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LE JOUJOU DU PAUVRE DE BAUDELAIRE - Extrait d'un des Petits poèmes en prose N° XIX

Publié le 20/07/2010

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baudelaire

La poésie au-delà des clivages.    Introduction :    Baudelaire, poète et critique artistique veut faire de l’écrivain « un peintre de la vie moderne «, expression par laquelle il qualifie le génie de Delacroix. Aussi n’hésite-t-il pas à offrir au sein de ses recueils Les Fleurs du mal ou Spleen de Paris le spectacle de scènes de rue comme Les Tableaux parisiens ou ce texte intitulé le Joujou du pauvre. Ce poème apparaît d’emblée comme un court récit, sorte de témoignage sur une scène à laquelle le poète assiste. Le thème essentiel en est l’enfance et la capacité d’émerveillement propre à cet âge. A travers la rencontre de deux jeunes enfants fortement marqués en apparence par leur milieu social, Baudelaire va mettre en œuvre la capacité de la poésie à transcender les clivages, les apparences pour faire surgir de secrètes correspondances et une « universelle analogie « entre ces deux êtres que tout oppose. Le récit se déploie comme une fable dont le message implicite en appelle à la perspicacité du lecteur « ce semblable et ce frère «. Loin d’une littérature engagée au service d’une idéologie, la poésie se fonde ici sur une nouvelle lecture du quotidien, du trivial rendu à son essence par la qualité du regard que l’on pose sur des réalités insoupçonnées… Le poète n’est-il pas avant tout « un voyant « ?    I. Une peinture sociale fondée sur le clivage : une opposition antithétique    L’antithèse est la figure centrale de ce poème. De prime abord , les deux enfants sont placés en opposition radicale, frontale et apparaissent comme des figures emblématiques du milieu social auquel ils appartiennent respectivement. Le portrait adopte dans les deux cas la même progression (présentation des deux enfants mis en// par la même construction syntaxique « ..derrière la grille…se tenait «l. 2  « de l’autre côté de la grille…il y avait un autre enfant.. «l.16 ): lieu, apparence, qualité, jouet. Le premier semble idéalisé, le second discrédité, mais les apparences sont souvent trompeuses…  A. Description idéalisée de l’enfant riche :    Le premier paragraphe commence par une description précise, détaillée, du milieu dans lequel évolue l’enfant riche ; l’univers est plaisant. L’organisation de cette évocation permet une représentation allégorique de milieu social    1. A la ligne 1 « Sur la route, derrière la grille d’un vaste jardin… « : lieu caractérisé par sa végétation et son ampleur, lieu privé et privilégié.    2. Cadre spatial : château, vaste jardin    • La présence d’un « joli château «l. 2/3 achève de caractériser le statut énoncé plus haut, l’aisance matérielle se trouvera corroborée par l’ensemble des autres détails et termes mélioratifs.    • Description méliorative perceptible à travers des termes comme : « Joli, la blancheur, frappé par le soleil, …    • Portrait physique de l’enfant : « enfant beau et frais «, «  Si pleins de coquetterie « l. 5 ( Intensif + absence de détails réalistes + article indéfini = Généralisation de la beauté des enfants riches). Cette généralisation se poursuit par le pluriel de « ces enfants-là «l.7 qui associe implicitement la beauté au « luxe, insouciance et (…) richesse « ; le rythme ternaire amplifie la représentation de cette caste en dévoilant une certaine réserve face à ce que d’aucuns nommeraient un poncif, stéréotype ou cliché. Le déictique « -là « trahit la pensée d’un poète qui ne cautionne pas cette idéalisation. La métaphore qui assimile l’essence de l’enfant à une pâte prête à monter reprend par ailleurs un autre stéréotype archaïque voire médiéval : implicitement , la richesse de l’enfant induit sa valeur humaine suggérant un rapport de cause à effet entre le milieu et la qualité d’être . Stéréotype évoqué par Baudelaire : la mention sur un rythme ternaire du « luxe, insouciance et richesse « amplifie l’idée préconçue d’un enfant choyé que son statut social autorise à une des caractéristiques propres à l’enfance « l’insouciance «. La redondance des termes « richesse et luxe « insiste sur le prix d’une telle caractéristique.    • Le jouet devient dés lors une véritable allégorie de la pensée du poète ; richesse apparente du jouet par les détails sur les matières, par les qualificatifs employés « splendide, aussi frais (…) vernis, doré(…) robe pourpre, couvert de plumets et de« verroteries «.    3. L’accumulation pourrait laisser croire à l’admiration du spectateur devant un raffinement excessif, si l’adversatif « Mais « de la ligne 13 ne venait apporter un démenti : toute l’attention de cet enfant comblé se porte en effet de « l’autre côté de la grille « preuve que cette richesse qui « gisait « (terme qui renvoie à l’inertie de la mort) était en soi frappée d’inanité, de vanité et finalement inintéressante.    En opposition à cette idéalisation, la peinture d’un autre milieu à travers l’enfant pauvre dévoile le pendant de cette richesse, la misère    B. Description antithétique et péjorative de l’enfant pauvre  A la fin du 3ème paragraphe, nous avons l’autre versant de ce diptyque annoncé et mis en valeur par l’exclamative et la tournure de mise en relief : « …et voici ce qu’il regardait ! «.Ce spectacle suscite l’intérêt de l’enfant riche (ligne 14) qui de ce fait délaisse son « joujou préféré«. Curieusement, loin de répondre à l’intérêt de l’enfant, la description est a priori péjorative : le pauvre et son univers sont décrits de manière dévalorisante : la saleté, la fragilité et la marginalité sont portées par les détails physiques « sale, chétif, fuligineux (cad couvert de suie)= l’enfant pourrait représenter les ramoneurs itinérants, sa situation dans la rue et l’allusion aux « chardons et les orties « (ligne 14),renvoient à l’itinérance et à une certaine liberté.    Un subtil réseau d’opposition se met alors en place :    • à l’éblouissement de la richesse (« frappé de soleil, , blancheur… «) correspond une certaine noirceur ou souillure de la misère (« répugnant, parias, … «),    • à la fraîcheur signe de bonne santé répond le corps « chétif « du miséreux.    II. Un regard poétique qui invite à abolir les clivages les frontières    Par delà cette confrontation sociale, la mise en opposition des « joujoux « inverse le rapport de forces et délivre au lecteur une des clefs de cette représentation allégorique de deux univers opposés : bien que fortement associé au fléau qu’il répand, « le rat vivant « inscrit la fable dans une nouvelle dimension. Le caractère insolite et sordide du jouet excite la curiosité de l’enfant riche. Il ne lui sert à rien d’exhiber une richesse de pacotille, la vraie richesse est ailleurs…  Cette irruption du vivant dans la sclérose des préjugés renouvelle le regard porté sur la pauvreté  = une transition entre la description de l’enfant riche et le pauvre s’opère = cette mise en valeur de l’enfant pauvre par le regard de l’enfant riche.    A. Des frontières sociales et matérielles dépassées :    • la progression de la description suggère la disparition progressive des barrières qualifiées de « barreaux symboliques « séparant les deux enfants et les enfermant selon la métaphore carcérale dans une incompréhension mutuelle. Ainsi, chacun est présenté dans un premier temps de part et d’autre d’une frontière « derrière la grille « puis le regard se fait traversant « à travers la grille « enfin , l’enfant riche finit pas rejoindre l’enfant pauvre dans « la rue «.    • D’autre part, cette « réconciliation « est marquée par de nombreuses expressions qui gomment la dualité : « les deux enfants « « se riaient l’un à l’autre « « fraternellement «.    • Le point culminant étant résumé par la dernière allusion « aux dents d’une égale blancheur « dont l’italique renforce la portée : la blancheur est bien entendu à comprendre au sens figuré « d’ingénuité enfantine, d’absence de préjugés «. Une candeur qui réhabilité l’autre et lui rend sa dignité.    B. Une vision paradoxale qui renverse l’ordre établi par le truchement du jouet :    En fait, le riche est fasciné par le pauvre et son jouet : adverbe « avidement «, « rare « et adjectif « inconnu «. Le lecteur n’identifie que plus tard ce qu’est ce jouet « Un rat vivant « ligne 27 et 28.    Le paradoxe réside donc bien dans l’irruption du « rat vivant « : le jouet du riche, faute de vie demeure inerte car rien en lui ne sollicite une participation de l’imagination. Or, l’indigence de l’enfant pauvre l’oblige à extirper de la réalité triviale une fantaisie qui fait de la laideur un objet d’étonnement et de joie, d’où le rire qui vient clore la scène comme un point d’orgue.    C. Un œil impartial : le regard du poète    De fait, à travers ce poème en prose, Baudelaire nous initie à une qualité de regard : reprenant les stéréotypes qui enferment les êtres, il les dépasse et nous invite à en faire autant. Les modalisateurs employés dans le texte ( le conditionnel « on les croirait faits «… « découvrirait «, les déictiques «ces enfants –là «) nous guident avec discrétion vers une initiation. Nous voici invités à adopter le regard de l’initié (« connaisseur «) apte à percevoir au-delà des apparences (« vernis ou répugnante patine de la misère «) la « beauté «.    III. Modernité d’un engagement qui se refuse à instrumentaliser l’écriture poétique  :    Se refusant à tout enjeu didactique quelle qu’en soit sa nature sociale, politique ou morale, Baudelaire réaffirme ici la mission de la poésie. Ce poème part donc de l’anecdote et par un subtil jeu d’oppositions et de renversement démontre avec justesse l’innocence de l’enfance et sa capacité d’émerveillement devant le monde, une aptitude qu’il partage avec le poète.    A. Un tableau d’une grande richesse d’évocation :    Par la métaphore picturale présente à la ligne 19, le poète se montre l’égal d’un autre artiste, le peintre capable de réaliser « une peinture idéale «, celle d’un connaisseur. S’y mêlent toutes sortes de notations (tactiles dans la mention des matières telles que le pourpre ou les plumets, visuelles par le biais des couleurs de la luminosité et des contrastes entre la suie et la blancheur, auditives à travers le rire et le tintement de la verroterie… ), une richesse d’évocation caractéristique de l’esthétique baudelairienne.    B. Des partis pris modernes :    • Le choix du poème en prose renvoie à la même recherche : aller au-delà des apparences pour créer un regard neuf sur des réalités apparemment triviales – jeux des sonorités, volume des différents §…    « Quel est celui d’entre nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique , musicale, sans rythme et rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme , aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?«    • Le choix du thème et du rat renoue avec les motifs chers à Baudelaire qui font du poète un alchimiste. A sa manière, il extraie « la beauté du mal « afin de dépasser tout préjugé y compris les préjugés esthétiques. Cf. Une Charogne.    C. Un refus de tout moralisme :    Longtemps fervent admirateur de Gautier et de sa conception parnassienne, Baudelaire demeure discret dans cette fable, bien loin de la figure du moraliste. Aucune sentence n’est prononcée, l’énonciation exclut l’intrusion d’un « je « péremptoire et nulle condamnation n’est formulée.    Loin du misérabilisme de Hugo, il n’inféode pas l’écriture à un moyen mais à une fin en soi. Tout est propice au rêve et à la « fraternité «, une notion qui inaugure Les Fleurs du mal. C’est là la modernité de son engagement qui tend vers l’universel. N’écrit-il pas que le génie est « l’enfance retrouvée « et à travers elle la capacité à créer de nouveaux « poncifs «…

