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Littérature française

Publié le 03/09/2012

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Paul Verhuyck Universiteit Leiden / Université de Leyde (Pays-Bas) Vakgroep Frans / Département de français Cours d'université LITTERATURE FRANÇAISE DU MOYEN AGE première année: textes narratifs Edition longue 1993-1998 légèrement corrigée 2006 On trouvera ci-dessous le cours de LITTÉRATURE FRANÇAISE DU MOYEN-ÂGE, tel que je l'ai enseigné à l'Université de LEIDEN (Leyde, Pays-Bas) de 1972 à 1999 (avec quelques minuscules mises au point). Comme on verra il s'agit d'un cours d'introduction générale, donné en deux années (1e et 2e année), ce qui a conditionné quelque peu la répartition des subdivisions. Le petit cours de ?REALIA MEDIEVALIA' que j'y avais ajouté en 1e année porte sur tout ce qui entoure la littérature française. Il est présenté ici en style télegraphique. Mon cours de LITTÉRATURE OCCITANE DU MOYEN-ÂGE fut un cours à option/séminaire dans les années supérieures (3e, 4e année) et nécessiterait un site à lui tout seul. 1e année littérature narrative 2e année littérature dramatique lyrique Roman de la Rose [littérature didactique] 2 LITTERATURE FRANÇAISE DU MOYEN AGE 1. littérature narrative 2. littérature dramatique 3. littérature lyrique 4. Roman de la Rose 5. littérature didactique [1e année] [2e année] [2e année] [2e année] [p.m.] 1e Année 1. littérature narrative 1.1. hagiographie 1.2. littérature chevaleresque 1.2.1. chansons de geste 1.2.2. romans courtois 1.2.2.1. romans antiques 1.2.2.2. romans celtiques 1.2.2.2.1. Tristan et Yseut 1.2.2.2.2. Marie de France 1.2.2.2.3. Chrétien de Troyes 1.2.3. parodie: Roman de Renart 1.3. fabliaux, contes et fables 1.4. cas spécial : Aucassin et Nicolette 2e Année 2. littérature dramatique 2.1. théâtre religieux 2.2. théâtre profane 2.3. fin moyen âge 3. littérature lyrique 3.1. poésie courtoise 3.2. Villon 4. Roman de la Rose 3 A LIRE 1e année - Chanson de Roland, éd. & trad. fr. I. Short, Paris 1990, Le Livre de Poche, «Lettres gothiques« n? 4524; ou éd. & trad. fr. J. Dufournet, Paris 1993, GF-Flammarion n? 554. - Lais de Marie de France, éd. & trad. fr. L. Harf-Lancner (& K. Warnke), Paris 1990, Le Livre de Poche, «Lettres gothiques« n? 4523; ou éd. & trad. fr. A. Micha, Paris 1994, GF-Flammarion n? 759. - Chrétien de Troyes, Yvain ou le Chevalier au Lion, éd. & traduction M. Rousse, Paris: Flammarion, 1990: «GF« n? 569; ou éd & trad. fr. D.F. Hult, Paris 1994, Le Livre de Poche, «Lettres Gothiques« n? 4539. - Le Roman de Renart, branches II et Va, éd. et traduction J. Dufournet & A. Méline, Paris: Flammarion, 1985, vol. 1er, collection «GF« n? 418. - Aucassin et Nicolette, éd. et traduction J. Dufournet, Paris: Flammarion, 1973, collection «GF« n? 261. 2e année - Adam de la Halle, Le Jeu de la Feuillée, éd. et traduction J. Dufournet, Paris: Flammarion, 1989, collection «GF« n? 520. - La Farce de maistre Pathelin, éd. et traduction G. Picot, Paris: Nouveaux Classiques Larousse, 1972, réimpression 1984; ou: éd. et traduction J. Dufournet, Paris: Flammarion, 1986, collection «GF« n? 462. - J. Dufournet [éd. et traduction], Anthologie de la poésie lyrique française des XIIe et XIIIe siècles, Paris: Gallimard, 1989, collection «Poésie« n? 232. - François Villon, Poésies complètes, éd. C. Thiry, Paris 1991, Le Livre de Poche, «Lettres gothiques« n? 4530; ou texte et traduction A. Lanly, Villon: Oeuvres, Paris: Champion, 1991; ou texte et traduction J. Dufournet, Paris: GF-Flammarion, 1993. - Guillaume de Lorris, Le Roman de la Rose, 1e partie, traduction A. Lanly, vol. 1er, Paris: Champion, collection CFMAT; ou D. Strubel, éd. et traduction, Le Roman de la Rose, Paris 1992, Le Livre de Poche, «Lettres gothiques« n? 4533 (pp. 42-267: 4056 vv. + 79 vv.). 4 1. littérature narrative Premier texte français: 842: Les Serments de Strasbourg. Voici le serment de Louis le Germanique à Charles le Chauve contre Lothaire: Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di en avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dift, in o QUID il mi altresi fazet. Et ab Ludher nul plaid NUNQUAM prindrai, qui meon vol cist meon fradre Karle IN DAMNO SIT. 1.1. hagiographie Premier texte littéraire: 881 (Valenciennes): La Cantilène de sainte Eulalie: «séquence« = chant d'église; 14 distiques assonancés: 4 8 12 16 20 24 28 Buona pulcella fut Eulalia Bel avret corps, bellezour ANIMA. Voldrent la veintre li Deo inimi, Voldrent la faire diaule servir. Elle non eskoltet les mals conselliers, Qu'elle Deo raneiet, chi maent sus en ciel, Ne por or ned argent ne paramenz, Por manatce regiel ne preiement. Niule cose non la pouret omque pleier, La polle sempre non amast lo Deo menestier. E por o fut presentede Maximiien Chi REX eret a cels dis soure pagiens. Il li enortet, dont lei nonque chielt, Qued elle fuiet lo nom christiien. Ell'ent adunet lo suon element, Melz sostendreiet les empedementz Qu'elle perdesse sa virginitet: Por o's furet morte a grand honestet. Enz enl fou la getterent, com arde tost: Elle colpes non avret, por o no's coist. A czo no's voldret concreidre li REX pagiens, Ad une spede li roveret tolir lo chief. La domnizelle celle kose non contredist, Volt lo seule lazsier, si ruovet Krist. In figure de colomb volat a ciel. Tuit oram que por nos degnet preier, Qued avuisset de nos CHRISTUS mercit POST la mort et a lui nos laist venir Por souue CLEMENTIA. 5 vaincre diable parure menace royale (faire) plier service ne tint aucun compte réunit=raidit son énergie tourments qu'elle brûle ne cuisit=ne brûla céder demanda seule=siècle=monde *** Textes archaïques (= avant 1100): Xe siècle - Homélie sur Jonas (sermon sur Jonas dans la baleine, cf. Bible, Ancien Testament). - Passion de Clermont-Ferrand - Vie de saint Léger (hagiographie). XIe siècle - Sponsus (ou Le Drame de l'Epoux; théâtre bilingue; parabole évangélique des Vierges sages et des Vierges folles; voir 2e année). ± 1040 Vie de saint Alexis (hagiographie). Les premiers textes littéraires conservés sont religieux; ils sont tous chantés et versifiés [Jonas excepté: = sermon!]. Ensuite, de 1100 à 1500: quatre siècles de littérature française du moyen âge. 6 1.2. littérature chevaleresque 1.2.1. chansons de geste La chanson de Roland __________________ ± 1100 Chanson de Roland, version d'Oxford (manuscrit ± 1130-1175): c'est notre premier texte littéraire profane: le guerrier remplace le saint. Une «chanson de geste« [nld: «jeeste«, «heldenepos«]: chanson: vraiment chantée (décasyllabes); sans doute accompagnée à la vielle; geste: une geste = un exploit, un fait historique; donc: une chanson épique sur un fait historique (= à nos yeux parfois légendaire); cf. les épopées d'Homère (Iliade et Odyssée). Le héros: un chevalier chrétien qui se bat pour sa religion, pour la collectivité. Le décor social: la chevalerie féodale (suzerain - fief - vassal). Militarisme. L'esprit des croisades est passé par là (cf. p.ex. vv. 1134-5, 1522-3): l'idéologie selon laquelle les chrétiens occidentaux devraient chasser les Sarrasins (Turcs/Arabes) de la Terre Sainte. Première croisade 1096 (mais déjà en 1050 idée de guerre sainte avec la Reconquista). Le fait historique: Charlemagne fait une expédition militaire en Espagne pour aider le Sarrasin Al-Arabi contre un autre païen. Calcul politique sans succès. En retournant en France, il