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Le langage est-il un instrument ou un obstacle à la pensée ?

Publié le 08/02/2004

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langage
Loin d'être deux mondes radicalement extérieurs, « incommensurables » comme le disait Bergson, le langage et la pensée apparaissent ici comme absolument consubstantiels. Que reproche Hegel à l'ineffable ? Il lui reproche de n'offrir, en fait de pensée, qu'une matière de pensée sans la forme que seule la formulation par le langage pourrait lui conférer. L'ineffable en effet, c'est la pensée informe, c'est-à-dire une pensée usurpée, une pensée qui n'en est pas vraiment une. Pour mériter ce nom, pour être vraiment la pensée, celle-ci doit en passer par l'épreuve de l'explicitation. Il y a ici un malentendu possible contre lequel il faut mettre en garde le lecteur de Hegel : c'est le malentendu de l'énonciation. Le problème de Hegel n'est pas de savoir s'il faut se taire ou parler, ni de savoir si les vérités sont ou non bonnes à dire : l'enjeu de l'exigeante conception de Hegel est de savoir à partir de quoi, à partir de quel critère on peut réellement considérer qu'on a affaire à de la pensée, à partir de quel critère la pensée mérite le nom de pensée. Ce critère, c'est la « forme objective » (le mot) qui rend ma pensée publiable, identifiable même par moi seul (tant encore une fois il ne s'agit pas ici de rapport à autrui). Pourquoi faire un brouillon avant une dissertation ? Justement  pour expliciter le flux d'abord confus de l'inspiration qui nous traverse à partir d'un sujet, pour incarner cette manière, cette pensée virtuelle en une réalité palpable & travaillable, réalité que les mots que nous écrivons lui donnent.
langage

« infini, reconnaît en effet par là même l'impuissance de l'intelligence humaine à le comprendre pleinement et celle du langage humain à l'exprimer adéquatement.

Aussi le premier Concile du Vatican proclame-t-il Dieu "ineffablement élevé " au- dessus de toutes les créatures.

a plus forte raison, les mystiques qui s'efforcent d'entrer en union spirituelle avec cet Etre infini, ne trouvent-ils plus de paroles pour exprimer cette union, et certains d'entre eux sont allés jusqu'à parler du "je-ne-sais-quoi" qu'ils ressentent dans l'extase.

Sainte Thérèse déclare qu'au moins au début, elle "passa fort longtemps sans trouver une seule parole pour faire connaître aux autres les lumières et les grâces dont dieu la favorisait ", et Bossuet , dans une lettre à l'une de ses pénitentes, lui conseille, pour faire oraison, de dire ö sans rien ajouter.Il s'en faut toutefois que, chez les vrais mystiques, cet état ne soit qu'inconscience et tourne le dos à toute intelligibilité.

Comme l'a très bien dit h.

Delacroix, "pour les mystiques chrétiens, le dieu ineffable est au dieu de l' Eglise ce que l'intuition est au discours.

Il le dépasse, mais il se précise et s'explicite en lui...

Ils adhèrent explicitement ou implicitement à l'école qui contraint le discours à témoigner en faveur de l'intuition ". Cependant, en vérité, comment se présente cet ineffable ? Il est illimité, donc ses contours sont incertains, indéfinis parce qu'infinis.

Ne serait-il point alors une simple illusion ? Cette richesse ne pourrait-elle pas s'identifier à de l'indétermination ?Toute réalité ne doit-elle pas passer par des mots ? L'antériorité de la pensée sur le langage n'est-elle qu'un vaste présupposé ? • La pensée indissociable du langageS'il nous arrive de faire l'expérience malheureuse de ne pas trouver « les mots pour le dire », il faut reconnaître que cette expérience est largement minoritaire dans notre quotidien.

Le plus souvent, nous disons tout ce que nous avons à dire,nous n'avons plus rien à dire ; la pensée et le langage sont alors éprouvés comme formant un tout indissociable.Il n'est donc guère étonnant que ce soit à l'occasion d'une critique de l'ineffable que Hegel ait écrit : « C'est dans les mots que nous pensons ».

Dire que nous pensons en mots, comme on paye en francs ou en dollars, c'est définir le mot comme l'unité de la pensée.

Loin d'être deux mondes radicalement extérieurs, « incommensurables » comme le disait Bergson , le langage et la pensée apparaissent ici comme absolument consubstantiels. Que reproche Hegel à l'ineffable ? Il lui reproche de n'offrir, en fait de pensée, qu'une matière de pensée sans la forme que seule la formulation par le langage pourrait lui conférer.

L'ineffable en effet, c'est la pensée informe, c'est-à-dire une pensée usurpée, une pensée qui n'en est pas vraiment une.

