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Lecture Analytique 4- Séquence 2 : « La Bague » - DURAS

Publié le 15/09/2006

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En 1950, Marguerite Duras écrit un Barrage contre le Pacifique, un roman autobiographique dans lequel elle adapte certains fragments de sa vie en un récit fictionnel. S'inscrivant dans le courant du Nouveau Roman, cette œuvre connait un franc succès et représente la première œuvre majeure de M. Duras. Le texte dont nous devons rendre compte ici, est extrait de ce roman. Il s'agit du moment où Suzanne, une jeune fille, révèle à la mère que Monsieur Jo, l'homme qui la convoite, que ce dernier lui a donné un diamant d'une grande valeur, la laissant ainsi croire qu'ils ont entretenu une relation sexuelle. S'en suit, une violente réaction de la mère dont il est question dans ce texte. Ainsi, à travers le récit de cet évènement, l'auteur élabore le portrait d'un personnage « mythique « de son roman, la mère. D'ailleurs, l'extrait constitue un moment charnière de l'intrigue dans lequel la bague, objet « clé « du texte, devient un objet obsessionnel et catalyseur ; il met également en relief le portrait de la mère, un personnage ambivalent ainsi que les relations au sein du triangle familial. Au fil de l'extrait, la bague prend de plus en plus d'importance et passe de l'objet de toutes les convoitises à une réelle obsession. L'évènement semble donc être capital pour la famille comme en témoigne « C'était la première fois de sa vie « où l'utilisation de la forme emphatique marque d'autant plus l'aspect insolite de cette bague. De plus, l'auteur insiste sur cette facette de l'évènement notamment avec la citation « de sa vie « qui illustre bien la pauvreté de la famille. D'ailleurs, l'anaphore de la valeur de la bague « vingt mille francs « tout au long du texte, dénote bien l'importance qu'aura cette bague dans leur vie future et la manière dont cette somme d'argent « arrive d'un seul coup «. Par ailleurs, cette sensation de pauvreté est d'autant plus renforcé par l'abondant champ lexical de l'argent qui se dégage de l'extrait à travers notamment la répétition de « banque «, de la valeur de celle-ci « vingt mille francs «, de « l'hypothèque « ou encore de la « bague «. D'ailleurs la manière dont évoquée cette dernière montre bien l'obsession qui en émane notamment pour la mère, cet étrange personnage. Il ne suffit que de voir la manière dont l'auteur l'évoque avec notamment le terme « la chose « ou encore tout l'injonction que fait la mère à Suzanne « Donne la moi «, la bague est bel et bien importante, d'une importance telle qu'elle met la mère dans un état second, elle devient « saoule «. Néanmoins, cette obsession est surtout une manière d'exprimer un sentiment d'injustice, enfouie. L'auteur met un clair contraste entre la bague et son importante valeur, reprise maintes fois dans l'extrait et le terme « chose « vient mettre en branle cet aspect quelque peu mystique de l'objet, qui est au centre des préoccupations familiales. L'auteur veut ainsi vulgariser cette bague, qui si petite, peut valoir si chère. D'ailleurs, fidèle à son style très singulier, Duras dénonce quelque peu la fascination quant à la bague à travers la répétition de l'adverbe « rien « dans deux citations ; « Il n'y a rien de plus dégoutant qu'un bijou « et « ça sert à rien, à rien «. Ainsi, le bijou à est à l'origine d'une obsession qui révèle les envies les plus enfouies de la mère, la misère des personnages ainsi que le contraste entre la vie miséreuse que mène le cocon familial et la valeur de ce petit objet qu'est la bague. Ainsi, Marguerite Duras fait de la bague un « fantasme compensatoire «, il s'agit en quelque sorte d'une revanche contre les riches que la mère jalouse intimement. De plus, la bague constitue pour tout la famille un espoir d'une vie meilleure, de rembourser les dettes. Cependant, les manières contradictoires dont la bague est décrite, tour à tour objet « sacré « puis « une simple chose « démontre clairement l'ambivalence du personnage de la mère qui en devient quelque peu attachant. A travers cet extrait, Marguerite Duras dépeint sa mère et en dresse un portrait assez éloquent. Ainsi, l'auteur n'attribue pas de nom clair à cet étrange personnage qui reste connu sous le groupe nominal « la mère «. Ce « jeu « sur la toponymie démontre la volonté de l'écrivain d'ôter tout lien affectif durant les personnages et de donner une image, fixe, figée, inchangée de cet « admirable « personnage que constitue la mère et de ses