perd son arrière-garde qui est attaquée dans les Pyrénées, à Roncevaux, par des Vascones (Basques ou Gascons), le 15 août 778. Le récit littéraire: Charlemagne chasse les Sarrasins d'Espagne; seule Saragosse lui résiste. Il a douze pairs: Roland (son neveu, comte des marches de Bretagne; peut-être personnage historique?), Olivier, le duc Naimes..., personnages imaginaires, et l'archevêque Turpin (qui ne fut pas présent à Roncevaux et meurt en 790). Roland commande l'arrière-garde, qui est attaquée par les Sarrasins de Marsile! Entre l'événement et la chanson: ± 300 ans. Chanson de Roland: trois parties: - la trahison de Ganelon - la mort de Roland (orgueil; cérémonie épique) - la vengeance de Charlemagne: d'abord Marsile (assisté de Baligant), puis Ganelon à Aix. L'énoncé se caractérise par l'exagération épique, l'hyperbole. But: célébrer le héros. Le personnage est construit par le moyen de ses actes et paroles, sans description psychologique. Deux déficiences: - le motif de la colère de Ganelon (rancune qui est pourtant le moteur de la narration); - l'épisode Baligant: interpolation mal venue? Trois problèmes célèbres: 7 1. - la fameuse expression la douce France (23 fois) = ? 2. - AOI, 180 fois: formule musicale? Alleluia? 3. - le dernier vers (4002): Ci falt la geste que Turoldus declinet: «ici se termine la geste que Turold ...« Declinet: = compose, traduit, copie, récite/chante? Turold: auteur, traducteur, copiste, jongleur? Declinet: cf. Quintilien, «oratio recta et oratio declinata«? Turold: nom normand d'origine scandinave. Peut-être un clerc présent à Hastings en 1066? Le Turold de la tapisserie de Bayeux? Falt = littéralement «fait défaut«: donc texte inachevé? Modèle incomplet? Forme: la laisse, unité musicale = strophe décasyllabique de longueur variable (de 5 à 35 vers), mono-assonancée (homophonie de la dernière voyelle tonique). Entre l'événement et la chanson: 3 siècles: peu de documents sur la bataille de Roncevaux: a.- dès le IXe siècle des annales historiques à la cour carolingienne (les historiens doivent d'abord escamoter ou minimiser la défaite). b.- deux petits fragments littéraires importants: 1.- ± 1000-1030 Le Fragment de La Haye, en prose latine: raconte le siège épique d'une ville avec des noms de héros de chanson de geste; 2.- 1065-1070 La Nota Emilianense, petit texte latin, qui contient un résumé de l'histoire de la Chanson de Roland avec les héros épiques. En voici la traduction: «En l'année 778, le roi Charles vint à Saragosse. En ces jours il avait douze neveux et chacun d'eux avait 3000 cavaliers armés. Parmi eux Roland, Bertrand, Ogier à l'épée courte, Guillaume au nez courbé, Olivier et l'évêque Turpin. Chacun d'eux servait le roi un mois par an avec ceux de sa suite. Il arriva que le roi s'arrêta à Saragosse avec son armée. Au bout de peu de temps, les siens lui donnèrent le conseil d'accepter de nombreux cadeaux afin que l'armée ne meure pas de faim et puisse rentrer dans sa patrie. Ce qui fut fait. Le roi décida ensuite, pour le salut des hommes de l'armée, que Roland, le courageux guerrier (belligerator fortis), se tiendrait à l'arrière-garde. Mais lorsque l'armée franchissait le port de Cize, à Roncevaux, Roland fut tué par les Sarrasins.« Ces deux petits textes prouvent qu'il y avait déjà avant la Chanson de Roland des contes épiques autour de Charlemagne; cf. les couples onomastiques: frères baptisés Roland et Olivier dès 1050. Puis: La Chanson de Roland ± 1100, la première chanson de geste. Ensuite plusieurs textes qui, étant donné leur chronologie, ont malheureusement peu de valeur probante pour expliquer la naissance de la chanson de geste. Un texte mérite pourtant qu'on s'y arrête, le Liber sancti Jacobi dans le Codex Calixtinus, daté 1140-1160, car il montre qu'il y a eu un lien entre la Chanson de Roland et le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, en Galicie, à l'extrême ouest de 8 l'Espagne. Ce «Livre de saint Jacques« comprend cinq parties: 1. des chants liturgiques; 2. la vie de saint Jacques le Majeur (demi-arrière cousin du Christ); 3. le martyre de saint Jacques; la translation de son cadavre à Compostelle. 4. Le Pseudo-Turpin, Historia Karoli Magni et Rotholandi = l'histoire de la Chanson de Roland et de ce qui précède et de ce qui suit. Ecrite par un moine clunisien. 5. Le Guide du Pèlerin. Allusions dans la Chanson de Roland à une tradition épique? 1. allusion à l'olifant (le cor) à Bordeaux, ainsi qu'aux pèlerins, vv. 3684-3686; 2. allusion à la tombe de Roland (d'Olivier et de Turpin) à Blaye, vv. 3689-3693; 3,4,5.: trois allusions à la Geste Francor = ? vv. 1443, 1685, 2095. 6. la carte saint Gille à Laon, v. 2096: Gilles aurait écrit une charte sur la bataille de Roncevaux, à laquelle il aurait miraculeusement assisté. 7. le dernier vers (declinet), 4002 = ? NB: Roland symbolise le courage (téméraire), Olivier la sagesse. C'est l'ancienne opposition «fortitudo - sapientia«. Roland: nom germanique; Olivier: nom roman. 9 Quelques théories sur les origines __________________________ Problème: que s'est-il passé entre 778 et 1100 au niveau littéraire? 1. La théorie romantique (e.a. les frères Grimm): littérature née du peuple, création collective. Théorie abandonnée mais dont une variante continue de diviser les savants: la théorie des cantilènes de Gaston Paris 1865: 1e étape: IXe-Xe siècles: petites chansons d'anciens combattants; 2e étape: XI-XIIe: ces cantilènes perdues auraient été réunies par les jongleurs. 2. La théorie individualiste de Joseph Bédier 1908: la chanson de geste est la création d'un individu. Peu de liens avec les événements historiques (cf. erreurs géographiques et chronologiques). «Au commencement était la route«, la route de pèlerinage à Compostelle. Cette route était jalonnée de sanctuaires: les moines voulaient attirer les pèlerins avec des reliques et des légendes. Pour Bédier, un moine a inventé des ?légendes monastiques'. Vers 1100 il s'y ajoute l'esprit des croisades et... «un homme de génie a fait le reste« (un pèlerin génial, Turold). La Chanson de Roland serait donc née de «la rencontre entre un moine et un pèlerin poète«. Bédier: toute littérature débute par un chef-d'oeuvre. 3. La théorie néo-traditionaliste de Menendez Pidal: cherche à replacer la chanson de geste dans une tradition. L'activité littéraire serait antérieure aux manuscrits conservés. Une riche tradition perdue explique les chansons de geste: elle a vécu à l'état latent. D'où la mouvance du texte. Une donnée historique devient ainsi collective, tout comme le style: de version en version le style se dépersonalise, devient tradition. Ce n'est pas le peuple qui s'est fait auteur, mais «l'auteur se fait peuple«. Un élève de Menendez Pidal a découvert la Nota Emilianense en 1954. Pour sa théorie, Menendez Pidal accentue les faiblesses du texte: - le motif de la colère de Ganelon - l'épisode Baligant. 