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Le joujou du pauvre Baudelaire

Publié le 28/09/2010

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baudelaire

 

Jusqu’au XIXe  siècle, on écrit en vers ou en prose et la distinction entre les deux modes d’écritures est très tranchée. Si la prose n’impose aucune contrainte, la poésie par contre obéit à des règles très précises. Baudelaire comme d’autres poètes de son siècle se libère de ces contraintes en rédigeant des poèmes en prose. Le poème en prose n’a aucun domaine réservé et l’ironie peut voisiner avec le lyrisme. « Le joujou du pauvre « est tiré de l’oeuvre posthume Le Spleen de Paris, publié en 1869. L’autre nom du Spleen de Paris,  Petits poèmes en proses rappelle par l’emploi de l’adjectif « petits « que les thèmes de ces poésies n’ont rien de grandiloquents : ce sont souvent des scènes de la vie quotidienne au-delà desquelles l’on perçoit quelque chose de plus que le visible. Celle-ci présente la confrontation de deux enfants et de leurs joujoux. C’est donc au travers du jeu des enfants que nous assistons à une peinture de l’humaine condition qui révèle l’idéal du poète.

 

I-l’écriture poétique

 

« Le joujou du pauvre « est prétexte à d’autres jeux que celui de deux enfants : nous assistons tout d’abord par l’esprit du poète à un jeu de miroir, puis par l’écriture à un jeu d’opposition.

1)- un jeu de miroir :

Par un jeu de miroir, ce poème propose l’image de l’endroit et de l’envers d’une même scène :

la répétition des mêmes termes :« sur une route, derrière la grille.. «, « de l’autre côté de la grille, sur la route «, «  un enfant «, « un autre enfant « suggère qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre l’image et son reflet.

 L’usage de la construction en parallèle  et  la reprise de mêmes termes donnent un rythme au poème. Les phrases se font écho comme la rime dans une poésie en vers.

 l’idée du miroir est encore plus franche lorsque Baudelaire évoquent le face à face : « Et les deux enfants se riaient l’un à l’autre fraternellement, avec des dents d’une égale blancheur. « ; pourtant tout autant qu’un jeu de miroir, ce jeu d’enfant est le prétexte à un jeu d’opposition.

 

2)- )-un jeu d’opposition :

En effet, « deux mondes « s’opposent : le contraste est visible à travers les lieux, l’aspect physique des enfants, et leurs jouets. D’un côté, on voit un enfant dont l’existence est protégé par la grille « d’ un vaste jardin « entretenu, de l’autre une vie d’errance entre  « les chardons et les orties «. l’aspect d’« un enfant beau et frais « souligne le contraste d’ « un autre enfant sale, chétif, fuligineux «. mais le contraste est également dans les couleurs : « la blancheur « du château frappé par le soleil « accentue la grisaille de « la face fuligineuse «, noire de suie. Un troisième axe d’opposition concerne les jouets : les qualificatifs du joujou de l’enfant riche sont superlatifs . il est « splendide «couvert d’or et de pourpre. Il est splendide jusqu’à l’outrance «  couvert de plumets et de verroteries «. Celui de l’enfant pauvre est une simple «  boite grillée « qui contient le plus repoussant des animaux, un rat lié, dans l’imagination commune, aux idées de saleté, d’obscurité, de maladie.  Et pourtant sous le regard de l’enfant, le monde s’inverse.

 

3)- un jeu d’ enfants :

le jeu de miroir et d’opposition trouve son sens à travers le jeu des enfants. Le regard de l’enfant bouleverse les conventions.L’enfant riche ne s’intéresse pas à son splendide jouet ! L’objet de sa convoitise, est quelque chose qui n’a aucune valeur dans un monde d’adultes. C’est donc que le regard d’un enfant à d’autres repères de valeurs. La fierté de son avoir n’est pas du côté où on l’attendrait : le riche méprise son propre joujou,  alors que l’autre enfant montre ostensiblement le sien. Le riche examine le rat « avidement comme un objet rare «. mais pour que cet échange soit perçu tel qu’il a été vécu, il fallait le regard du poète . le regard du poète est le troisième regard d’enfant. Le regard du poète est dénué d’à priori comme le sont les regards des enfants. Ce n’est plus un miroir, c’est un triptyque.

