Jean-Pierre VERNANT, Mythe et pensée chez les Grecs : Le Travail et la pensée technique

« Le concours des dieux est nécessaire à l’exploitation agricole (comme à une entreprise militaire, tandis que pour lesmétiers de l’artisanat, la technique suffit).

Renforce l’aspect religieux de cette activité : on consulte les dieux avantd’entreprendre une exploitation agricole, on leur offre des sacrifices.

L’agriculture est en elle-même un culte, ce n’est pas un plus. Dans le Protagoras , le mythe de Prométhée semble définir le travail comme une valeur sociale ; les hommes ayant chacun reçu un talent différent doivent échanger entre eux pour survivre.

La technique serait pour Protagoras génératrice de liens sociaux (et en effet il est favorable à une démocratie des artisans).

Or, s’il est vrai que les hommes sont liés entre eux par ces échanges, ce ne sont pas eux qui fondent la société mais ce sont les échanges politiques : la technique ne suffit donc pas à lier les hommes entre eux de façon à créer une société. Et en effet les techniques apportées par Prométhée ne suffisent pas à créer une société, il manque aux hommes les vertus morales et politiques apportées par Hermès de la part de Zeus et qui sont distribuées à tous de manière égale. S’il y a division du travail , ce n’est pas comme nous l’entendons aujourd’hui, comme une façon de rendre le travail plus productif mais plutôt comme le résultat de la nature de l’homme qui ne maîtrise véritablement qu’un seul talent parfaitement, auquel il doit se limiter. L’art est nature tant qu’il répond à des besoins (qui ne sont pas infinis, au-delà ce sont des plaisirs).

L’artisan fabrique en ayant en tête un modèle, il obéit donc à une certaine nécessité et non selon sa fantaisie.

L’objet fabriqué doit, comme l’objet de la nature, être en conformité totale avec les nécessités de son utilisation.

CfAristote : c’est le joueur de flûte qui commande l’aspect final qu’aura la flûte et non le fabriquant de flûte. Aspects psychologiques du travail dans la Grèce ancienne On ne voit pas le travail comme un tout regroupant tous les métiers mais chaque métier individuellement dans laperspective de sa production propre.

Chaque métier spécialisé l’est pour que le produit soit parfait et non pas pourrendre plus productif un processus d’ensemble.

(cf Marx) La valeur d’usage l’emporte sur la valeur marchande. L’artisan et son art existent en vue du produit qui existe en vue du besoin.

Il y a dépendance de l’artisan vis à vis de l’usager qui commande le produit et commande sa fabrication.

Toutes les fins de l’objet auxquelles se conformel’artisan (matérielle, formelle, finale) correspondent à la commande de l’usager qui elle-même s’explique par sesbesoins.

Tout cela est contenu dans le produit.

La cause finale (la réponse aux besoins de l’usager) l’emporte sur lacause efficiente (l’artisan). L’action contient sa fin en elle-même tandis que la production obéit à une fin extérieure.

L’artisan n’agit pas.L’artisan n’a pas l’usage de sa production : la production est donc service d’autrui voire aliénation.

L’artisan estinstrument de l’usager et instrument du produit (permet sa production).

C’est l’usager qui a la parfaite connaissancede l’objet tandis que la connaissance de l’artisan se limite à la fabrication de l’objet dit.

Le produit de la fabrication l’emporte sur le processus de fabrication, c’est la distinction entre poiesis et praxis . Remarques sur les formes et les limites de la pensée technique chez les Grecs Chez Homère la technique est aussi bien celle de l’artisan que celle des dieux et des magiciens.

À l’époque classique,la technè ne signifie plus que la technique de l’artisan (les règles du métier), il n’y a plus de connotation religieuse.Catégorie sociale des artisans précisée, se distingue des magistrats, des politiques, des aèdes, des paysans, desdevins… L’artisan est au service d’autrui.. »