10 Les chansons de geste groupées en trois cycles ___________________________________ A côté de la Chanson de Roland il y a ± 100 chansons de geste françaises conservées. Pour y voir un peu plus clair, on peut distinguer trois groupes ou ?cycles' de chansons de geste. Cette classification tardive des manuscrits ?cycliques' (du XIIIe siècle) est une division contestable mais commode, adoptée par les historiens de la littérature. Ce classement en trois cycles a été clairement formulé par Bertrand de Bar-sur-Aube, dans Girard de Vienne, chanson de geste du XIIIe: au vers 1448 on lit: N'ot que trois gestes en France la garnie Du roi de France est la plus seignorie Et de richesse et de chevalerie. Et l'autre après, bien est droit que jel die, Est de Doon à la barbe fleurie Cil de Maience qui tant ot baronie (...) La tierce geste qui moult fist à proisier Fu de Garin de Monglane le fier. I. - Le Cycle du roi. ± 30 chansons dont le personnage central est Charlemagne (né en 742, empereur en 800, mort en 814). La chanson la plus ancienne: La Chanson de Roland d'Oxford (± 1100). A) B) C) D) Quelques titres Enfance: - Berte au grand pied (XIIIe; par Adenet le Roi). - Mainet (= `le petit Magne') Le Héros: - Chanson d'Aspremont (fin XIIe) (Charlemagne en Calabre) - Pèlerinage de Charlemagne (revenant de Jérusalem par Constantinople); ± 1150? - Fierabras (± 1170) (Charlemagne en Espagne) - Prise de Pampelune (id) - Aquin (XIIIe; ms. du XVe) (Charlemagne en Bretagne) - Les Saisnes (fin XIIe; par Jean Bodel) (Charlemagne contre les Saxons) Fin de vie: - Huon de Bordeaux, début XIIIe (Charlemagne impose des épreuves à Huon de Bordeaux). Entre le cycle du roi et le cycle de Doon. Féerie: le nain Auberon. Développement du cycle: - Galien le Restoré (fils d'Olivier et de Jacqueline de Constantinople). Au XIVe et XVe siècles: remaniements et mises en prose (p.ex. l'oeuvre d'Adenet le Roi; et, au XIVe Girart d'Amiens écrit Charlemagne). II. - Le cycle de Garin de Monglane (ou: cycle de Guillaume d'Orange) Il s'agit de 24 chansons dans les manuscrits cycliques du XIIIe et du XIVe. Le 11 personnage central est Guillaume d'Orange, ?al corb nez' [plus tard : ?al cort nez'], dont Garin de Monglane serait l'ancêtre. Les chansons les plus anciennes: - La Chanson de Guillaume ± 1140-1150: Guillaume venge son neveu Vivien; cf. Charlemagne et Roland. - Le Charroi de Nîmes ± 1140-1150: conquête de Nîmes avec un charroi de tonneaux; cf. cheval de Troie. - Le Couronnement de Louis, XIIe siècle: Guillaume protège le roi Louis le Pieux, le fils et successeur de Charlemagne (5 épisodes). Quelques titres - Garin de Monglane - Girard de Vienne (fils de Garin), par Bertrand de Bar-sur-Aube (début XIIIe). - Aimeri de Narbonne (petit-fils de Garin de Monglane); père légendaire de Guillaume. - Enfances Guillaume, XIIIe. - La Prise d'Orange, XIIe ( Guillaume épouse et convertit Orable-Guibourc). - Enfances Vivien (neveu de Guillaume). Chevalerie Vivien. - Aliscans, XIIe (sujet cf. Chanson de Guillaume). - Les Narbonnais (frères de Guillaume). - Le Moniage Guillaume (Guillaume se fait moine après la mort de sa femme); deux versions: la 1e de 1160, la 2e de 1170-1190. Au XIVe et au XVe: remaniements et mises en prose. III. - Le cycle de Doon de Mayence (ou: cycle des barons révoltés; lignée du traître Ganelon). Le cycle le moins homogène. Parmi ces vassaux révoltés, les plus célèbres sont les enfants d'Aymon de Dordone, fils de Doon de Mayence. La chanson la plus ancienne: Gormont et Isembart (le Sarrasin et le renégat), petit fragment de Bruxelles, ± 1130; octosyllabes! Quelques titres - Doon de Mayence, XIIIe. - Renaud de Montauban (Les quatre fils Aymon; «De 4 Heemskinderen«). - Raoul de Cambrai, XIIe (Raoul de Cambrai tué par son vassal, Bernier le Vermandois). - La chevalerie Ogier le Danois (début XIIIe). - Girard de Roussillon (punition de la démesure de ce Bourguignon, ennemi de Charles). Langue remarquable (oc + oil). Fondation de Vézelay. Au XIVe et XVe: remaniements et mises en prose. NOTES 1) Ajoutons en marge le cycle de la croisade, autour de Godefroy de Bouillon; p.ex.: La Chanson d'Antioche et La Chanson de Jérusalem (fin XIIe; par Graindor de Douai, d'après une chanson perdue de Richard le Pèlerin), et, du même Graindor, Les Chétifs. 2) Il y a des oeuvres qui se situent entre la chanson de geste et le roman, p.ex. Boeve de 12 Hantone (XIIIe); Ami et Amile et Jourdain de Blaye (XIIe) constituent la ?petite geste de Blaye'. *** Quelques ouvrages: P. AEBISCHER, Préhistoire et protohistoire du `Roland' d'Oxford, Berne: Francke, 1972. J. BÉDIER, Les légendes épiques, 4 vol., 3e éd. Paris 1926-1929. C. DIJKSTRA, La Chanson de Croisade. Etude thématique d'un genre hybride, Amsterdam: Schiphouwer en Brinkman, 1995. S. DUPARC-QUIOC, Le cycle de la croisade, Paris: Champion, 1955. J. FRAPPIER, Les chansons de geste du cycle de Guillaume d'Orange, Paris: SEDES, 2 vol., 1955 et 1967 (+ vol. 3, 1983: Hommage à J. Frappier). A. HINDLEY & B.J. LEVY, The Old French Epic: An Introduction, Leuven: Peeters, 1983. R. LAFONT, La geste de Roland, 2 vol., Paris: L'Harmattan, 1991. P. LE GENTIL, La Chanson de Roland, Paris: Hatier, 1967. R. LEJEUNE & J. STIENNON, La Légende de Roland dans l'art du Moyen Age, 2 vol., Bruxelles 1966. A. de MANDACH, Naissance et développement de la Chanson de geste en Europe, 6 vol., Genève: Droz, 1961-1993. J. MAURICE, La Chanson de Roland, Paris: PUF, 1992 («Etudes littéraires«). R. MORTIER (éd.), Les textes de la Chanson de Roland, 10 vol., 1940-1949. M. de RIQUER, Les chansons de geste françaises, Paris: Nizet, 1956. J. RYCHNER, La chanson de geste, Genève: Droz, 1955. P. SENAC, L'Image de l'Autre. Histoire de l'Occident médiéval face à l'Islam, Paris 1983. F. SUARD, La chanson de geste, Paris: PUF, 1993 (Que-sais-je? n? 2808). PS: Société Rencesvals. 13 Style et structure ______________ cf. Rychner 1955, d'après 9 chansons de geste: Le style et la structure de la chanson de geste sont déterminés par la profession de jongleur et par l'oralité: le jongleur doit - attirer l'attention du public, p.ex. Oyez, seigneurs...; la Chanson de Roland commence malheureusement ?in medias res', ?ex abrupto', mais la plupart des autres chansons de geste ont un prologue où le jongleur vante sa marchandise. - retenir le public: p.ex. par des anticipations: annoncer que de belles et graves choses sont encore à attendre; - résumer et reprendre pour un public changeant de badauds; Remarquez la mise en train (pour un public changeant?): laisse 3: conseil de Blancandrin; laisse 6: Marsile répète le conseil; laisse 9: Blancandrin fait sa proposition à Charlemagne; laisse 13: Charlemagne répète la proposition à ses barons pour demander leur conseil. - diviser le texte en parties d'après les séances chantées, donc d'après la résistance physique du chanteur: ± 1000 vers = 1 heure. - inviter le public à payer (pas dans le Roland d'Oxford). La chanson de geste est «un produit d'industrie, un article de foire, un genre conditionné«. Cf. les moyens mnémotechniques: chant, mètre, assonance, formules. Il s'agirait donc d'un genre oral dont nous n'avons gardé que des traces écrites, au texte flottant: caractère mouvant de la forme, plusieurs versions et variantes. *** Rychner distingue: A. La composition des récits: la narration. B. La structure des chansons: le plan du chant, la forme poétique; l'unité musicale est la laisse mono-assonancée. A.- Composition des récits. Toutes les chansons de geste ne présentent pas la belle unité de la Chanson de Roland (l'épisode Baligant excepté). On y distingue des parties narratives qui correspondent à des unités de diffusion (± 1000 vers, ± 1 heure). cf. ± les 3 -- ou 4 ? -- parties de la Chanson de Roland. 14 B.