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Jean GIONO, Un roi sans divertissement.

Publié le 22/02/2012

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Le hêtre de la scierie n'avait pas encore, certes, l'ampleur que nous lui voyons. Mais, sa jeunesse (enfin, tout au moins par rapport avec maintenant) ou plus exactement son adolescence était d'une carrure et d'une étoffe qui le mettaient à cent coudées au-dessus de tous les autres arbres, même de tous les autres arbres réunis. Son feuillage était d'un dru, d'une épaisseur, d'une densité de pierre, et sa charpente (dont on ne pouvait rien voir, tant elle était couverte et recouverte de rameaux plus opaques les uns que les autres) devait être d'une force et d'une beauté rares pour porter avec tant d'élégance tant de poids accumulé. Il était surtout (à cette époque) pétri d'oiseaux et de mouches; il contenait autant d'oiseaux et de mouches que de feuilles. Il était constamment charrué et bouleversé de corneilles, de corbeaux et d'essaims; il éclaboussait à chaque instant des vols de rossignols et de mésanges ; il fumait de bergeronnettes et d'abeilles ; il soufflait des faucons et des taons ; il jonglait avec des balles multicolores de pinsons, de roitelets, de rouges-gorges, de pluviers et de guêpes. C'était autour de lui une ronde sans fin d'oiseaux, de papillons et de mouches dans lesquels le soleil avait l'air de se décomposer en arcs-en-ciel comme à travers des jaillissements d'embruns. Et, à l'automne, avec ses longs poils cramoisis, ses mille bras entrelacés de serpents verts, ses cent mille mains de feuillages d'or jouant avec des pompons de plumes, des lanières d'oiseaux, des poussières de cristal, il n'était vraiment pas un arbre. Les forêts, assises sur les gradins des montagnes, finissaient par le regarder en silence. Il crépitait comme un brasier; il dansait comme seuls savent danser les êtres surnaturels, en multipliant son corps autour de son immobilité; il ondulait autour de lui-même dans un entortillement d'écharpes, si frémissant, si mordoré, si inlassablement repétri par l'ivresse de son corps qu'on ne pouvait plus savoir s'il était enraciné par l'encramponnement de prodigieuses racines ou par la vitesse miraculeuse de la pointe de toupie sur laquelle reposent les dieux. Jean GIONO, Un roi sans divertissement. SUJET En vous appuyant sur une étude détaillée du texte, vous essayerez de restituer en un commentaire composé les impressions que vous donne la lecture de cette page. Vous pourrez montrer, par exemple, comment cette description en prose, en transfigurant le réel, atteint la poésie.  

REMARQUES ■ Texte de la même veine que le précédent. Page poétique — d'un roman poétique —, où l'amour de la nature et particulièrement des plantes devient un véritable chant épique à la gloire du héros : le hêtre. ■ Le style n'est donc ni simple, ni dépouillé comme celui du précédent ; le texte est franchement littéraire, pas du tout cinématographique. ■ Un roi sans divertissement ne fait pas partie cependant de cette période dite du « gionisme « et de sa prédication d'un retour à la terre. Ecrit en 1947, il se trouve débarrassé de tout didactisme et n'est plus qu'«un flux poétique où des inflexions personnelles traduisent« les choses de la vie.   

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« — force, puissance, beauté. Style basé sur précisions d'observation et sur multiplicité de sensations : — Il utilise une riche palette de couleurs. — Exactitude des termes zoologiques ou botaniques. IIe thème : la transfiguration du réel : l'arbre, véritable héros d'épopée. Force de la nature : — « à cent coudées au-dessus » ; — supériorité sur les autres arbres de même famille et même sur tous les autres arbres ; — chaque élément normal de son être devient plus que naturel : épaisseur, charpente, racines. Il n'est plus seulement l'abri coutumier d'une faune nombreuse, mais le point de ralliement d'un véritablegrouillement d'oiseaux et d'insectes. L'agrandissement va jusqu'à la démesure.

C'est elle qui contribue au caractère épique. Pas seulement grandissement physique, mais transfiguration : — elle apparaît avec le merveilleux des actes et la brillance des verbes : «éclaboussait, fumait, jonglait, soufflait».

Ilest devenu un immense séjour qui semble produire oiseaux et insectes plus encore que les accueillir ; — elle se précise avec l'apparition sur l'arbre de couleurs vives, de mouvements exacerbés, d'une luminosité et viede feu : l'arbre devient partie intégrante d'un des éléments premiers. Véritable pouvoir surnaturel.

Ce n'est pas un monstre, c'est un magicien ; d'ailleurs ses actes sont ceux desillusionnistes : «jonglait, soufflait...». Le souffle puissant qui entraîne les phrases correspond à la révélation de plus en plus enthousiaste de la puissancede l'arbre.

Images qui valorisent, qui passent d'un élément naturel à un autre : l'arbre est précisé d'abord par descomparaisons empruntées à la matière — pierre —, puis au feu, ensuite il atteint une valeur de tout.

C'est le grandPan(l) des plantes et animaux. Phrases grandioses qui s'élancent comme le hêtre, qui rebondissent, s'éternisent (ex.

de la dernière phrase,véritable période enflammée). Belle trouvaille épique : l'arbre devient la totalité de la nature en Un; mieux...

: toute la nature s'arrête encontemplation devant cette unité. Véritable apogée visionnaire. Enthousiasme (2) dionysiaque de l'écrivain.

Cf.

Chant du Monde (1934) où éclate aussi la profusion lyrique. A lui seul le hêtre est l'immensité de l'univers, comme la nature est un être unique. Sorte de dimension cosmique. Un rayonnement universel, une vie : reine d'un tout. Tout s'accroît, se métamorphose, progresse à l'instar de ce tout.. »

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