Pour mériter ce nom, pour être vraiment la pensée, celle-ci doit en passer par l'épreuve del'explicitation.Il y a ici un malentendu possible contre lequel il faut mettre en garde le lecteur de Hegel : c'est le malentendu de l'énonciation.

Le problème de Hegel n'est pas de savoir s'il faut se taire ou parler, ni de savoir si les vérités sont ou non bonnes à dire : l'enjeu de l'exigeante conception de Hegel est de savoir à partir de quoi, à partir de quel critère on peut réellement considérer qu'on a affaire à de la pensée, à partir de quel critère la pensée mérite le nom de pensée.

Ce critère, c'est la « forme objective » (le mot) qui rend ma pensée publiable, identifiable même par moi seul (tant encore une fois il ne s'agit pas ici de rapport à autrui).

Pourquoi faire un brouillon avant une dissertation ? Justement pour expliciter le flux d'abord confus de l'inspiration qui nous traverse à partir d'un sujet, pour incarnercette manière, cette pensée virtuelle en une réalité palpable & travaillable, réalité que les mots que nous écrivons lui donnent.Il s'agit là, pour la pensée, d'une véritable épreuve, de l'épreuve de ce que Hegel appelait le « négatif » : pour devenir ce qu'elle est, la pensée doit en passer par ce qui n'est pas elle : le langage.

Dans cette épreuve par laquelle elle devient ce qu'elle est, la pensée fait donc face à d'apparents périls qui peuvent nous faire prendre le langage pour un inconvénient.

Au premier rang de ces périls, celui quiapparemment menace ce que nous pourrions appeler la subjectivité, notre singularité : ne risquons-nous pas, en incarnant notre intériorité dans une forme objective, d'en perdre irrémédiablement ce quien elle nous appartient le plus ? Le mot peut, ainsi, être perçu comme commun et galvaudable : nous savons bien que chacun peut transformer nos paroles comme il l'entend, que les « je t'aime » que nous prononçons ont été cent fois, mille fois, prononcés et entendus, que nos pensées dans nos paroles deviennent anonymes comme une rumeur sourde.

Puisque « tout est dit depuis huit mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent » (La Bruyère ), le refus des mots ne serait-il pas le dernier refuge de l'intériorité ? Ce sont ces appréhensions que la pensée hégélienne entend conjurer avec la dernière énergie. Le présupposé qui est ici en jeu a quelque chose à voir avec la question de la propriété de la parole.Ce dialogue constant de la pensée avec le langage, cette lutte entre l'ineffable et les mots, bref ce passage, pour la pensée, du non-être à l'être prend donc évidemment, comme on l'a vu, un sensparticulièrement aigu en littérature et spécialement en poésie.

Si le passage par la parole marque la vraie naissance de la pensée, c'est qu'il faut concevoir le langage comme quelque chose de plus haut qu'un simple instrument.

Ce qui se conçoitbien ne s'énonce clairement, pour paraphraser Boileau , que dans la mesure où l'énonciation claire est elle aussi à son tour la condition de la bonne conception. La fonction essentielle du langage, selon Hegel , est de tirer l'esprit du monde complexe et confus que lui présente la perception brute et de le faire accéder à un monde plus intellectuel, purifié, celui des mots: "L'intelligence se trouve comme remplie par l'objet qui lui est donné immédiatement et qui entraîne avec lui la contingence, l'inanité et la fausseté qui sont le propre de l'existence extérieure" .

Mais, le rôle de l'intelligence est de "purifier le contenu de l'objet qui s'offre à elle d'une façon immédiate, en y effaçant tout ce qu'il a d'extérieur, d'accidentel et d'insignifiant" .

Or c'est le son articulé, le mot qui accomplit cette fonction, car d'un côté le mot est une forme externe mais il est aussi l'oeuvre de l'esprit: il est un signe et il est par là une forme interne. "Le son s'articulant suivant les diverses représentations déterminées, c'est-à-dire la parole et son système le langage, donne aux intuitions et aux représentations une seconde existence, plus haute que leur existence immédiate, en un mot, une existence qui a sa réalité dans la sphère de la représentation". Par exemple, "en entendant le mot lion, nous n'avons besoin ni de l'intuition, ni même de l'image de cet animal, le mot une fois compris est la représentation simple sans image.

C'est en mots que nous pensons", c'est-à-dire non en images. C'est pourquoi Hegel considère, en opposition à Leibniz , que le langage alphabétique est supérieur au langage hiéroglyphique, trop près des choses.