 

II- d’une peinture de l’humaine condition

 

Ce triptyque nous peint l’humaine condition. Il expose d’un côté la richesse, en face la pauvreté et au milieu comme l’interprète donnant une traduction, la vision d’un monde double et identique à la fois.

 

1)- la richesse :

La richesse s’étale, elle prend de la place en toute propriété avec le château et son vaste jardin ; sa description occupe la moitié du texte. Elle s’exhibe, elle est vernie, dorée.  La richesse est propre, le luxe et l’insouciance qui s’y rattachent rendent les enfants frais et jolis. Son champ lexical est superlatif.

Néanmoins par l’analogie faites entre l’enfant et son jouet, on note que l’image de l’enfant riche, des riches en général, est rabaissée : malgré la perfection du jouet, celui-ci ne présente pas d’intérêt. L’image que l’on en perçoit est dégradée par son côté apprêtée et artificiel . la verroterie est synonyme de pacotille. En dépit de son apparence la richesse ne suscite ni envie ni admiration.

 

2)- la pauvreté :

La pauvreté qui lui fait face n’a rien ou pas grand-chose de plaisant à offrir au regard. Elle est sale, maigre,. Son champ lexical est dépréciatif : les enfants de la pauvreté deviennent des marmots, sont assimilés à des parias. L’enfant pauvre est un petit souillon et ici le mot petit n’a rien de gentil, il est péjoratif. Cet enfant porte la répugnante patine de la misère. L’emploi du mot patine est à contre sens, car la patine est ce qui donne de l’éclat aux objets. Et pourtant l’enfant agite son joujou , et s’amuse avec . Il est acteur, alors que l’autre enfant n’est que spectateur. Par une inversion du point de vue des valeurs, et contrairement aux idées reçues, c’est l’enfant pauvre qui provoque l’envie de l’enfant riche qui regarde « avidement «.

 

3)- le double d’une seule et même personne :

La raison en est que le regard du poète est « impartial «. Il rétablit l’équilibre entre « deux mondes «. il découvre le double d’une seule et même personne. Cet œil impartial pourrait découvrir la beauté du marmot-paria : c’est grâce au regard du poète qui rejette les apparences que l’on s’aperçoit que les deux enfants ne sont pas « fait d’une autre pâte « : ils sont tous les deux des enfants, et ces enfants représentent l’enfant, sa pureté et son innocence. Dans la dernière phrase, l’opposition est abolie, annulée. On passe de la dualité des « deux enfants « à la réciprocité de « se riaient l’un à l’autre « appuyé par l’adverbe « fraternellement «. Enfin, l’oeil du poète insiste sur la notion d’égalité associée à un élément physique : les enfants ont « des dents d’une égale blancheur. «.

 

Si le poète à cette perception de la scène, c’est que son idéal est différent du commun.

Son idéal est celui du beau. Il nous donne ainsi une leçon de vie et une leçon de morale.

 

III- l’idéal du poète

 

1)– le beau :

En effet, pour Baudelaire, « le beau est toujours bizarre «. Il n’est pas dans la perfection et encore moins dans la joliesse. Le beau classique, ici le château et le bel enfant propre, est monotone, impersonnel. Il engendre l’ennui et le néant . Le verbe gésir associé au jouet, lui-même associé à l’enfant, connote l’idée de l’absence de vie. Alors qu’au contraire le jouet du pauvre est tiré « de la vie elle-même « et c’est ce qui fait sa valeur, ce qui lui donne son attrait, sa forme de beauté. La beauté baudelairienne est essentiellement fondée sur l’expérience vécue. Elle traduit le rapport mystérieux qui lie les hommes aux choses, et les choses à l’éternité. Le beau est éternel, il est au dessus de la matérialité. Il est universel et absolu : c’est l’harmonie de ces deux enfants. L’aspiration humaine vers une beauté supérieure est le principe même de la poésie. Mais par delà l’idée du beau, le poète nous donne une leçon de vie.