- Structure strophique des laisses. La longueur de la strophe varie, car le jongleur improvise dans une certaine mesure. La musique comprend pour chaque laisse: - un timbre d'intonation (p.ex. laisses 1, 2, 3, 5, 6, 8), parfois souligné par une inversion épique: attribut - verbe - sujet, p.ex. laisses 11, 66, 137-138, 192; - un timbre de développement: le milieu; - un timbre de conclusion: cf. peut-être 180 fois AIO? Parfois commentaire en fin de laisse, p.ex. 97, 98, 99; attitude du protagoniste, p.ex. 9, 21; présages ou anticipation, p.ex. 1, 12, 55, 136. Laisses enchaînées: rappel ou reprise, avec changement d'assonance, p.ex. 5-6, 164-165. Laisses parallèles: 71-78: autant de Sarrasins qui veulent tuer Roland; 83-85: à trois reprises Olivier demande à Roland de sonner du cor; 93-104: les douze pairs tuent leur Sarrasin. *** L'art oral se reflète aussi dans les motifs et les formules: 1.- Le motif: p.ex. chevalier qui s'arme, le combat à la lance, le combat à l'épée, la prière du héros mourant (tout un rituel). Le motif est un élément de composition et de mémorisation. 2.- La formule: «expression régulièrement employée dans les mêmes conditions métriques«. Les formules sont plus petites que les motifs. Les motifs contiennent des formules, p.ex. éperonner son cheval. Cf. le style formulaire chez Homère. «Versifier c'est se souvenir«. 15 1.2.2. Romans courtois Chanson de geste Roman courtois rôle réduit de la femme et de l'amour rôle grandissant de la femme et de l'amour chantée, psalmodiée déclamé, lu laisses assonancées, le souvent en décasyllabes plus le plus souvent octosyllabes à rimes plates (= «la prose littéraire du XIIe siècle«?). héros = chevalier chrétien qui se bat pour le Christ héros = chevalier (chrétien) amoureux qui se bat pour sa dame collectivité individu Courtoisie < la cour (surtout les cours occitanes, esprit de tolérance) Courtoisie en général = processus de civilisation: relations, politesse etc. L'opposition est toujours: ?courtois' <- - -> ?vilain'. Surtout fin'amor ou amour courtois: - conception de l'amour, littéraire donc fictionnelle, qui semble avoir été lancée en Europe par la lyrique des troubadours occitans. - service d'amour: la femme devient objet de culte. Elle devient `Dame'(< domina: `celle qui domine', donc `maîtresse'). La Dame est adorée par l'homme amoureux qui est à son service et qui lui rend un hommage féodal: - le `vasselage d'amour': la relation d'amour courtois est mise en parallèle avec - la relation féodale entre suzerain et vassal (la femme devient le suzerain, l'homme le vassal) - et (un peu plus tard) avec la relation entre Notre-Dame et le chrétien. - amour adultère, extra-conjugal, donc qui cultive le secret; cf. le traité d'amour courtois: André le Chapelain, De amore, fin XIIe. - amour physique, sexuel («le surplus«) - mais qui cultive le désir et l'obstacle. Pour les épreuves endurées l'amant attend une récompense de la dame: le ?guerredon'. Par là le jeu amoureux, associé à l'idée de ?joie', est un jeu civilisateur qui rend l'amant moralement plus noble. - Dans le contexte médiéval de l'antiféminisme patristique et de la morale chrétienne antisexuelle, l'idéologie de l'amour courtois apparaît comme un contre-courant, une subculture. La poésie des troubadours occitans influence la poésie lyrique un peu partout en Europe, e.a. en France la poésie des trouvères [voir 2e année]. Ce concept d'amour courtois des troubadours influence aussi le nouvel esprit des romans courtois et des lais (nouvelles courtoises). Dans ces textes narratifs la notion d'amour courtois se combine avec la notion 16 d'aventure (souvent épreuves pour mériter la dame). Amour + aventure: ces deux notions resteront attachées au roman européen. Mais à l'origine le mot ?roman' signifiait: texte (narratif) écrit en langue romane, vulgaire, notamment en langue d'oil, le français. Le lai, apparenté à l'irlandais liod et au germanique lied, est un conte basé sur une chanson celtique perdue. Le lai est parfois considéré comme le précurseur de la nouvelle européenne. *** Dans les narrations courtoises on distingue habituellement deux contenus ou matières: la matière antique et la matière celtique. 1.2.2.1. romans antiques De l'antiquité gréco-romaine (transposée au XIIe siècle: anachronismes, courtoisie): - lais antiques, p.ex. lai d'Aristote, de Narcisse, de Pirame et Tisbé. - romans antiques: 4 grands romans au XIIe siècle: 1.- Roman d'Alexandre: Alexandre le Grand, symbole de la générosité: quatre étapes textuelles: 1. début XIIe, ± 1130: fragment de 105 vers d'Albéric (de Besançon?) en laisses octosyllabiques monorimes. 2. ± 1170 version poitevine anonyme en décasyllabes; deux fois continuée, 3. d'abord par Lambert le Tort de Châteaudun en alexandrins! 4. puis par Alexandre de Bernai ou de Paris (et Pierre de Saint-Cloud) en 16.000 alexandrins, 1177. L'imaginaire du merveilleux oriental. Source principale: le roman fabuleux du Pseudo-Callisthène, du IIe siècle, traduit en latin au IVe siècle par Julius Valerius, traduction résumée au IXe siècle dans un Epitome. Matière très répandue. 2.- Roman de Thèbes d'un anonyme normand ± 1150: les malheurs de la famille d'Oedipe; cf. Stace, La Thébaïde. Ajouts: e.a. amours d'Antigone et de Partonopeus. Transposition au XIIe siècle. Plusieurs versions: version longue 15.000 octosyllabes. Le plus ancien roman français complet. 3.- Roman d'Enéas ± 1160 cf. Virgile, L'Énéide sur Énée. 4.- Roman de Troie par Benoît de Sainte-Maure, ± 1165, 30.000 octosyllabes dédiés à Aliénor d'Aquitaine. N'est pas basé directement sur Homère. NB: la connaissance de l'antiquité: au moyen âge renovatio; à la Renaissance imitatio. Au moyen âge on adapte, on transpose, on modernise, on actualise la matière antique (anachronismes, christianisation). Peu de connaissances directes du grec dans l'Occident médiéval. 1.2.2.2. romans celtiques 17 La matière celtique était appelée au XIIe siècle la «matière de Bretagne« = la Grande Bretagne (= Galles, Cornouailles; + Irlande, Ecosse) et la Petite Bretagne (= Armorique, Bretagne française). La matière celtique se caractérise par le « merveilleux breton «: géants, nains, dragons, fées, chevalerie errante, ?queste', navigations providentielles, magie, fontaines enchantées, châteaux hantés... Matière celtique souvent située dans le monde du roi Arthur (voir plus loin: matière arthurienne). Beaucoup de textes. Mais nous ne parlerons que de trois centres d'intérêt: 1. Tristan et Yseut 2. Les Lais de Marie de France 3. Les 5 grands romans arthuriens de Chrétien de Troyes. 1.2.2.2.1. Tristan et Yseut Roman fondamental pour la conception de l'amour romanesque en Europe. Fondamental = l'amour impossible, fatal, tragique; = il n'y a pas d'amour heureux; = le lien Eros-Thanatos. Texte complet du XIIe siècle perdu. Tradition textuelle compliquée. Deux grands fragments français du XIIe: - Béroul, normand, ± 1170? Le plus ancien, le plus épique: la ?version commune'. Raconte le milieu de l'histoire. - Thomas d'Angleterre, anglo-normand, ± 1172-1173? La ?version courtoise' (analyse psychologique des sentiments amoureux). Cinq fragments. Raconte la fin de l'histoire. Trois petits fragments français du XIIe: - La Folie Tristan de Berne, dans l'esprit de Béroul; - La Folie Tristan d'Oxford, dans l'esprit de Thomas; - Marie de France, le Lai du Chèvrefeuille. Versions germaniques: - ± 1190 Eilhart von Oberg, Tristran: le plus ancien Tristan complet; cf. Béroul. - ± 1210 Gottfried von Strassburg, Tristan; cf. Thomas. - 1226 la Saga norroise de frère Robert: traduit Thomas. - ± 1300 Sir Tristrem anglais. 