Devoir de Philosophie

Jean Giono, Jean le Bleu

Publié le 08/04/2011

Extrait du document

giono

Au-dessus de l'atelier de mon père était un vaste grenier sonore comme une cale de navire. Une large fenêtre^ dominant toute la cour aux moutons, permettait de voir, au-delà des toits, par là-bas loin, le scintillement de la rivière, le sommeil des collines, et les nuages qui nageaient comme des poissons avec de l'ombre sous le ventre. On ne pouvait vivre dans le bas de notre maison qu'en rêvant. Il y avait trop de lèpre de terre sur les murs, trop de nuits qui sentaient le mauvais champignon, trop de bruits dans l'épaisseur des pierres. La tranquillité, on ne l'avait qu'en partant de cette maison, et, pour partir, on pouvait se servir de ces bruits, de ces nuits, de ces visages étranges que l'humidité dessinait sur les murs. On pouvait se servir de la large fenêtre.    Je revois cette profondeur marine qui grondait au-delà de la ville. Toute la plaine fumait sous l'écume des routes. Des champs, frais hersés, s'envolaient des embruns tordus. Le vent faisait son chemin et tout tremblait dans son sillage, on sentait qu'il s'en allait droit devant lui, qu'il était là, mais que déjà ses yeux s'élargissaient sur de nouveaux pays étalés et faisant la roue comme de gros oiseaux de toutes les couleurs. On sentait qu'il était puissant et doux, qu'il suffirait de s'appuyer un peu fort à son flanc pour être emporté dans le monde. On sentait que ce désir de fuite, il le semait en vous comme une lente graine féroce et qu'on serait déchiré plus tard par d'énormes racines mouvantes comme des poulpes. Je sentais que le vent s'enracinait en moi.    Jean Giono, Jean le Bleu. (Livre de Poche p. 58).

Jean Giono, né à Manosque, apprend très tôt, sous l'influence paternelle, à aimer la vie des montagnes provençales.    Dans son œuvre, plus que la haine de l'industrialisation et du modernisme, éclate son amour pour la nature, la paysannerie et les petits artisans qu'il connaît bien puisque son père était cordonnier. Tous ses romans débordent d'une prose lyrique qui exprime l'attachement violent aux forces cosmiques.    Jean le Bleu, tout empreint de souvenirs d'enfance, évoque l'origine de cette passion. Le passage proposé décrit le regard mêlé de rêve que l'enfant porte sur le pays natal. Cette rencontre avec les éléments devait nécessairement se produire : le cadre même de la maison où habite Giono prédispose à l'évasion. Cette fuite vers la liberté n'est-elle pas une façon de rencontrer la nature, l'enracinement ? Le rêve, moyen privilégié de l'évasion, ne permet-il pas de coïncider avec la réalité du paysage ?   

giono

« DEVOIR RÉDIGÉ Jean Giono, né à Manosque, apprend très tôt, sous l'influence paternelle, à aimer la vie des montagnes provençales. Dans son œuvre, plus que la haine de l'industrialisation et du modernisme, éclate son amour pour la nature, lapaysannerie et les petits artisans qu'il connaît bien puisque son père était cordonnier.

Tous ses romans débordentd'une prose lyrique qui exprime l'attachement violent aux forces cosmiques. Jean le Bleu, tout empreint de souvenirs d'enfance, évoque l'origine de cette passion.

Le passage proposé décrit leregard mêlé de rêve que l'enfant porte sur le pays natal.

Cette rencontre avec les éléments devait nécessairementse produire : le cadre même de la maison où habite Giono prédispose à l'évasion.

Cette fuite vers la liberté n'est-ellepas une façon de rencontrer la nature, l'enracinement ? Le rêve, moyen privilégié de l'évasion, ne permet-il pas decoïncider avec la réalité du paysage ? * * * « Le désir de fuite » qui s'empare de l'enfant naît de la curieuse opposition que souligne Giono entre « le bas de (la)maison » et le grenier.

Tout semble les opposer : « vaste », s'ouvrant sur une « large fenêtre », il contraste avecl'atmosphère confinée, les murs épais du rez-de-chaussée.

L'un évoque l'espace, l'autre la prison.