Celui-ci "désigne les représentations par des figures spatiales; mais l'écriture alphabétique exprime des sons qui sont en eux-mêmes déjà des signes. Cette langue consiste donc en signes de signes; elle ramène les signes concrets de la langue des sons, les mots, à leurs éléments simples, et exprime ces éléments" .

Et Hegel conclut: "Il suit de là qu'apprendre à lire et à écrire l'écriture alphabétique est un moyen d'éducation intellectuelle d'un prix infini, et qu'on ne saurait trop apprécier.

Car cela détourne l'esprit de l'existence sensible et concrète, et dirige son attention sur un domaine plus intellectuel, le mot parlé et ses éléments abstraits, et remplit par là une condition indispensable pour fonder et épurer la vie de l'esprit".

Il semble qu'il n'y ait guère de texte qui ait affirmé avec cette force l'indissolubilité du langage et de la pensée et la fonction primordiale du langage dans son exercice, comme si Hegel ne s'opposait pas seulement à des vues mystiques traditionnelles mais prévoyait aussi des attaques du type de celle de Bergson et qu'il voulût y répondre par avance. « C'est dans le mot que nous pensons.

Nous n'avons conscience de nos pensées, nous n'avons de pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité [...].

C'estle son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l'externe et l'interne sont intimement unis.

Par conséquent, vouloir penser sans les mots est une tentative insensée.

On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu'il y a de plushaut, c'est l'ineffable.

Mais c'est là une opinion superficielle et sans fondement ; car en réalité, l'ineffable, c'est la pensée obscure, la pensée à l'état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot.

Ainsi le mot donneà la pensée son existence la plus haute et plus vraie.

» Hegel, in « Philosophie de l'esprit ». Hegel engage sa réflexion sur la possibilité de la synthèse entre l'aspect subjectif et l'aspect objectif de la conscience.

Le langage est un moyen terme entre ces deux aspects, ce par quoi la conscience obtient l'existence. Le langage permet à l'homme de concevoir la nature.

Et on ne peut la concevoir sans lui, quel que soit l'envie qu'on en a.

De même, il n'est pas possible d'exprimer la conscience autrement que par le recours au langage, quelle que soitla prétention de l'ineffable. Hegel lie le mot et la pensée : 1.

Penser par le mot, c'est lier intériorité et extériorité. 2.

Il est impossible de penser sans les mots.3.

Le langage clarifie la pensée.

D'emblée, la thèse de Hegel est affirmée clairement, en une phrase lapidaire : « C'est dans le mot que nous pensons. » L'ensemble du texte vise à l'analyse des deux termes : la pensée, le mot, et à leur articulation.

D'où formellement deux possibilités : penser avec les mots (penser « dans le mot ») ; penser sans les mots (c'est la tentation de l'ineffable).

Cette seconde tentative est écartée, par Hegel, comme une erreur.

Ainsi, seule, la première possibilité demeure, d'où l'affirmation renouvelée, sous une autre forme, de la thèse : « le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. » 1.

La thèse est examinée en chacun de ses éléments.

D'abord la pensée.

Penser c'est avoir conscience de penser, ce qui implique un dédoublement.

Si naïvement toute pensée, en tant que personnelle (« nos pensées »), est crue de l'ordre de notre intériorité (et strictement seulement de cet ordre), philosophiquement, elle est aussi de l'ordre de l'extériorité (et donc différenciée de l'intériorité).

Penser est une activité (« donner » à nos pensées) qui assure lepassage d'un ordre à un autre, où l'on passe en même temps de l'abstrait (« penser » dans le vague en général) au concret, de la subjectivité à l'objectivité (des pensées « déterminées », cad qui sont celles-ci ou celles-là).

Enfin, avec une réflexion particulière qui doit être consacrée à l'idée de forme (la « forme » objective) qui, en tant que forme, assure une universalité de la pensée applicable dans la diversité et la multiplicité des situations – s'opposant implicitement à un plein qui ne peut se référer qu'à l'unique particularité du contenu de ce qui est ici et maintenant.

Forme claire opposée à l'obscur du plein.En suite le mot.

Si pour la pensée, il convenait de distinguer intériorité et extériorité, il faut reconnaître au mot (défini au passage comme « son articulé ») le statut concret (« l'existence ») d'une synthèse de l'intériorité (« l'interne ») et de l'extériorité (« l'externe »).

D'un rapport privilégié du mot et de la conscience, puisque c'est le mot qui est le seul à pouvoir à chaque fois unir (intimement) les deux positions de la pensée. La pensée n'est ni l'intériorité seule (l'intériorité est insuffisante il en faut plus) ni l'extériorité seule (il n'y a d'extériorité que seconde, puisqu'elle est le produit, le résultat d'une activité qui prend naissance dans l'intériorité).

