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Lettre 99 : Rica à Rhédi à Venise (Lettres persanes de Montesquieu)

Publié le 10/06/2012

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venise

RICA A RHÉDI, A VENISE    Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont  oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le  seront cet hiver. Mais, surtout, on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour  mettre sa femme à la mode.  5 Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de  leurs parures ? Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de  leurs ouvriers, et, avant que tu eusses reçu ma lettre, tout serait changé.  Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en  revient aussi antique que si elle s’y était oubliée trente ans. Le fils méconnaît le portrait  10 de sa mère, tant l’habit avec lequel elle est peinte lui paraît étrange ; il s’imagine que  c’est quelque Américaine qui y est représentée, ou que le peintre a voulu exprimer  quelqu’une de ses fantaisies.  Quelquefois, les coiffures montent insensiblement, et une révolution les fait  descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage  15 d’une femme au milieu d’elle-même. Dans un autre, c’étaient les pieds qui occupaient  cette place : les talons faisaient un piédestal qui les tenait en l’air. Qui pourrait le  croire ? Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et d’élargir leurs  portes, selon que les parures des femmes exigeaient d’eux ce changement, et les règles  de leur art ont été asservies à ces caprices. On voit quelquefois sur un visage une  20 quantité prodigieuse de mouches, et elles disparaissent toutes le lendemain. Autrefois,  les femmes avaient de la taille et des dents ; aujourd’hui, il n’en est pas question. Dans  cette changeante nation, quoi qu’en disent les mauvais plaisants, les filles se trouvent  autrement faites que leurs mères.  Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les  25 Français changent de mœurs selon l’âge de leur roi. Le monarque pourrait même  parvenir à rendre la nation grave, s’il l’avait entrepris. Le Prince imprime le caractère de  son esprit à la Cour ; la Cour, à la Ville ; la Ville, aux provinces. L’âme du souverain est  un moule qui donne la forme à toutes les autres.    De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717.    Montesquieu, Lettres persanes, Lettre XCIX.   

Montesquieu décrit un sujet autour de la mode parisienne mais il se met subitement à s’en prendre au roi et aux français, qu’il critique. Il met en relation la mode changeante des français avec le roi qui, pour lui est responsable de cette mode. Dans « les Français changent de mœurs suivant l’âge de leur roi «, l’auteur s’en prend à Louis XIV, roi de France qui resta sur le trône de nombreuses années. Mais Montesquieu critique aussi la superficialité du peuple, expliquant que la personnalité des uns est fonction de celle du roi.  Il fait référence au roi de France en le comparant ensuite à un prince en disant : « Le prince imprime le caractère de son esprit à la cour «, prince qui à l’époque signifie premier citoyen; avec cette comparaison, il rabaisse le roi de son rôle envers le peuple et même envers dieu et de plus, avec cette figure de style, il veut monter que la mode changeante des français est bien due au roi et à ses envies.

venise

« Lettres persannes RICA A RHÉDI, A VENISE Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants.

Ils ontoublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils leseront cet hiver.

Mais, surtout, on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pourmettre sa femme à la mode.5 Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et deleurs parures ? Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui deleurs ouvriers, et, avant que tu eusses reçu ma lettre, tout serait changé.Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne enrevient aussi antique que si elle s'y était oubliée trente ans.

Le fils méconnaît le portrait10 de sa mère, tant l'habit avec lequel elle est peinte lui paraît étrange ; il s'imagine quec'est quelque Américaine qui y est représentée, ou que le peintre a voulu exprimerquelqu'une de ses fantaisies.Quelquefois, les coiffures montent insensiblement, et une révolution les faitdescendre tout à coup.

Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage15 d'une femme au milieu d'elle-même.

Dans un autre, c'étaient les pieds qui occupaientcette place : les talons faisaient un piédestal qui les tenait en l'air.

Qui pourrait lecroire ? Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et d'élargir leursportes, selon que les parures des femmes exigeaient d'eux ce changement, et les règlesde leur art ont été asservies à ces caprices.

On voit quelquefois sur un visage une20 quantité prodigieuse de mouches, et elles disparaissent toutes le lendemain.

Autrefois,les femmes avaient de la taille et des dents ; aujourd'hui, il n'en est pas question.

Danscette changeante nation, quoi qu'en disent les mauvais plaisants, les filles se trouventautrement faites que leurs mères.Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les25 Français changent de mœurs selon l'âge de leur roi.

Le monarque pourrait mêmeparvenir à rendre la nation grave, s'il l'avait entrepris.

Le Prince imprime le caractère deson esprit à la Cour ; la Cour, à la Ville ; la Ville, aux provinces.

L'âme du souverain estun moule qui donne la forme à toutes les autres. De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717. Montesquieu, Lettres persanes, Lettre XCIX. ÉTUDE ANALYTIQUE Introduction Montesquieu (1689-1755) est un moraliste et philosophe français du XVIIIe siècle.

Caractérisé par une ouvertured'esprit et une faculté d'adaptation peu commune, les philosophes du XVIIIe siècle reconnaîtront en lui leurprécurseur.

Ses idées lui font défendre la conquête de la raison et de l'esprit de tolérance et, en politique, laséparation des pouvoirs.

Paradoxalement, les deux ouvrages assurant le renom de leur auteur sont l'un et l'autre« anonymes » : Les Lettres persanes en 1721 et L'Esprit des Lois en 1748.

Reste que ces deux œuvres d'un hommequi a pour parrain un mendiant, parce que son père veut qu'il se souvienne toujours que les pauvres sont ses frères,et qui est reçu conseiller au Parlement de Bordeaux le 24 février 1714, changent fondamentalement le regard que lesiècle porte sur lui-même, sur son temps et sa civilisation.Dès 1717, Montesquieu, magistrat sans vocation réelle, cherche à communiquer ses idées sur la politique et lasociété par un ouvrage qui puisse avoir un grand retentissement sans pour autant utiliser une forme aride ouennuyeuse.

Ce sera le roman par lettres, roman épistolaire, dont il est fier de s'affirmer le précurseur.

En 1721, il faitparaître un écrit anonyme, publié à Amsterdam : les Lettres persanes qui exposent des Orientaux imaginaires quimettent en pratique un regard qui préfigure ce que sera celui de la sociologie.

L'impertinence du texte choquequelques intellectuels.

Cependant, le succès est tel que Montesquieu doit accepter plus ou moins officiellement d'enreconnaître la paternité, en dépit de ses déclarations dans la courte introduction : « C'est à condition que je neserai pas connu ; car, si l'on vient à savoir mon nom, dès ce moment, je me tais.

» Lors de leur réédition en 1754, ilavoue officiellement la paternité de l'œuvre.Le titre insiste sur la couleur exotique, très à la mode au XVIIIe siècle.

Mais les Lettres persanes inversent levoyage de découverte de l'époque : c'est l'Orient qui découvre l'Occident, et Montesquieu invite son lecteur à posersur sa propre civilisation le regard critique, extérieur, qui aurait été le sien en voyage à l'étranger.La lettre XCIX concerne le pittoresque de la mode vue par un Persan.

Elle est en quelque sorte emblématique de lasuperficialité de la vie sociale dans ce qu'elle a de plus matériel : les vêtements.

Au-delà de la dénonciation de lavanité des apparences sociales, on retrouve l'idée que, sous un gouvernement totalitaire, on assiste à uneuniformisation des comportements et des hommes. I- Les caractéristiques de la mode. »

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