1230-1240 le grand Tristan en prose (éd. en 9 vol, Droz, « TLF «, 1987-1997). XXe siècle: Joseph Bédier reconstruit l'histoire (1900; rééd. poche 10/18). *** Résumé grossier 18 Tristan, né sous le signe de la tristesse, perd ses parents Rivalen et Blanchefleur, grandit à la cour de son oncle, le roi Marc de Cornouailles et est éduqué par Governal. Dans un duel Tristan tue le Morholt, un méchant géant d'Irlande, mais est blessé. Une navigation providentielle le conduit en Irlande où il se fait appeler Tantris et... se fait soigner par Yseut la Blonde, la nièce du Morholt. Tristan rentre en Cornouailles. Marc, pressé par ses barons (jaloux de Tristan) de se marier, dit qu'il épousera celle à qui appartient le cheveu blond qui lui tombe du ciel. Tristan en Irlande, blessé dans un combat contre un dragon, est soigné par Yseut qui veut le tuer (quand elle le reconnaît comme le meurtrier de son oncle). Mais Tristan obtient la main d'Yseut pour Marc. Sur la nef ils boivent le philtre d'amour préparé par la mère d'Yseut pour Marc: ils sont liés désormais par l'amour. La nuit de noces la servante Brangien se substitue à Yseut. Après plusieurs aventures (rendez-vous secrets, ruses et mensonges) ils doivent s'enfuir de la cour et vont vivre dans la forêt de Morois. Lorsque finalement Marc les y découvre, dormant avec une épée entre eux, il les épargne. Yseut décide alors de retourner chez son mari. Après plusieurs nouvelles aventures, Tristan se rend en Armorique et y épouse la soeur de son ami Kaherdin, Yseut aux Blanches Mains, mais ne consume pas le mariage. Aventures. Blessé à mort par un dragon, Tristan demande à Kaherdin d'aller chercher la première Yseut en Grande-Bretagne, pour le guérir: si elle peut venir, son bateau doit arborer une voile blanche, sinon une voile noire. Yseut aux Blanches Mains, jalouse et dépitée, a surpris la conversation... Tristan à l'agonie. La première Yseut arrive, la voile est blanche. Tristan demande à sa femme d'aller voir sur la plage, elle dit que la voile est noire. Il meurt. Yseut la Blonde débarque trop tard, rejoint Tristan et meurt de chagrin. 19 1.2.2.2.2. Marie de France, Lais, ± 1165-1170 Lai: cf. irlandais liod, germanique lied. Lai = conte/ nouvelle en vers octosyllabiques à rimes plates. On a dit que l'octosyllabe à rimes plates a la fonction de la prose littéraire au XIIe siècle. Le lai = un texte narratif qui se dit (par convention?) basé sur une chanson lyrique bretonne - toujours perdue! Donc: source lyrique, musicale bretonne, celtique > texte narratif français de Marie de France. Marie de France, ?la première poétesse française'. Marie: un prologue et douze lais. Après les lais de Marie de France, il y a d'autres lais en français, anonymes ou non, celtiques et antiques. Elle se nomme Marie, non pas dans le prologue général, mais dans le prologue du premier lai Guigemar! Elle a sans doute écrit aussi un recueil de Fables (un ?ysopet', inspiré des fables d'Esope) où elle se nomme Marie et se dit originaire de la France, c'est-à-dire de l'Ile-de-France. D'où son nom. Est-ce la même Marie? Et est-ce la même Marie qui a écrit le Purgatoire de saint Patrick? Ses lais sont dédiés à un roi anglais: Henri II (mort en 1189, mari d'Aliénor d'Aquitaine) ou son fils Henri, mort en 1183. Au merveilleux breton, elle ajoute un début de psychologie courtoise. Donc deux tendances: - le mythe (celtique) ancien, le conte de fées préchrétien - la courtoisie nouvelle venue des troubadours. Marie se situant entre mythe et littérature, combinant la matière celtique et l'esprit courtois, est la mère de la nouvelle européenne, tout comme Chrétien de Troyes sera le père du roman européen. Ces deux auteurs se situent à la charnière entre - mythe et littérature; mythos et logos; le monde des dieux et le monde des hommes; - entre le conte féerique et la nouvelle psychologique (entre la métaphysique et la psychologie) - entre le merveilleux et le réalisme - entre le fantastique et le quotidien. D'où: lais plutôt féeriques et lais plutôt réalistes. En d'autres mots, Marie de France a recouvert les archétypes mythologiques d'un certain nombre de «vernis« ou de «filtres«, transpositions ou transferts: 1.- psychologisation et individualisation (peu dans les contes de fées, cf. Grimm): p.ex. Guigemar vv. 380-542. 2.- humanisation du divin: le destin devient choix. La fatalité devient décision: p.ex. Les deux amants. 3.- motivation et rationalisation (peu dans les contes de fées); 4.- vraisemblabilisation; 5.- civilisation courtoise, p.ex. Equitan vv. 65-100, 150-176; 20 6.- christianisation d'un monde préchrétien, païen, p.ex. le credo et la communion dans Yonec vv. 142-194. NB: la christianisation n'est pas une réduction du merveilleux au réalisme, bien sûr, mais plutôt la transposition d'une mythologie (gréco-latine, celtique) à une autre (biblique, chrétienne). Lais de Marie: contes de fées mythiques couverts de vernis qui préfigurent la narration littéraire moderne. Marie renvoie souvent à ses sources bretonnes, p. ex. Prologue vers 33, Guigemar vv. 20, 23, 883-6; Equitan vv. 1-11, 313; Fresne v. 517; Lanval v. 642... Le médiéviste est un lecteur de traces. Marie prône l'égalité en amour: Equitan v. 137. Prologue trois thèmes: - ne pas cacher un talent - idée du progrès, surplus de sens, v. 16. ?Nains sur les épaules des géants' de Bernard de Chartres. - valeur morale de l'étude. Guigemar Au vers 3 Marie se nomme: seulement un prénom à la 3e personne! Le chasseur Guigemar fermé à l'amour = cf. Narcisse. Chasse miraculeuse à l'animal blanc qui conduit à la fée: thème celtique qui se retrouve dans des lais anonymes, où c'est parfois la fée elle-même qui a consciemment organisé la chasse. Blessure sexuelle symbolique ?entre les cuisses' cf. le lai du Chaitivel et, dans Perceval, le Roi-Pêcheur. Navigation providentielle, cf. imram celtique, saint Brendan, Tristan... Motif de la malmariée, la femme enfermée dans la tour, à sa fenêtre. Les dons: chemise et ceinture: cercle magique, parfois anneaux, p.ex. dans Milun. Evasion de la dame = inexpliquée, féerique. Duel final contre un type oedipal: cf. Milun. Equitan Pour certains: un conte réaliste, plus ou moins grossier, mal venu dans le recueil de Marie. Lecture féerique possible: si l'on lit Nains pour Nauns, v. 12. L'épisode des deux cuves a quelque chose de curieux, d'inexplicable. Fin: châtiment des coupables: condamnation, non de l'amour courtois, mais du crime. Fresne Début: croyance populaire, superstition, tabou archaïque qui pèse sur les jumeaux. Avoir des jumeaux serait signe d'adultère. La médisance se retourne contre la bavarde. La mère se repentira. La fille mise dans un ?fresne' s'appelle Fresne ; mais on ne sait pourquoi sa soeur 21 s'appelle Coudrier. A l'origine un conte sur des arbres? Le ?paile', la couverture, joue un rôle de continuité: il aidera Fresne à se montrer charitable, et par là à se faire reconnaître et à trouver le bonheur. Triomphe de la générosité. Bisclavret Mythe du loup-garou ou lycanthrope. Mais Marie prend le parti du loup-victime, l'humanise. Symptôme de la schizophrénie? L'homme présente deux côtés: d'une part le côté diurne, conscient, civilisé, habillé; d'autre part le côté nocturne, inconscient, sauvage, nu, bestial, primitif, la vie dans la forêt. cf. ± Doctor Jekyll et Mister Hyde. La faute de la femme: manque d'amour. Le loup devient chien du roi. Dénouement: punition des traîtres: blessure symbolique au nez. Le loup-garou est-il guéri de sa lycanthropie? Lanval Cadre arthurien. Début: un des motifs traditionnels du conte féerique: au cours d'un partage le héros est oublié. Lanval exilé (vv. 35-38): cf. Marie en Angleterre? La fée à la fontaine, le bain de Diane. Guenièvre: le motif de Putiphar. Et accusation de sodomie, vv. 280-284. Lanval a trahi l'existence de la fée, mais elle condescend à venir l'enlever à la cour. Départ pour Avalon, cf. Morgane et Arthur. Les deux amants Conte topographique. Début: motif de l'inceste atténué: condition impossible au mariage. Le philtre magique de la tante à Salerne: une femme médecin universitaire remplace la sorcière. Ironie: la fille maigrit et met des vêtements légers. La démesure du garçon: son choix qui remplace la magie est tragique: le refus du surnaturel lui sera fatal. Yonec En fait histoire de l'homme-oiseau Muldumarec et de la mère d'Yonec. Christianisation: le credo de l'homme-oiseau pour montrer qu'il est bon chrétien, vv. 149-168. Oiseau pour amour: cf. Laüstic. Fin: le fils venge le père. Anneau et épée. Laüstic Malmariée et mari jaloux, tyrannique. Le rossignol symbole de l'amour impossible devient relique. Fin fermée ou ouverte? 22 Lai littéraire et humain, pas de surnaturel. Milun Amour avant la première vue: cf. Equitan, Lanval, Yonec, Eliduc: fama volans. Marie n'explique pas pourquoi le mariage avec Milun est impossible: trop évident pour elle? Question d'états sociologiques? Communication par le cygne/le signe. Fin: combat oedipal. Le chaitivel = ?le malheureux'. Lai sur un lai, ou plutôt sur le titre d'un lai. L'autre titre est «Les quatre deuils« et représente le point de vue de la femme: elle a perdu quatre amants. Le titre «Le Chaitivel« représente le point de vue masculin, du seul chevalier survivant mais handicapé, blessé entre les cuisses. Fin: la dame, et puis donc Marie, choisissent le titre de Chaitivel. Selon certains: lai mal venu et trop ?réaliste', cf. Equitan. Le chèvrefeuille = un fragment de l'histoire de Tristan et Yseut. Marie pouvait visiblement supposer que son public connaissait l'histoire tragique de Tristan et Yseut dans ses grandes lignes. Le lai le plus court. Tristan exilé de la cour prépare un rendez-vous secret avec Yseut en mettant sur sa route un coudrier enroulé d'un chèvrefeuille, symbole de la symbiose que doit être l'amour: Ma belle amie, si est de nous Ni vous sans moi, ni moi sans vous. Marie présente ce lai narratif comme le récit du lai lyrique que Tristan lui-même composa. Eliduc Le lai le plus long. Thème: l'homme à deux femmes. Eliduc est le titre ancien et moderne. Le vrai titre pour Marie (vv. 21-22) = Guildeluec et Guilliadun, donc l'histoire des deux femmes! Anneau et ceinture: les cercles magiques cf. Guigemar... Mythe biblique: la tempête due à la présence d'un pécheur à bord (cf. Jonas). Bel épisode de la belette: v. 1030: la belette mâle sauvée par sa femelle! L'épouse non jalouse se sacrifie: se retire dans un couvent. Après une vie de bonheur basé sur le sacrifice d'un tiers, les amants finissent leurs jours également au couvent. Christianisation? Morale? La matiere arthurienne 23 Les romans de Chrétien de Troyes: - courtois par leur esprit (d'origine occitane). - celtiques par leur matière: le merveilleux breton, la matière de Bretagne. Au centre: le roi Arthur. Le roi Arthur figure aussi dans le lai de Lanval de Marie de France et dans le roman de Tristan et Yseut. Arthur: roi celtique de Bretagne. Autour de lui: les chevaliers de la Table Ronde (p.ex. Erec, Lancelot, Gauvain, Yvain, Perceval...). Arthur: personnage historique, ou dieu guerrier ou agricole? De toute façon rôle politique; Arthur = le héros des peuples celtiques, le symbole de la résistance celtique contre l'envahisseur anglo-saxon, qui un jour reviendra soulever l'insurrection. C'est pourquoi les Celtes disent qu'Arthur n'est pas vraiment mort, mais se repose chez les fées dans l'île d'Avalon. Cette littérature est visiblement propagée à la cour du roi Henri II, Plantagenêt d'Anjou, et de la reine Aliénor d'Aquitaine, dès 1154. Juste après le règne d'Henri II le tombeau d'Arthur et de Guenièvre est redécouvert. Quelques sources de la tradition arthurienne - Historia Britonum attribuée à Nennius, prêtre gallois ± 800. Premier texte à mentionner Arthur -- Artorius -- comme chef guerrier chrétien des Bretons qui se bat contre l'envahisseur anglo-saxon. (Arthur aurait vécu ± 500). ... - Les Mabinogion = ?enfances d'un chef' (mot celtique; singulier: un mabinogi). 11 contes gallois. Difficiles à dater: certains avant Chrétien de Troyes, d'autres du XIIIe siècle. Seulement trois mabinogion contiennent des enfances. Trois mabinogion, plus récents, ont un sujet de Chrétien de Troyes: - Gereint = cf. Erec et Enide. - Owein ou La Dame à la Fontaine = cf. Yvain. - Peredur = cf. Perceval. Le grand prestige international d'Arthur est surtout dû à Geoffroy de MONMOUTH, prêtre gallois, auteur de Historia Regum Brittaniae, ± 1136. Fraude, fiction, mystification, légende. But: légitimer les Normands sur le trône anglais par une généalogie troyenne. 12 livres sur les rois celtiques d'Angleterre, du premier jusqu'au dernier: - le premier: Brut, arrière-petit-fils d'Énée, premier conquérant et colonisateur d'Albion et fondateur mythique de Londres. Eponyme de ?breton'. - le dernier: Cadwallader, mort en 698: fin de l'indépendance bretonne. Entre les deux, une grande place est accordée à Arthur et à son règne, avec les prophéties de Merlin. Geoffroy de Monmouth écrit aussi Vita Merlini en 1150. L'Historia Regum Brittaniae est traduite librement, amplifiée par Wace dans son roman français Brut, 1155: 14000 vers dédiés probablement à Aliénor d'Aquitaine. Ici apparaît pour la première fois le terme «Table ronde«: nul n'a la préséance (cf. la Cène? 24 cf. le zodiaque?). Fonction politique de la littérature. Henri II veut créer avec la littérature arthurienne un pendant généalogique contre les rois de France qui se réclament du héros épique Charlemagne. NB: Gauvain figure déjà dans Guillaume de Malmesbury, Gesta regum Anglorum, ± 1125! 1.2.2.2.3. les romans de chretien de troyes Chrétien de Troyes: biographie inconnue. 1140-1190?? A la cour de Champagne chez Marie de Champagne, puis à la cour de Flandre, chez Philippe d'Alsace. Distingue sens - matière - conjointure. Père du roman, cf. Marie de France: place unique entre le mythe et le roman. Chez lui le roman naît là où le mythe n'est plus compris: explications réalistes, rationalistes, psychologiques... Chrétien de Troyes est aussi le premier poète lyrique français: 2 poèmes d'amour conservés. A écrit un Tristan perdu. 