 

2)-une leçon de vie :

Baudelaire nous enseigne que la curiosité est un moteur de vie. Il permet une exploration du domaine de l’insolite quotidien, qui sensibilise à l’étrangeté du présent proche du fantastique.  Le rat n’est pas un jouet ordinaire. L’effet de surprise voulue est mis en évidence par le rejet de « c’était un rat vivant « en fin de phrase et du point d’exclamation. La scène est proche du fantastique. L’enfant comme le poète dépasse les préjugés et honore la vie. Les deux enfants sont dans le présent et c’est le présent qui est important, c’est le présent qu’il faut vivre. On peut penser à un autre des Petits poèmes en prose   « Enivrez-vous « : « pour n’être pas les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous « signifie « vivez , vivez le présent, la vie «.

le poème en prose est vivant et il est de son temps, il est moderne . Il permet d’harmoniser, d’unir ce que la vie quotidienne et l’artifice de la vie sociale ont disjoint. En même temps qu’une leçon de vie, ce poème nous donne une leçon morale.

 

3)- une leçon de morale :

 La poésie élève au dessus du vulgaire. « Le joujou du pauvre « est un récit allégorique avec un deuxième niveau de lecture, celui de la signification abstraite. Celle-ci est une leçon de morale, l’enseignement que les vraies valeurs ne sont pas dans les apparences, que les hommes sont à égalité devant la vie à défaut de l’être dans la société. Mais cela, seuls l’enfant et le poète peuvent le percevoir. « L’œil du connaisseur «, c’est celui du poète, de l’innocent. « La peinture idéale «, c’est celle que brosse cet œil du poète. La poésie nous montre le beau, le vrai : c’est la symbolique du texte. Mais le sens moral nous enseigne le devoir. Le devoir de faire tomber « les barreaux symboliques séparant deux mondes «. Le mot grille intervient trois fois : une fois pour l’enfant riche, une fois pour l’enfant pauvre, et une fois pour le rat. La grille est bonne pour le rat, elle n’existe pas entre les enfants. Ils ont compris que le plus intéressant dans la vie, c’est le vivant justement. Ils sont passés au-dessus, ou plutôt « à travers « les barrières. Le regard du poète comme celui de l’enfant reconstruit le monde. Il nous montre l’exemple.

 

conclusion

on peut lire ce poème comme une fable ou plutôt comme un apologue puisqu’il contient une leçon et une morale. La leçon c’est de garder un regard d’enfant sur le monde pour y découvrir les vraies valeurs, la morale que la valeur ne se trouve pas toujours où on la cherche ! le laid et le beau se mêlent, et leurs critères se transforment sous l’œil du poète. L’enseignement est aussi artistique, le poème en prose est vivant, il transpose la vie dans l’écriture. Le vivant, symbolisé ici par le rat, l’emporte sur l’inerte et factice copie de la vie.

 

Les procédés conférant un caractère poétique à cette prose sont :

L’emploi du rythme ternaire qui donne une certaine musicalité au poème en prose : « le luxe, l’insouciance et le spectacle habituel de la richesse «, « verni, doré,vêtu «, « sale, chétif, fuligineux «, « agaçait, agitait et secouait «

La  reprise de termes (anaphores internes) donnant une rime interne : « sur une route, derrière la grille «, «de l’autre côté de la grille, sur la route «.

La métaphore « gisait sur l’herbe un joujou splendide « montre une analogie entre l’enfant et son jouet : le jouet est assimilé à l’enfant, il est statique, trop fabriqué et sans vie.

Une autre métaphore encore avec les barreaux symbolisant les barrières sociales.

La magie poétique : transfiguration du laid en beau.

Enfin le texte est clos et autonome.

 

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