Devoir de Philosophie

Lesage, Gil Blas de Santillane (extrait).

Publié le 07/05/2013

Extrait du document

Lesage, Gil Blas de Santillane (extrait). Alors qu'il se rend à Salamanque pour y faire ses études, le jeune Gil Blas est enlevé par des bandits de grand chemin qui l'initient à leurs pratiques. Le récit de son premier fait d'armes, peu glorieux, accumule les thèmes du roman picaresque : la route et la rencontre, le voleur volé, sur un ton plaisant qui allie la naïveté du jeune homme au point de vue d'un narrateur évocant sa jeunesse maladroite. Histoire de Gil Blas de Santillane d'Alain René Lesage (livre premier, chapitre 8) Ce fut sur la fin d'une nuit du mois de septembre que je sortis du souterrain avec les voleurs. J'étais armé comme eux d'une carabine, de deux pistolets, d'une épée et d'une baïonnette, et je montais un assez bon cheval, qu'on avait pris au même gentilhomme dont je portais les habits. Il y avait si longtemps que je vivais dans les ténèbres, que le jour naissant ne manqua pas de m'éblouir, mais peu à peu mes yeux s'accoutumèrent à le souffrir. Nous passâmes auprès de Pontferrada, et nous allâmes nous mettre en embuscade dans un petit bois qui bordait le grand chemin de Léon. Là, nous attendions que la fortune nous offrît quelque bon coup à faire, quand nous aperçûmes un religieux de l'ordre de Saint-Dominique, monté, contre l'ordinaire de ces bons pères, sur une mauvaise mule. Dieu soit loué, s'écria le capitaine en riant, voici le chef-d'oeuvre de Gil Blas. Il faut qu'il aille détrousser ce moine. Voyons comment il s'y prendra. Tous les voleurs jugèrent qu'effectivement cette commission me convenait, et ils m'exhortèrent à m'en bien acquitter. Messieurs, leur dis-je, vous serez contents. Je vais mettre ce père nu comme la main, et vous amener ici sa mule. Non, non, dit Rolando, elle n'en vaut pas la peine. Apporte-nous seulement la bourse de Sa Révérence. C'est tout ce que nous exigeons de toi. Là-dessus je sortis du bois, et poussai vers le religieux, en priant le ciel de me pardonner l'action que j'allais faire. J'aurais bien voulu m'échapper dès ce moment-là. Mais la plupart des voleurs étaient encore mieux montés que moi : s'ils m'eussent vu fuir, ils se seraient mis à mes trousses, et m'auraient bientôt rattrapé, ou peut-être auraient-ils fait sur moi une décharge de leurs carabines, dont je me serais fort mal trouvé. Je n'osai donc hasarder une démarche si délicate. Je joignis le père, et lui demandai la bourse, en lui présentant le bout d'un pistolet. Il s'arrêta tout court pour me considérer ; et, sans paraître fort effrayé : Mon enfant, me dit-il, vous êtes bien jeune. Vous faites de bonne heure un vilain métier. Mon père, lui répondis-je, tout vilain qu'il est, je voudrais l'avoir commencé plus tôt. Ah ! mon fils, répliqua le bon religieux, qui n'avait garde de comprendre le vrai sens de mes paroles, que dites-vous ? quel aveuglement ! souffrez que je vous représente l'état malheureux... Oh ! mon père, interrompis-je avec précipitation, trêve de morale, s'il vous plaît. Je ne viens pas sur les grands chemins pour entendre des sermons. Je veux de l'argent. De l'argent ? me dit-il d'un air étonné ; vous jugez bien mal de la charité des Espagnols, si vous croyez que les personnes de mon caractère aient besoin d'argent pour voyager en Espagne. Détrompez-vous. On nous reçoit agréablement partout. On nous loge. On nous nourrit, et l'on ne nous demande que des prières. Enfin nous ne portons point d'argent sur la route. Nous nous abandonnons à la Providence. Eh ! non, non, lui repartis-je, vous ne vous y abandonnez pas. Vous avez toujours de bonnes pistoles pour être plus sûrs de la Providence. Mais, mon père, ajoutai-je, finissons. Mes camarades, qui sont dans ce bois, s'impatientent. Jetez tout à l'heure votre bourse à terre, ou bien je vous tue. [...] Source : Lesage (Alain René), Gil Blas de Santillane, 1715-1735. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

Liens utiles