Sous les toits, lessensations sonores qui se prolongent, en bas « les bruits » enfermés dans l'épaisseur de la maison. Le prolongement naturel du grenier, c'est la nature, avec les « scintillements de la rivière ».

Cette notation delumière contraste avec la « lèpre de la terre, les nuits », l'obscurité qui règne au bas de la demeure.

Ainsi le regardse détourne-t-il du monde refermé sur lui-même pour se porter « au-delà des toits », lointain que souligne l'écrivainpar l'expression volontairement vague « par là-bas, loin ». Dès lors l'expression même de l'évasion prend la forme de deux éléments naturels : la mer et le vent étroitementmêles.

La Méditerranée dont l'auteur pressent la présence contribue certainement à l'utilisation de l'image marine.

Lehaut de la maison devient alors navire, en partance pour un grand voyage.

La campagne s'allège et se couvre d'«embruns », d'« écume », transposition maritime de la poussière terrestre.

La terre en se transformant en finesparticules d'eau semble perdre de sa pesanteur. L'élément le moins lourd, ce qui n'exclut pas la puissance, le vent, représente pour l'enfant le symbole même del'évasion.

Libre de toute attache, il peut découvrir de « nouveaux pays » ; c'est à ce voyage dans l'espace que levent invite l'enfant.

C'est lui qui lui met au cœur ce désir de partir.

Passion d'autant plus vive qu'elle « s'enracine »pour se développer et emporter irrésistiblement l'homme. Tourmenté par le besoin d'être ailleurs, l'enfant ne peut connaître « la tranquillité »...

« qu'en partant de cettemaison ».

Mais l'homme ne connaîtra pas pour autant le repos ; les termes utilisés pour décrire cette aspiration sontviolents : « graine féroce », « racines mouvantes comme des poulpes » avec tout ce que cette comparaison peutcomporter d'horreur.

Giono fait alors intervenir l'image future d'un déchirement qui exprime la douleur d'unarrachement contrastant avec la facilité supposée du départ : « il suffirait de s'appuyer un peu fort pour êtreemporté dans le monde ». * * * Faute d'un départ réel, le rêve permet l'évasion.

Il devient même une nécessité vitale : « on ne pouvait vivre dans lebas de la maison qu'en rêvant ».

Cette force de la rêverie permet de transfigurer l'environnement immédiat, si bienque la maison-prison fournit à l'enfant les matériaux mêmes de sa libération.

« Ces visages étranges » qui couvrentles murs permettent de voir dans les nuages des poissons qui nageaient...

« avec de l'ombre sous le ventre ».L'humidité qui transparaît dans la maison éveille l'esprit aux images d'eau que l'auteur utilise pour dépeindre lepaysage.

Tout est bon à l'imagination enfantine pour retrouver la beauté. Ainsi naissent des paysages où les éléments mer-terre et air se trouvent étroitement mêlés.

La terre est assimilée àla mer, à l'air même par l'intermédiaire de ces pays « faisant la roue comme de gros oiseaux de toutes les couleurs ».Association qui permet à l'auteur d'évoquer lé châtoiement des richesses offertes par la nature.

Le vent devientbateau : l'auteur parle de son « sillage », être vivant : « ses yeux ».

La métamorphose se continue puisqu'il passeen l'homme comme une « graine », se développe en « racines » comparées à des « poulpes ».

Le monde de l'air, dela terre, de l'eau se trouve ainsi réuni dans ce violent « désir de fuite ». Loin d'être une aspiration à une pure liberté, le rêve « s'enracine ».

C'est la rencontre complète du monde querecherche déjà l'enfant.

Le mouvement qui domine la page, avec l'emploi des verbes « s'envolaient », « troublait »ou des locutions « faisait son chemin », « allait droit devant lui », trouve son explication dans le souhait de toutappréhender.

Ainsi « les yeux du vent s'élargissaient » comme pour capter toutes les beautés.

Ainsi cet élémentsemble-t-il doté d'une sorte de don d'ubiquité : « il était là », mais déjà il contemplait « de nouveaux pays ». Tout aimer, tout saisir dans la nature, voilà le rêve de l'écrivain.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles