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La liberté indéfinissable (H. Bergson)

Publié le 22/02/2012

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bergson
On appelle liberté le rapport du moi concret à l'acte qu'il accomplit. Ce rapport est indéfinissable, précisément parce que nous sommes libres. On analyse, en effet, une chose, mais non pas un progrès; on décompose de l'étendue, mais non pas de la durée. Ou bien, si l'on s'obstine à analyser quand même, on transforme inconsciemment le progrès en chose, et la durée en étendue. Par cela seul qu'on prétend décomposer le temps concret, on en déroule les moments dans l'espace homogène; à la place du fait s'accomplissent on met le fait accompli, et comme on a commencé par figer en quelque sorte l'activité du moi, on voit la spontanéité se résoudre en inertie et la liberté en nécessité. — C'est pourquoi toute définition de la liberté donnera raison au déterminisme. Définira-t-on en effet l'acte libre en disant de cet acte, une fois accompli, qu'il eût pu ne pas l'être? Mais cette assertion, comme l'assertion contraire, implique l'idée d'une équivalence absolue entre la durée concrète et son symbole spatial : et dès que l'on admet cette équivalence, on aboutit, par le développement même de la formule qu'on vient d'énoncer, au plus inflexible déterminisme. Définira-t-on l'acte libre et celui qu'on ne saurait prévoir, même quand on en connaît à l'avance toutes les conditions » ? Mais concevoir toutes les conditions comme données, c'est, dans la durée concrète, se placer au moment même où l'acte s'accomplit. Ou bien alors on admet que la matière de la durée psychique peut se représenter symboliquement à l'avance, ce qui revient, avons-nous dit, à traiter le temps comme un milieu homogène, et à admettre sous une nouvelle forme l'équivalence absolue de la durée et de son symbole. En approfondissant cette seconde définition de la liberté, on aboutira donc encore au déterminisme. Définira-t-on enfin l'acte libre en disant qu'il n'est pas nécessairement déterminé par sa cause? Mais ou ces mots perdent toute espèce de signification, ou l'on entend par là que les mêmes causes internes ne provoquent pas toujours le» mêmes effets. On admet donc que les antécédents psychiques d'un acte libre sont susceptibles de se reproduire à nouveau, que la liberté se déploie dans une durée dont les moments se ressemblent, et que le temps est un milieu homogène, comme l'espace. Par là même on sera ramené à l'idée d'une équivalence entre la durée et son symbole spatial; et en pressant la définition qu'on aura posée de la liberté, on en fera encore une fois sortir le déterminisme. En résumé, toute demande d'éclaircissement, en ce qui concerne la liberté, revient sans qu'on s'en doute à la question suivante : < le temps peut-il se représenter adéquatement par de l'espace? » A quoi nous répondons : oui, s'il s'agit du temps écoulé; non, si vous parlez du temps qui s'écoule. Or l'acte libre se produit dans le temps qui s'écoule, et non pas dans le temps écoulé. La liberté est donc un fait, et, parmi les faits que l'on constate, il n'en est pas de plus clair. H. Bergson.

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