baudelaire

« et la tournure de mise en relief : « …et voici ce qu'il regardait ! ».Ce spectacle suscite l'intérêt de l'enfant riche(ligne 14) qui de ce fait délaisse son « joujou préféré».

Curieusement, loin de répondre à l'intérêt de l'enfant, ladescription est a priori péjorative : le pauvre et son univers sont décrits de manière dévalorisante : la saleté, lafragilité et la marginalité sont portées par les détails physiques « sale, chétif, fuligineux (cad couvert de suie)=l'enfant pourrait représenter les ramoneurs itinérants, sa situation dans la rue et l'allusion aux « chardons et lesorties » (ligne 14),renvoient à l'itinérance et à une certaine liberté. Un subtil réseau d'opposition se met alors en place : • à l'éblouissement de la richesse (« frappé de soleil, , blancheur… ») correspond une certaine noirceur ou souillurede la misère (« répugnant, parias, … »), • à la fraîcheur signe de bonne santé répond le corps « chétif » du miséreux. II.

Un regard poétique qui invite à abolir les clivages les frontières Par delà cette confrontation sociale, la mise en opposition des « joujoux » inverse le rapport de forces et délivre aulecteur une des clefs de cette représentation allégorique de deux univers opposés : bien que fortement associé aufléau qu'il répand, « le rat vivant » inscrit la fable dans une nouvelle dimension.

Le caractère insolite et sordide dujouet excite la curiosité de l'enfant riche.

Il ne lui sert à rien d'exhiber une richesse de pacotille, la vraie richesse estailleurs…Cette irruption du vivant dans la sclérose des préjugés renouvelle le regard porté sur la pauvreté = une transitionentre la description de l'enfant riche et le pauvre s'opère = cette mise en valeur de l'enfant pauvre par le regard del'enfant riche. A.

Des frontières sociales et matérielles dépassées : • la progression de la description suggère la disparition progressive des barrières qualifiées de « barreauxsymboliques » séparant les deux enfants et les enfermant selon la métaphore carcérale dans une incompréhensionmutuelle.

Ainsi, chacun est présenté dans un premier temps de part et d'autre d'une frontière « derrière la grille »puis le regard se fait traversant « à travers la grille » enfin , l'enfant riche finit pas rejoindre l'enfant pauvre dans« la rue ». • D'autre part, cette « réconciliation » est marquée par de nombreuses expressions qui gomment la dualité : « lesdeux enfants » « se riaient l'un à l'autre » « fraternellement ». • Le point culminant étant résumé par la dernière allusion « aux dents d'une égale blancheur » dont l'italiquerenforce la portée : la blancheur est bien entendu à comprendre au sens figuré « d'ingénuité enfantine, d'absencede préjugés ».

Une candeur qui réhabilité l'autre et lui rend sa dignité. B.

Une vision paradoxale qui renverse l'ordre établi par le truchement du jouet : En fait, le riche est fasciné par le pauvre et son jouet : adverbe « avidement », « rare » et adjectif « inconnu ».

Lelecteur n'identifie que plus tard ce qu'est ce jouet « Un rat vivant » ligne 27 et 28. Le paradoxe réside donc bien dans l'irruption du « rat vivant » : le jouet du riche, faute de vie demeure inerte carrien en lui ne sollicite une participation de l'imagination.

Or, l'indigence de l'enfant pauvre l'oblige à extirper de laréalité triviale une fantaisie qui fait de la laideur un objet d'étonnement et de joie, d'où le rire qui vient clore lascène comme un point d'orgue. C.

Un œil impartial : le regard du poète De fait, à travers ce poème en prose, Baudelaire nous initie à une qualité de regard : reprenant les stéréotypes quienferment les êtres, il les dépasse et nous invite à en faire autant.

Les modalisateurs employés dans le texte ( leconditionnel « on les croirait faits »… « découvrirait », les déictiques «ces enfants –là ») nous guident avecdiscrétion vers une initiation.

Nous voici invités à adopter le regard de l'initié (« connaisseur ») apte à percevoir au-delà des apparences (« vernis ou répugnante patine de la misère ») la « beauté ». III.

Modernité d'un engagement qui se refuse à instrumentaliser l'écriture poétique : Se refusant à tout enjeu didactique quelle qu'en soit sa nature sociale, politique ou morale, Baudelaire réaffirme ici lamission de la poésie.

Ce poème part donc de l'anecdote et par un subtil jeu d'oppositions et de renversementdémontre avec justesse l'innocence de l'enfance et sa capacité d'émerveillement devant le monde, une aptitude qu'ilpartage avec le poète. A.

Un tableau d'une grande richesse d'évocation : Par la métaphore picturale présente à la ligne 19, le poète se montre l'égal d'un autre artiste, le peintre capable deréaliser « une peinture idéale », celle d'un connaisseur.

S'y mêlent toutes sortes de notations (tactiles dans la. »

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