer ici, entre autres, les projets du musée de la chasse à Chambord et de la Renaissance à Ecouen. L'un des mérites de notre époque aura été, d'autre part, de concevoir une politique de restauration et d'animation de quartiers anciens, considérés dans leur unité architecturale et historique ; c'est l'objet des « secteurs sauvegardés «, dont maints exemples, comme Sarlat, Colmar, Chartres et le Marais3, montrent qu'il ne s'agit pas d'y créer une vie artificielle, mais une animation réelle, diversifiée. Jacques Rigaud, Le Futur du Passé. 1. Résumez ce texte en 200 mots environ (une marge de dix pour cent en plus ou en moins est admise). Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre de mots employés. 2. Expliquez de façon concise les mots et expressions suivantes : — « geste gratuit «, — «herculéenne«. 3. Discussion La défense du patrimoine est-elle compatible avec les exigences du monde moderne ?

« La défense du patrimoine est-elle compatible avec les exigences du monde moderne ? Corrigé RÉSUMÉ L'architecture, parce qu'elle ne peut exister sans la matière, exige de nous une réflexion sur ce que nous devonsfaire pour intégrer le passé au présent et au futur.

Il faut conserver notre patrimoine architectural dans sonintégrité matérielle ou accepter de le perdre. Or, c'est lui qui permet au plus grand nombre l'accès à une œuvre d'art : nous vivons au milieu de lui, il nous parledirectement.

Mais il ne nous est pas acquis sans que nous ayons d'effort à fournir.

Il nous faut le sauvegarder, maisaussi lui redonner le rayonnement culturel qui doit être le sien. Ces vingt dernières années ont vu beaucoup d'efforts en ce sens : on a tantôt rétabli les monuments dans leuraspect le plus proche de l'original, comme c'est le cas au château de Versailles, et tantôt on en a fait des muséestémoignant globalement d'une époque, comme pour le musée de la Renaissance à Ecouen.

D'autre part nousassistons à une entreprise de restauration et d'animation des quartiers anciens des villes — comme le Marais à Paris— auxquels on s'efforce de garder leur unité architecturale et historique en évitant d'y recréer une vie artificielle.(205 mots) VOCABULAIRE • geste gratuit : « gratuit » a ici le sens de « sans fondement, sans nécessité ».

L'architecture répond toujours àune nécessité : ainsi les cathédrales ont été bâties pour exprimer l'élan de la foi du peuple médiéval, et le châteaude Versailles pour concrétiser la politique de grandeur de Louis XIV. • herculéenne : digne d'Hercule, héros de la mythologie grecque qui était doué d'une force prodigieuse.

Lasauvegarde du patrimoine architectural demande une énergie digne de celle que montra Hercule lors del'accomplissement de ses douze travaux; cet emploi métaphorique de l'adjectif «herculéen» sert à soulignerl'importance des efforts que nous devons consentir. DISCUSSION : PLAN DÉTAILLÉ Introduction Trop longtemps négligé, le patrimoine architectural de la France est maintenant souvent remis à l'honneur : onrestaure les châteaux, les églises, on recrée une vie dans les vieux quartiers des villes.

Il y a même eu il y aquelques années une «année du patrimoine» (1981). Nous avons souvent pris conscience de la nécessité de sauvegarder nos œuvres d'art ; mais souvent aussi lasauvegarde de ces œuvres semble s'opposer aux nécessités de la vie moderne.

« Pour entrer dans la voie de lamodernisation, faut-il jeter par-dessus bord le vieux passé cultural qui a été la raison d'être d'un peuple? » sedemandait Paul Ricœur (revue Esprit, 1961). I.

Les difficultés posées par la vie moderne. 1.

Les problèmes d'urbanisme. Il faut sans cesse créer de nouveaux logements, et les immeubles neufs s'intègrent souvent très mal dans unpaysage urbain qui avait un passé : le nouveau étouffe l'ancien dans certains quartiers de Paris et des grandesvilles, dans les banlieues qui avaient jadis leur personnalité propre. Il faut également créer des voies de communication rapides, de grands axes routiers qui trop souvent aussidéfigurent le paysage urbain. 2.

Le souci de la rentabilité. Notre société accorde beaucoup de place à l'argent et recherche ce qui est immédiatement rentable.

Or il est plusspuvent rentable, au sens financier du terme, de détruire et de reconstruire que de restaurer.

C'est ainsi que desîlots entiers de vieilles maisons sont rasés pour faires place à de grands immeubles ou à des tours.

Le grandarchitecte Le Corbusier constatait amèrement à propos des villes modernes : «il n'y a eu qu'une passion vorace : legain » (Sur quatre routes).

3.

Le désintérêt du passé. Il y a trop souvent perte de la culture historique, ce qui fait que les œuvres du passé ne nous parlent plus, parceque nous ne comprenons plus leur langage : cela est vrai pour l'architecture, mais aussi pour les autres arts, enparticulier la littérature.

Il nous semble plus facile de lire un roman contemporain qu'une œuvre du XVIIIe siècle.

Al'heure du progrès technique, il nous semble que nous n'avons plus rien à apprendre du passé.. »

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