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Jules Michelet. Début de la deuxième leçon prononcée devant les étudiants au Collège de France

Publié le 26/04/2011

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Le candidat doit résumer ou analyser le texte suivant (le choix sera précisé dans la marge). Dans un second temps, il choisira un thème auquel il attache un intérêt particulier; il le commentera à son gré sous forme d'un exposé cohérent et clair.

« Je vous l'ai dit, le mal du monde est là : il y a un abîme entre vous et le peuple. Le peuple! est-ce que nous ne sommes pas tous peuple?... J'entends ici par ce mot les trente millions d'hommes, je devrais dire trente-deux, qui n'ont aucune connaissance ni de vos livres, ni de vos journaux, ni de vos théâtres, ni même des lois auxquelles ils obéissent. Veuillez, je vous prie, laisser de côté vos statistiques trompeuses qui augmentent à volonté le nombre de ceux qui vont aux écoles (que m'importe, s'ils n'apprennent rien?), le nombre de ceux qui, au moment de la conscription, parviennent à simuler une signature!... Messieurs, il y a plus de trente millions d'hommes qui n'ont presque aucun rapport d'esprit avec vous; c'est de là qu'il faut partir. Vous êtes une nation de deux ou trois millions d'hommes environ; tâchons qu'il n'en soit pas ainsi. Si la presse, les journaux, le théâtre, ces puissants moyens collectifs, ne suffisent pas à réunir les deux peuples divisés, ne faudra-t-il pas y joindre l'action directe, personnelle, les communications orales, la parole chaleureuse et féconde, qui, sans intermédiaire de papier, va tout droit de l'homme à l'homme, du coeur au cœur? Notre confiance excessive dans la grande mécanique moderne nous a fait dédaigner comme trop simple, trop faible, impuissante, l'action de la parole. Pourtant, nous le voyons, la presse est impuissante elle-même : le divorce augmente, la brèche s'élargit. Le lien le plus fort qui soit entre les hommes, la communauté de la pensée, n'existe pas dans cette société. Nulle culture, nulle littérature commune, et nulle volonté d'en avoir. Les lettrés écrivent pour les lettrés; les ouvriers littérateurs, dont plusieurs sont très distingués, écrivent dans les formes des lettrés, nullement pour le peuple. Voyez les Juifs! ils avaient la Bible; ce fut leur unité. Les Grecs! ils avaient Homère; ils s'entendaient en lui. On vous dit que les Spartiates et les Athéniens étaient une aristocratie, cela est vrai; mais leurs sujets, la majorité même de leurs esclaves, avaient Homère en commun avec eux, de sorte qu'ils étaient, sous ce rapport, au niveau de leurs maîtres; ils avaient ce que vous n'avez pas, l'unité de pensée. Les Allemands même aujourd'hui, que vous croyez si divisés, ont une sorte d'unité, vague en apparence, mais profonde, dans leurs légendes populaires, dans Schiller; dans Weber, ils ont l'unité musicale. Le génie des grands musiciens pénètre dans tous les rangs de la population. Et lorsqu'un prince souverain passe dans un village, et qu'il entend sortir d'une chaumière la voix de Beethoven, il la reconnaît, en suit le rythme, et il se met au pas; et, sous ce vrai roi de l'Allemagne, il marche un moment dans l'égalité. Qu'avez-vous de semblable? Le divorce social ici date de loin. Dès le XIIe siècle, trois langues ont commencé, j'allais dire trois peuples. D'abord, comme partout, l'Église, qui s'obstine à parler latin, langue que dès lors on n'entend plus. Puis l'aristocratie avec ses longs poèmes, ses romans, sa littérature toute à part. Et cette classe si peu nombreuse, elle appelle sa langue la langue française. Est-ce bien là la France? c'est, tout au plus, la tête de la France; la France n'en sait rien. Elle est divisée en cent patois... Le patois, mot d'ignorance insolente!... De nos jours, on a su que c'étaient généralement les dialectes d'une langue délicate et savante, où parlèrent les plus subtils des hommes, les troubadours et les trouvères, ces théologiens de l'amour. Ainsi, vous avez toujours été vous divisant. L'esprit de spécification qui augmente dans les sciences n'y a pas peu contribué. Et vous allez ainsi jusqu'à la Révolution! Elle vous donne ce qu'aucun peuple du monde n'a encore, une légende d'unité nationale. Ni l'Angleterre, ni l'Allemagne, ni l'Italie, nul peuple n'a une telle légende. Voilà que vous en avez une, c'est un coup du ciel, un miracle. Vous avez une légende, la plus sublime comme idée, qui est la Révolution, la plus héroïque comme fait, qui est l'Empire. Il semble, après cela, que vous allez avoir l'unité, et vous ne l'avez point. « Jules Michelet. Début de la deuxième leçon prononcée devant les étudiants au Collège de France, le 23 décembre 1847.

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