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Jean Giono, Que ma joie demeure.

Publié le 22/02/2012

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(Jourdan, tout en labourant son champ, réfléchit.)    Il était arrivé ici avec Marthe. Il s'attendait bien à du travail. Il avait fait le tour de tout le premier jour, et puis vu, et puis tâté, le vent et tout, la terre, la feuille, la paille et le clapotis du soleil qui à ce moment-là, se balançait dans les feuillages du verger. Et il avait dit : ça s'appellera « La Jourdanne «. Ça pour se donner du cœur. Tout le temps il faut s'aider soi-même.    Il n'était plus jeune à ce moment-là. Depuis ça faisait onze ans.    Il fit tourner sa bête, il souleva la charrue. Il enfonça le couteau.    « Ah ! Coquet, dit-il, marche que ça va aller à la descente. «    Il tournait le dos à la forêt.    Et puis, la vie, la vie et la vie. Pas malheureux, pas heureux, la vie. Des fois il se disait... Mais tout de suite, au même moment il voyait le plateau, et le ciel couché sur tout et loin, là-bas, loin à travers les arbres, la respiration bleue des vallées profondes, et loin autour il imaginait le monde rouant comme un paon, avec ses mers, ses rivières, ses fleuves et ses montagnes. Et alors, il s'arrêtait dans sa pensée consolante qui était de se dire : santé, calme, « La Jourdanne «, rien ne fait mal, ni à droite ni à gauche pas de désir. Il s'arrêtait, car il ne pouvait plus se dire : pas de désir. Et le désir est un feu ; et santé calme, et tout brûlait dans ce feu, et il ne restait plus que ce feu. Les hommes, au fond, ça n'a pas été fait pour s'engraisser à l'auge, mais ça a été fait pour maigrir dans les chemins, traverser des arbres et des arbres, sans jamais revoir les mêmes ; s'en aller dans sa Curiosité, connaître.    C'est ça, connaître.    Et des fois, il se regardait devant la glace. Il se voyait avec sa barbe rousse, son front taché de son, ses cheveux presque blancs, son gros nez épais et il se disait : « A ton âge î «    Mais le désir est le désir.    Il était arrivé au bout du champ. Le cheval tourna tout seul et recommença à marcher vers la forêt. Ils étaient tous deux à leur réflexion.    Alors, voilà : ça va durer, et puis la vieillesse, et puis la mort.    Jean Giono, Que ma joie demeure.

Il est bien spécifié que vous devez vous interdire de rédiger un commentaire linéaire du texte de Giono qui vous est proposé. Cela ne signifie rien d'autre que : commencez par faire un commentaire linéaire aussi scrupuleux que possible, en faisant un sort à chaque détail, à chaque tournure. Une fois ce travail de défrichage fait, rassemblez vos remarques suivant l'organisation que ces remarques elles-mêmes vous suggéreront, voire imposeront. Nous ne faisons que répéter mais c'est un travail du genre de celui de Pénélope qu'il faut toujours inlassablement recommencer, qu'il n'existe pas de recettes, ni de p/ans passe-partout. Notre souci constant à travers ces Annales, est de vous donner une idée du travail de préparation qui doit être le vôtre. Le commentaire composé est sous des dehors d'extrême facilité un des exercices les plus difficiles, car il demande une grande pratique des textes littéraires (ce qui est de moins en moins courant).   

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« choisi d'expliquer. Nous tenterons donc d'en rendre compte à travers trois aspects du texte qui nous ont paru particulièrementsaisissants.

Un premier aspect que l'on pourrait qualifier d'un mot : fermeture, clôture.

Un second qui serait assezbien rendu par le mot « désorganisation ».

Enfin nous reprendrons ces deux moments tels qu'ils le sont dans le texteen les subsumant sous la catégorie de la simplicité effroyable. Le texte tout entier est Symbole et symbolique du mouvement du laboureur.

« Il fit tourner sa bête...

Il était arrivéau bout du champ ».

Le mouvement de la vie n'est pas, contrairement à ce qu'on pourrait croire, le jet qui s'inscritde notre naissance à notre mort.

Le mouvement de la vie (« Et puis, la vie, la vie et la vie ») est bien plussourdement celui d'un cercle, mobile et immobile.

Tournant sur place. Ce mouvement immobile du temps est bien rendu stylistiquement par les imparfaits qui neutralisent en quelque sortele temps même du récit, du vécu de Jourdan.

« Il se regardait...

il se voyait...

il se disait...

».

Tout est placé sous lesigne de la répétition.

