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Jean Giono - La Colline: Incendie en Haute-Provence

Publié le 19/10/2010

Extrait du document

giono

 

Ça a pris au Tonnerre de Dieu, là-bas, entre deux villages qui brûlaient des fanes de pommes de terre. La bête souple du feu a bondi d'entre les bruyères comme sonnaient les coups de trois heures du matin. Elle était à ce moment-là dans les pinèdes à faire le diable à quatre. Sur l'instant, on a cru pouvoir la maîtriser sans trop de dégâts ; mais elle a rué si dru, tout le jour et une partie de la nuit suivante, qu'elle a rompu les bras et fatigué les cervelles de tous les gars. Comme l'aube pointait, ils l'ont vue plus robuste et plus joyeuse que jamais qui tordait parmi les collines son large corps pareil à un torrent. C'était trop tard. Depuis, elle a poussé sa tête rouge à travers les bois et les landes, son ventre de flammes suit ; sa queue, derrière elle, bat les braises et les cendres. Elle rampe, elle saute ; elle avance. Un coup de griffe à droite, un à gauche ; ici elle éventre une chênaie ; là elle dévore d'un seul craquement de gueule vingt chênes blancs et trois pompons de pins ; le dard de sa langue tâte le vent pour prendre la direction. On dirait qu'elle sait où elle va. Et c'est son mufle dégouttant de sang que Maurras a aperçu dans la combe. Jean GIONO, Colline, 1928.

 

 

Vous ferez de ce texte un commentaire composé en vous efforçant de montrer ce qu'il y a d'épique et de tragique dans cette vision que Giono vous donne d'un incendie en Haute-Provence.

Les différents « niveaux « de lecture sont assez faciles à voir dans cet extrait : c'est à la fois un texte réaliste précis sur la campagne, la nature, la description d'un incendie. Les ambitions de l'auteur sont aussi de nous faire vivre une scène tragique et épique où les forces de la nature déchaînées se dressent contre les hommes dans un combat redoutable.

On sera particulièrement attentif aux images (métaphore animale pour évoquer le feu).

 

 

  • I. Un texte descriptif :

les lieux, le décor ; les circonstances, le temps ; la progression du feu.

  • II. Une vision tragique :

un affrontement disproportionné ; le destin en marche ; le combat de l'homme et de la nature.

  • III. Une peinture épique et mythique :

la métaphore du diable ; les métamorphoses de la bête ; la double nature du feu (et des autres éléments).

 

 

giono

« suffisent à tracer les grandes lignes de l'espace où se déploie le feu.

En bon connaisseur des choses de la terre,Giono désigne les éléments du paysage par des mots « géographiques » (la « combe ») toujours précis.

Non pas une« forêt » vague, mais des « pinèdes » ou une « chênaie » à l'intérieur desquelles le feu calcine « vingt chênesblancs » et « trois pompons de pins ».

Les noms et les adjectifs sont choisis pour leur exactitude, leur réalismefamilier et évocateur (avec l'allitération « pompons de pins »). On retrouve la même exactitude quasi documentaire pour évoquer les causes de l'incendie : « des fanes de pommesde terre » qui brûlaient.

Voilà qui suffit à peindre des gestes quotidiens et rustiques : la vie des champs dans touteson authenticité (les « fanes » : le mot est, là encore, choisi pour sa rigoureuse exactitude).

Manière de montreraussi que les événements les plus graves peuvent avoir comme causes des actes très modestes, dont l'importance,sur le coup, échappe et qui prennent, ensuite, une ampleur insoupçonnée.

Un petit feu mal éteint se transforme enincendie difficile à maîtriser.

C'est le même souci d'exactitude qui pousse Giono à situer le texte à un moment biendéfini : le feu « a bondi » « comme sonnaient les coups de trois heures du matin ».

Heure tranquille où sommeille levillage, ce qui explique que nul n'ait pu voir tout de suite venir l'incendie.

Ces heures qui sonnent peuvent permettreau lecteur (par synecdoque) d'entendre les cloches et de voir, à travers elles, le village.

Le rythme du temps, sonécoulement, sont nettement marqués : « à ce moment-là », « sur l'instant », puis « tout le jour et une partie de lanuit suivante ». La progression du feu, enfin, ses diverses étapes, apparaissent clairement avant que ne pointe une nouvelle aube.Les jours passent, le feu progresse inexorablement.

Le feu lui-même, malgré le langage imagé (ou grâce à celui-ci),est peint comme une chose vue : une bête qui bondit et rue, dont le corps de flammes se tord.

La progression dufeu est bien mise en valeur, son développement, son invasion plutôt, son caractère de plus en plus sombre etdémoniaque.

Ainsi, certains habitants du village l'ont vu et « cru pouvoir le maîtriser ».

Le pronom « on » désigne lacollectivité, comme plus tard le « ils », manière, peut-être, de montrer une sorte de solidarité des habitants duhameau dans l'adversité.

Ils entament la lutte, mais bientôt pourtant, les hommes vont ressentir une sorte delassitude tant ce feu paraît invincible, tant semble fatale son avancée dans le paysage. Le texte, en effet, outre qu'il décrit un incendie en Haute-Provence, évoque aussi la lutte des hommes contre leséléments, ici un des plus redoutables : le feu qui dévore tout sur son passage.

Au début, les hommes, qui l'ontaperçu malgré l'heure matinale, croient donc « pouvoir (le) maîtriser ».

Illusion terrible où l'on s'imagine encorepouvoir domestiquer une force surnaturelle avant qu'elle ne commette « trop de dégâts ».

Mais, bien vite, leshommes vont déchanter car entre eux et la bête du feu, les forces sont bien inégales et disproportionnées : elle a rompu les bras et fatigué les cervelles de tous les gars ».

En quelques mots très simples et familiers,l'auteur évoque le dur labeur desgars » qui luttent avec leurs bras, leur courage physique, mais qui cherchent aussi une stratégie pourcombattre par l'intelligence, par lacervelle », une force qu'on peut supposer brutale et inepte, purement matérielle.

Mais non, elle semble douéede vie, « plus robuste et plus joyeuse » au fur et à mesure qu'on la combat.

C'est comme si elle reprenait de lavigueur pour provoquer les hommes, leur faire d'ironiques pieds de nez.

Il semble, dès lors, que toutaffrontement avec le feu soit condamné à l'échec. Aussi le texte donne-t-il une impression de fatalité.

Comme pour les histoires antiques, les causes du mal sontridicules ou dérisoires : le vent qui ne veut pas souffler et Iphigénie mourra, donc Agamemnon sera tué, puisClytemnestre, et Oreste devra être jugé.

Ici, ce sont des « fanes de pommes de terre » qui sont brûlées : un feumal éteint et voilà toute une terre qui entre en incandescence.

Le feu devient alors l'instrument d'un inéluctabledestin, ou plutôt le destin lui-même, qui se moque de tout et rit joyeusement du malheur et des efforts deshommes, condamnés à être anéantis.

Le feu, comme la fatalité, « rampe », « saute », « avance ».

Rien ne peutinterrompre sa progression.

Elle sait même jouer avec les autres éléments, cette bête qui « tâte le vent pourprendre la direction ».

Car ce n'est pas une force aveugle, une bête furieuse qu'on pourrait contrecarrer parl'intelligence.

« On dirait qu'elle sait où elle va » : elle agit, elle pense, elle choisit de se frayer le chemin le plusdévastateur. De là l'impression de tragédie qui se dégage de l'extrait.

Une tragédie, justement, c'est cela qui est décrit ici : deshommes impuissants devant une force terrible qui les dépasse, mais qui luttent malgré tout.

Car, à sa façon, si letragique montre la vanité des efforts humains, il témoigne aussi pour leur courage indomptable.

Certaines phrases dutexte, par leur concision, donnent cette impression de tragique : « C'était trop tard » qui sonne comme le glas.

Leton de la narration lui-même, avec son mélange de mots familiers et d'images poétiques, renforce cette impression :la simplicité des hommes, de « leurs cervelles » opposée à la bête puissante « qui éventre », qui, « d'un seulcraquement », dévore une dizaine de « chênes blancs ».

En outre, le texte s'élargit peu à peu grâce, entre autre, àl'emploi des temps.

On passe ainsi du passé composé à un présent de narration qui, certes, actualise le récit et enaccentue le dynamisme, mais lui donne aussi une dimension d'éternité.

Le combat qui se joue ici n'est pas spécifiqueà « ici et maintenant », mais il se joue depuis toujours entre l'homme et la nature qui, parfois, se déchaîne ; d'où, aussi, la vision épique qui transparaît. Le feu est ici présenté comme quelque chose de surnaturel : « ça a pris au tonnerre de dieu ».

L'expression est àdouble sens puisqu'elle évoque à la fois (familièrement) un endroit lointain ou maudit (diabolique, par antiphrase) et,avec des majuscules (qui ne sont pas dans le texte original), un vrai Tonnerre d'un « vrai » Dieu qui ne saurait être. »

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