Maisseul le mot articule en même temps, à la fois, l'intériorité (c'est moi, je, qui parle) et l'extériorité (la « forme » du langage me permet de dire l'universel). 2.

Penser, cad tenir à la fois l'intériorité et l'extériorité, n'est possible qu'avec les mots.

D'où logiquement (« par conséquent ») la réfutation d'une thèse, qui pourtant a cours, et selon laquelle, croit-on, il serait possible de « penser sans les mots ». Prétention démesurée d'un vouloir (« vouloir » penser) qui s'oppose à un pouvoir limité, et qui prend la figure d'une tentative (qui est peut-être même une tentation) impossible et insensée.

Tout à la fois dans le sens de tentative folle (désespérée), qui n'a pas de sens (qui ne s'oriente nulle part, car sans issue) et vide (ça ne veut rien dire, puisque justement pour penser il faut des mots...).Prétention de l'ineffable à dénoncer.

Selon la métaphore architecturale d'une construction où il y a un haut et un bas (et par là même une fondation, « un fondement ») la croyance répandue (« ordinairement ») en l'ineffable (ce qui échappe à l'expression) est celle d'un haut sur-valorisé (« ce qu'il y a de plus haut »), mais qui ne s'appuie sur rien (« sans fondement »).

Ce qui fait que ce qui est pris par l'opinion, pour le haut n'est en réalité –à l'opposé de l'apparent- que superficialité, qui s'oppose à la solide épaisseur du profond.Cette métaphore, imaginée pour dire l'ineffable, ne pouvant jouer qu'à vide, on peut aussi en proposer une autre, plus réelle (« en réalité...

»), mais ici, à peine suggérée : celle d'un baquet, où une chimie secrète (« obscure ») opère sa fermentation.

L'ineffable n'est pas apparemment dans la clarté de ce qui est « le plus haut », mais, en réalité, dans l'obscur de ce qui est au plus profond.

Mais cet obscur fait l'objet d'un travail caché qui s'accomplit au-dedans, dans le bruissement discret de la fermentation.

Mais cette pensée sobre est incomplète, « obscure » au sens d'incompréhension, impossible à déchiffrer, comme on parle d'un sens difficile à comprendre, de quelque chose d'embrouillé ou de fumeux (les vapeurs de la fermentation).

Elle ne sera pensée qu'une fois accomplie, achevée, rendue claire par le mot qui donne le sens.3.

D'où la reprise de la thèse, mais en insistant maintenant sur le processus à l'oeuvre qui permet un passage, vers le plus (« le plus haut », « le plus vrai »).

Extrême du mot qui, mené à son terme, fait passer de l'essence à l'existence, du possible au réel.

Langage qui dit le vrai, qui explicité l'implicite de la pensée : « Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. » L'intérêt de ce texte tient à la dénonciation de la thèse d'une dénaturation de la thèse d'une dénaturation de la pensée par le langage.

Ce dernier, soutient-on parfois, par sa simplification, ne parviendrait jamais à rendre compte de lacomplexité de la pensée.

Aussi ce texte est-il une condamnation de l'hypothèse d'un ineffable de la pensée, irréductible à tout langage.Positivement, Hegel, par le langage, fait le lien entre l'intérieur et l'extérieur, en affirmant, dialectiquement, qui ce lien ne peut se produire, que par l'extériorisation de l'intériorité. Cependant, quelle que soit l'habileté dialectique, son présupposé hostile à l'intériorité, son déni de la capacité de l'homme à atteindre l'ineffable, amènent Hegel à laisser échapper une partie de la vérité.

Il y a malgré tout une certaine partie de la pensée qui ne peut que rester obscure.

Et, contrairement à ce que soutient Hegel, non par manque, mais plutôt par un trop-plein.

Sinon, comment expliquer la notion d'inconscient, que Hegel refuse de prendre en charge ? [Seconde correction] Ce texte se déploie selon trois moments : dans un premier temps (jusqu'à « la plus haute ») Hegel montre que le langage donne l'élément d'universalité en donnant une forme objective à ce qui n'était qu'une matière subjective, une extériorité à ce qui n'était qu'intériorité.

Le langage est donc mieux qu'un instrument, il est une condition (« nous n'avons conscience...

que lorsque... »), et il est un lieu (« c'est dans les mots... ») : nous pensons en mots.

La précision qui clôt ce premier temps donne au texte tout son enjeu : si l' « activité interne la plus haute » n'est pas perdue, c'est que nous ne devons pas craindre le langage comme quelque chose qui ferait disparaître notre singularité, notre intériorité, dont l'adjectif « haut » signifie bien le prix que nous mettons en elle.. »

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