Même quand d'autres temps que l'imparfait sont employés, ils sont immédiatement annihilésdans leur valeur temporelle propre par un élément, qu'il s'agisse d'une expression adverbiale comme dans le cas duprésent de la dernière phrase du premier paragraphe : « Tout le temps il faut s'aider soi même.

» Ou bien qu'ils'agisse d'une neutralisation par le sens : « ça va durer », pourrait être un présent à valeur de futur, n'était laprésence d'un verbe qui nie le changement. Cette clôture temporelle, quoique signifiante, n'est pas absolue.

Il y a tout de même dans le récit (qui est, notons-le, une réflexion, donc un rassemblement) des temps qui s'opposent, celui de l'installation et celui du travail quidonne son cadre à la réflexion du laboureur.

Mais toutes les différences que cet écart pourrait marquer sontrésorbées par une double intégration. Le déroulement temporel n'existe qu'incarné dans un homme qui n'a pas, lui, d'histoire.

Il est le signe de cettepermanence.

« Il n'était plus jeune à ce moment-là.

Depuis ça faisait onze ans ».

Les ans n'ajoutent rien.

Il n'étaitplus jeune, peut-on l'être encore un peu moins ? Mais cette première intégration pourra être porteuse de contradictions.

C'est en effet la seconde qui assurepleinement le triomphe de l'immobilisme et de l'atemporalité.

La clôture, la prison dans laquelle se trouve pris Jourdanc'est sa propriété : c'est elle qui ferme la boucle de ces onze années vides, ou plutôt intemporellement identiques.La différence temporelle est interdite par l'indifférence, la permanence spatiale.

On le saisit bien dès le début.Jourdan fait le tour de la propriété d'un seul coup.

D'un seul coup tout est dit, tout est joué.

L'activité même que vaappeler la propriété est donnée d'un coup : « Il avait fait le tour de tout, le premier jour, et puis tout vu, touttâté...

» La répétition du mot tout est significative.

La fermeture est d'autant plus forte que l'exclusion est totale.Un monde qui est « tout », ne laisse rien en dehors de lui-même.

C'est une clôture bien plus efficace que le plushaut mur de la plus fermée des prisons.

Un monde dans lequel il n'y a plus rien à découvrir, dont on a fait le tour, ausens propre et au sens figuré est un monde de l'identique et de la fermeture absolus. Pourtant au sein même de ce monde fermé bouillonne, ou plutôt « couve », pour rester dans le même registre queGiono, le principe de son éclatement, de sa désorganisation : le feu du désir. Le nom de la propriété aurait pu nous laisser présager de cette potentialité d'un autre, d'une rupture interne.

Quandil est arrivé, Jourdan a baptisé sa terre de son propre nom, mais comme une femme : la « Jourdanne ».

Il a inscritson désir dans sa terre. En fin de compte, elle ne sera pas plus finie que lui.

Elle montre par son nom humain la faille par laquelle vas'échapper le désir de l'homme, comme il y était entré.

S'il a fait le tour de sa terre, en une journée, son regardn'est pas mort, et au-delà de sa terre il y a « le plateau, et le ciel...

et loin, là-bas, et loin autour...

».

Le désir àtravers ce véhicule privilégié qu'est le regard, se porte au-delà, loin.

Le réel est complice : les vallées se mettent àrespirer, le monde à faire la roue comme un paon.

Mais s'agit-il vraiment du monde ? Plutôt du verbe.

De même quec'est de par son nom que la Jourdanne se trouve humanisée, offerte au désir et traversable par lui, de même c'estpar son nom que le désir fait éclater le réel, l'ouvre à lui-même : « Il s'arrêtait car il ne pouvait plus dire : pas dedésir.

» L'émergence du désir se marque d'ailleurs par une désorganisation elle-même verbale : les phrases semblent d'unseul coup hésiter, s'interrompre.

«Des fois, il se disait...

.» Cette désorganisation du désir rompt le cercle, redonne sens au temps et à l'espace : il y a de nouveau un ailleurs(loin, là-bas) il y a de nouveau un impact du temps («A ton âge ! »).

Un temps vécu, mais aussi un tempsgrammatical : « Les hommes au fond çà n'a pas été fait pour s'engraisser à l'auge, mais çà a été fait pour maigrirdans les chemins, traverser des arbres et des arbres, sans jamais revoir les mêmes ».

Le passé est un passécomposé au sens fort, il marque le résultat présent d'une action passée.

En outre, toute la phrase marque la reprisedu mouvement. A la terre dont on fit le tour, s'opposent les chemins, aux aller-retour de la charrue s'opposent la « traversée ». L'émergence du désir dans ce monde clos ne suffit pourtant pas à le faire basculer.

La page se ferme en bouclant la. »

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