relations avec ses enfants. De plus, en ne lui attribuant pas de nom l'auteur cherche sans doute à généraliser cette vision qu'elle a de la « figure maternelle « qui d'ailleurs s'apparente à la vraie mère de Marguerite Duras, pour elle la mère est représentative de la douleur et du malheur dans ce monde, l'auteur veut montrer que malgré cette apparente violente elle aime ses enfants de manière inconditionnelle comme le dira Duras dans l'une de ses interviews : « Ma mère était monstrueuse dans son amour «. Par ailleurs, dans l'extrait, Duras souligne le cyclothimisme de sa mère, ce côté lunatique qui s'exprime par un changement brutal de sentiments. En effet, elle passe de la gentillesse comme en témoigne l'adverbe « gentiment « à un état « saoule « auquel s'ajoute un sentiment honteux comme le démontre l'anaphore du nom « honte « dans la citation « c'est une honte, une honte «. Enfin, la suite de phrases interrogatives à la fin de l'extrait comme « Qu'avait donc fait Suzanne en lui montrant la bague « ou encore la répétition des outils interrogatifs comme « quel « montrent clairement une gradation dans l'intensité des sentiments de la mère et ce malgré leur multiplicité. C'est ainsi que la bague semble symboliser la violence intérieure de la mère et qui fait l'essence de ce personnage complexe et versatile. Au fil de l'extrait, la mère change sans cesse d'humeur, de sensations, de sentiments. Ainsi, l'auteur fait ressortir sa sensibilité avec les deux adjectifs qualificatifs juxtaposés « malade, honteuse «. Fidèle au style durassien, ce texte ne déroge pas à la règle et le style indirect libre laisse apparaitre la brutalité de la mère ainsi que toute sa frustration. C'est d'ailleurs ainsi que le lecteur semble être au sein de l'émotion, Duras fait partager les sentiments de la mère à ses lecteurs notamment par l'abondante énumération à la fin de l'extrait et les nombreuses interrogations intérieurs. Ainsi, pouvons-nous dire que l'auteur veut mettre en place un monologue intérieur « voilé «. Enfin, l'aspect versatile et changeant de la mère est d'autant plus soutenu par l'alternance entre prise de parole et silence comme le montre la phrase : « Elle se taisait de nouveau, si longtemps qu'on aurait plus la croire calmée «. Au-delà, d'un portrait très élaboré, Duras, met ici en avant, de manière assez implicite, les relations qu'entretiennent les différents membres de la famille, une relation triangulaire fondée, dans cet extrait, sur le regard et la crainte. Dans cet extrait, l'écrivain utilise le regard, thème récurrent de la littérature afin de mettre en relief les relations de la mère avec ses enfants. Ainsi, la mère inspire de la peur, de l'angoisse à ses enfants, en effet « Ni Suzanne, Ni Joseph n'osaient la regarder «. De plus, le texte est doté d'un abondant champ lexical comme « regardaient « ou encore « yeux « qui sont d'ailleurs dirigés vers le « plancher «. Ainsi, les relations semblent assez distendues, voire tumultueuse. Par ailleurs, le texte montre une mère particulièrement violente envers sa fille, Suzanne qu'elle frappe sans sentiments. D'ailleurs « Ca avait enfin éclaté « montre que ce drame familial était inéluctable, inévitable, incontournable. Duras étale d'ailleurs un assez large vocabulaire et champ lexical de la violence comme « force « ou « ses poings «. De plus, la dernière phrase de l'extrait est « Joseph n'avait pas protesté « montre bien la peur qu'inspire la mère à ses progénitures. Ainsi, à travers l'évènement d'une bague qui tourne vite à l'obsession puis à la banalisation, Marguerite Duras dépeint à merveille, toujours aussi fidèle à son style si particulier, la figure maternelle selon elle, une figure aux apparences dures mais qui aime ses enfants d'un « amour animal « selon les dires de l'auteur elle-même. Elle décrit avec brio un personnage ambivalent qui accorde une importance démesurée à ses obsessions et à des idées auxquels elle s'attache de manière inconsidérée ce qui pourrait la mener vers la folie. L'extrait est bel et bien un moment charnière du roman. En effet, cette scène aura de lourdes conséquences. Suzanne rompra avec M. Jo, son soupirant, toute la famille ira pour un assez long moment en ville, à Kam afin de vendre le bijou et cela marquera le retour de l'espoir chez la mère, l'espoir de l'amélioration de ses conditions. Néanmoins, l'extrait étudié laisse planer comme un « oiseau de mauvaise augure « au-dessus des têtes des protagonistes, comme si tout était déjà voué à l'échec.

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