25 Les cinq grands romans arthuriens: Erec et Enide ± 1170 cf. le mabinogi de Gereint; cf. Hartmann von Aue ± 1185. Début: la chasse au cerf blanc qui conduit à la dame, cf. Guigemar. Mariage = fin du ?premier temps' du roman. Accusation de recréantise = oubli des devoirs chevaleresques. Série d'aventures de plus en plus difficiles. Fin: épisode de Joie de la Cour: le bonheur en amour n'est pas possible en dehors de la société. Sujet: l'amour conjugal, non la fin'amor adultère: cf. Yvain. Cligès ou la fausse morte ± 1176 Dans le prologue Chrétien donne une liste de ses publications antérieures, e.a. Erec. Roman byzantin avec fin arthurienne. Deux romans? D'abord les amours des parents de Cligès: Alexandre et Soredamor (soeur de Gauvain). Puis les amours de Cligès et Fénice. Fénice, femme d'Alis, est la tante de Cligès: cf. Tristan et Yseut. Mais Chrétien a-t-il voulu écrire un anti-Tristan? Fénice ne veut se partager entre deux hommes: Qui a le coeur, si ait le corps. Solution: ?deus ex machina' (cf. Molière): la ruse avec la fausse morte: Fénice, droguée par un ?philtre', est enterrée: son mari la croit morte. Fin: le mari meurt. Mariage chez Arthur. Encore refus de l'adultère? Lancelot ou le chevalier de la charrette ± 1180 Sens et matière viennent de Marie de Champagne (fille d'Aliénor d'Aquitaine), son mécène: ouvrage sur commande. Sujet: la fin'amor adultère. Le seul roman de Chrétien sur l''amour courtois! Les 1000 derniers vers sont de la main d'un élève, Godefroy de Lagny. Lancelot = titre moderne. Le lecteur ne découvre le nom qu'assez tard! Début: la reine Guenièvre est enlevée par Méléagant. Deux chevaliers vont à sa recherche: Gauvain et un chevalier mystérieux qui se révélera être Lancelot, l'amant de la reine. Lancelot perd son cheval, ne peut continuer sa route que dans une ?charrette d'infamie' pour les criminels. Il hésite une seconde entre son honneur chevaleresque et son amour. Après sa libération Guenièvre lui en voudra d'avoir hésité. Ce roman traduit-il plutôt les opinions de Marie de Champagne? Dans le traité latin De amore d'André le Chapelain, elle dit qu'amour et mariage s'excluent. Yvain ou le chevalier au lion ± 1180 cf. mabinogi d'Owein; cf. Hartmann von Aue, Ywein. Amour conjugal et accusation de recréantise: cf. Erec. 1. Récit de Calogrenant, mise en abyme. Arthur dort. Keu toujours déplaisant. 2. La pierre et la source: magie imitative. Le combat à la fontaine avec Escla dos le Roux: Yvain tue Esclados. Grâce à la servante Lunette, Yvain épouse la veuve Laudine. 3. Gauvain, reprochant à Yvain sa recréantise, l'entraîne dans des tournois. Yvain peut 26 s'absenter pendant un an, mais transgresse le délai. Il a perdu l'amour de sa femme, devient fou, est guéri par la demoiselle de Noroison. 4. Rédemption en plusieurs étapes: ces aventures sont enchevêtrées. Enchevêtrement: épisodes entrelacés: p.ex. début épisode A - début épisode B - fin épisode A - début épisode C - fin épisode B, ... - il aide Noroison (?éducation') contre Alier (?conduite'). - il se bat contre le gigantesque Harpin de la Montagne. - il aide un lion qui se bat contre un serpent. Le lion reconnaissant le suit comme un chien, il s'appelle désormais «le chevalier au lion«. Motif antique du lion d'Androclès. - il libère Lunette du bûcher et la réconcilie avec Laudine qui ne le reconnaît pas. - l'épisode de Pesme Aventure: il libère les tisseuses esclaves des ?Netuns'. - les demoiselles de Noire Espine, se disputant sur un héritage, choisissent Yvain et Gauvain comme champions respectifs: Yvain doit se battre pour la bonne demoiselle, Gauvain pour la méchante. - Duel (sans que les amis se reconnaissent). Issue indécise. Le roi Arthur tranche la question. - Grâce à une ruse de Lunette - donc ironiquement pas grâce à ses exploits? - Yvain peut retourner chez Laudine. Structure : union - désunion - réunion. Yvain présente des éléments d'anciens mythes de la végétation: le jeune dieu doit remplacer le vieux dieu de la nature auprès de la puissante déesse de la Terre au Royaume des Ombres (Frazer, The Golden Bough, 1890-1922). De même Perceval succède au Roi-Pêcheur. C'est déjà la structure mythique du triangle oedipal. Perceval ou le conte du graal ± 1190 Inachevé. Thème: non plus l'amour humain, mais l'amour surnaturel. Perceval représente la chevalerie céleste. Chrétien de Troyes écrit son Perceval à Gand, pour son nouveau mécène, Philippe d'Alsace, comte de Flandre, d'après un livre - hélas inconnu - que Philippe lui a donné comme modèle. Structure: total 9000 vers: - 4500 vers sur Perceval - 4500 vers sur Gauvain (6 épisodes). Authentiques? Dans Gauvain: 200 vers sur Perceval et l'ermite. Authentiques? - «Perceval« = titre moderne (cf. Wolfram von Eschenbach). Le titre de Chrétien = le conte du graal. En effet seulement la moitié du roman a comme héros Perceval. - Garçon gallois dans la forêt avec sa mère veuve; élevé loin des foules, cf. Jésus, Bouddha. Perceval est nice < «nesciens«, naïf, il a la pureté de l'ignorance. - Rencontre des chevaliers, veut devenir comme eux, au grand chagrin de sa mère qui meurt quand il part. - Tue le chevalier vermeil d'une façon sauvage et peu orthodoxe. Chevalier chez Arthur. - Perceval reçoit son éducation chevaleresque de Gornemant de Goort. - Perceval aide Blanchefleur. Amour. Mais il s'en va pour chercher sa mère. - Chemin faisant, il arrive au château du Roi-Pêcheur, `méhaigné' à la cuisse: procession du graal et de la lance et du `tailloir'. Perceval ne pose pas les questions 27 magiques, libératrices `à qui sert-on le graal?' et `pourquoi la lance saigne-t-elle?'. Chrétien dit: `un graal'! - Le lendemain sa cousine lui reproche son silence et lui fait deviner son nom, inconnu jusque là. Il aurait pu faire revivre the waste land. - A la Pentecôte (!) il trouve trois gouttes de sang dans la neige et entre dans une rêverie mystique. - A la cour du roi Arthur, Demoiselle Hideuse vient reprocher à Perceval son silence fatal. C'est alors seulement que Perceval décide d'aller chercher ce qu'il avait trouvé sans chercher: le graal. - Six épisodes sur Gauvain, avec une - petite insertion: Perceval, un vendredi saint, cinq ans plus tard, rend visite à un ermite qui s'avère être son grand-oncle. Il fait quelques révélations: le Roi-Pêcheur est le cousin - âgé - de Perceval. Le graal contient une oiste (= hostie? = huître?) et est servi au vieil homme esperitaus, père du Roi-Pêcheur. cf. ± le mabinogi de Peredur. Perceval représente la chevalerie céleste, Gauvain la chevalerie terrestre. Le graal = selon Hélinand de Froidmont, XIIe siècle: scutela lata et aliquantulum profunda = «écuelle large et un petit peu profonde«. Donc un vase, un récipient, qui correspond peut-être au chaudron d'abondance des Celtes. Hélinand propose deux étymologies fantaisistes: «grata« (agréable) et «gradatim« (les mets y sont servis successivement). Les savants modernes pensent plutôt à «vas garale«, un vase pour le garum (un suc de poisson) ou apparentent le Graal à «cratère«. Plus tard le Graal change de forme, quand il est christianisé et devient, sous le nom de saint Graal, le calice de la messe ou le ciboire de la communion, contenant le sang du Christ. En même temps la lance est christianisée et devient la lance de Longin qui a transpercé le Christ crucifié. Trois hypothèses principales sur l'origine du graal: - hypothèse celtique: la plus probable: objets rituels celtiques progressivement christianisés. - hypothèse chrétienne: les symboles seraient chrétiens dès le début: = improbable: le graal est porté par une demoiselle! Cela semble peu chrétien. - rites d'initiations, mystères antiques: initiation psychologique, religieuse, sexuelle. Graal et lance symboles sexuels. Jessie Weston. SI l'épisode de l'ermite est de Chrétien de Troyes et SI oiste signifie `hostie', alors la christianisation du graal commence déjà chez Chrétien de Troyes. Sinon après lui. Après Chrétien de Troyes En français: 4 continuations et 3 grands remaniements sur Perceval et le Graal. Continuations: 28 1.- ± 1200 Continuation Gauvain, anonyme, dite du pseudo-Waucher, 11.000 vers. La lance = de Longin qui transperça le Christ crucifié. 2.- début XIIIe siècle: Continuation Perceval de Waucher de Denain, 13.000 vers. 3.- ± 1225 la continuation de Manessier, 11.000 vers: continue 2. Termine le récit. 4.- ± 1225 la continuation de Gerbert (de Montreuil), 17.000 vers; continue aussi 2, mais indépendamment de Manessier. Termine presque. Remaniements: 1.- Robert de Boron, Estoire del saint Graal [= «Joseph «] et un fragment de Merlin, ± 1215, en vers: christianise: le graal contient le sang du Christ, recueilli par Joseph d'Arimathie. De là il est passé dans l'Angleterre celtique. Donc: archéologie, préhistoire du graal, depuis le Christ jusqu'au roi Arthur. 2.- « Robert de Boron en prose « ou ?Didot-Perceval' ou ?Perceval de Modène': contient trois parties: l'histoire de Joseph ; la vie de Merlin ; Perceval et le Graal. Début de la prose littéraire: revendication d'historicité, authentification? 3.- «Le Lancelot-Graal« ou ?la vulgate arthurienne' ou ?le cycle du pseudo-Gautier Map' ou ?Lancelot en prose'. XIIIe siècle. Compilation. Beaucoup d'enchevêtrements. Ed. non critique O. Sommer, 7 vol., Washington 1909-1913, + index 1916. Cinq parties; ordre logique: Estoire; Merlin; Lancelot en prose (version longue, éd. A. Micha, 9 vol., Droz, «TLF«, 1978-1983); la Queste del Saint Graal (Galaad, non Perceval, trouve le saint graal: éloge de la chasteté); la Mort d'Arthur. Le Lancelot-Graal est la source du roman anglais du XVe siècle, Le Morte d'Arthur de sir Thomas Malory. En Allemagne: ± 1203: Wolfram von Eschenbach, Parzival. Le texte le plus important après Chrétien. Le premier roman achevé sur Perceval et le graal. Raconte d'abord l'histoire des ancêtres, e.a. du père de Perceval: Gahmuret. Fin: Perceval épouse Blanchefleur et devient le nouveau roi du graal. Wolfram prétend avoir employé une source meilleure que `meister Kristian': Kyot der Provenzal. Inconnu? Topos de l'auctoritas? Wolfram nomme aussi la source de Kyot: Flégétanis, astrologue païen. Chez lui le graal est une pierre: lapsit exillis = `lapis ex coelis' ou `lapis elixir'? La colombe de la Pentecôte y dépose une hostie. Wolfram plus mystérieux, astrologique, alchimique, occulte? Selon Wolfram, Perceval est d'Anjou et a un demi-frère mi-noir mi-blanc, Feirefiz. Wolfram a souvent un nom pour des personnages qui chez Chrétien sont anonymes: Roi-Pêcheur = Amfortas (du latin infirmitas); l'ermite = Trevrizent; la porteuse du graal = Repanse de Schoye (`pensée de joie'); le vieil homme esperitaus = Titurel; demoiselle Hideuse = Cundrie (qui parle français!); le château du graal = Montsalvatje... Wolfram, Parzival: source de Richard Wagner. *** Quelques études Sur la courtoisie et l'amour courtois: 29 R.R. Bezzola, Les origines et la formation de la littérature courtoise en Occident (5001200), 5 vol., Paris 1944-1963. R. Boase, Origin and Meaning of Courtly Love, Cambridge U.P. 1979. J. Bumke, Hoofse Cultuur, 2 vol., Utrecht: Spectrum-Aula, 1989 (vertaald uit het Duits, 2 vol., München: dtv, 1986). M. Lazar, Amour courtois et fin'amors, Paris: Klincksieck, 1964. Sur Tristan: E. Baumgartner, Tristan et Iseut, Paris: PUF, 1987. J.C. Huchet, Tristan et le sang de l'écriture, Paris: PUF 1990, coll. «Le Texte Rêve«. P. Jonin, Les personnages féminins dans les romans français de Tristan au XIIe siècle, Aix-en-Provence 1958. D. de Rougemont, L'amour et l'Occident, Paris: UGE, 1972 (= éd. définitive; 1e éd. 1939), coll. 10/18 n? 34; rééd. 1993. G. Schoepperle, Tristan and Isolt. A Study of the Sources of the Romance, 2 vol., New York UP 1913; rééd. revue 1960, 1970. D.J. Shirt, The Old French Tristan Poems: A Bibliographical Guide, London: Grant & Cutler, 1980 [jusqu'en 1978]. Revue: Tristania, revue Univ. Tennessee, 1976- . Sur Marie de France: R. Baum, Recherches sur les oeuvres attribuées à Marie de France, Heidelberg: Winter, 1968. G.S. Burgess, Marie de France: An analytical bibliography, London: Grant & Cutler, 1977 (supplément 1985). G.S. Burgess, The Lais of Marie de France, Text and Context, Manchester U.P., 1987. E. Hoepffner, Les Lais de Marie de France, Paris: Boivin 1935 (rééd. Nizet 1971). C.H. Joubert, Oyez ke dit Marie. Etude sur les Lais de Marie de France (XIIe siècle), Paris: Corti, 1987. P. Ménard, Les Lais de Marie de France, Paris: PUF, 1979. E. Sienaert, Les Lais de Marie de France, Du conte merveilleux à la nouvelle psychologique, Paris: Champion, 1978. P. Verhuyck & C. Kisling (trad.), Marie de France, Lais, Deventer: Ankh-Hermes, 1980 [texte de la 3e éd. K. Warnke 1925, et première traduction néerlandaise]. P. Verhuyck, -Marie de France, le chèvrefeuille et le coudrier?, Mélanges de Linguistique, de Littérature et de Philologie médiévales, offerts à J.R. Smeets (réd, Q.I.M. Mok, I. Spiele & P.E.R. Verhuyck), Leiden 1982, pp. 317-326. P. Verhuyck & J. Koopmans, -Guigemar et sa Dame?, Neophilologus 68 (1984) pp. 921. P. Verhuyck & L. Jongen (trad.), De achterkant van de Ronde Tafel, De anonieme Oudfranse lais uit de 12e en 13e eeuw, Deventer: Sub Rosa, 1985 [première traduction néerlandaise des 16 lais anonymes]. P. Verhuyck & R. Harper, -Marie de France et Marcabru: à propos du Chaitivel?, Neophilologus 74 (1990) pp. 178-191. 30 Sur Arthur et le graal: R. Barber, King Arthur. Hero and Legend, Woodbridge 1990. K.O. Brogsitter, Artusepik, Stuttgart: Metzler, 2e éd. 1971. J. Frappier, Chrétien de Troyes et le mythe du graal, Paris: SEDES, 1972. N.L. Goodrich, Le roi Arthur (traduit de l'anglais, London 1986), Paris: Fayard, 1991. N.J. Lacy (réd.), Arthurian Encyclopedia, New York-London: Garland, 1986, 1988; rééd. 1991 The New Arthurian Encyclopedia, ibid. N.J. Lacy & G. Ashe, The Arthurian Handbook, New York-London 1988. R.S. Loomis (réd.), Arthurian Literature in the Middle Ages, Oxford: Clarendon, 1959. R.S. Loomis, The Grail, from Celtic Myth to Christian Symbol, University of Wales Press, 1963. R.S. Loomis, The Development of Arthurian Romance, London: Hutchinson, 1963 Revue: Bulletin Bibliographique de la Société Internationale Arthurienne (BBSIA). Sur Chrétien de Troyes: J. Frappier, Chrétien de Troyes, Paris: Hatier, 1968. D. Kelly, Chrétien de Troyes: An analytical bibliography, London: Grant & Cutler, 1976. R.S. Loomis, Arthurian Tradition and Chrétien de Troyes, New York: Columbia U.P., 1949. D. Maddox, The Arthurian Romances of Chrétien de Troyes, Once and Future Fictions, Cambridge U.P., 1991, 192 pp. Sur Yvain: E. Baumgartner, Chrétien de Troyes, Yvain, Lancelot, la charrette et le lion, Paris: PUF, 1992. J. Dufournet (réd.), Le chevalier au lion, Approches d'un chef-d'oeuvre, Paris: Champion, 1988. J. Frappier, Etude sur Yvain ou le Chevalier au Lion, Paris: SEDES, 1969. J.T. Grimbert, «Yvain« dans le miroir, Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins Publishing Company, 1988. P. Haidu, Lion-Queue-Coupée, Genève: Droz, 1972. T. Hunt, Chrétien de Troyes, «Yvain«, London: Grant & Cutler, 1986. P. Verhuyck & A. Vermeer-Meyer, -Le temps divin d'Yvain?, Revue belge de Philologie et d'Histoire 60 (1982) pp. 527-539. P. Verhuyck, -Nawoord bij Chrétien de Troyes, Ywein, de ridder met de leeuw?, traduction néerlandaise de Yvain ou le chevalier au lion par C.M.L. Kisling, Amsterdam: Van Oorschot, 1994, pp. 160-170. Ph. Walter, Canicule, Essai de mythologie sur Yvain, Paris: SEDES, 1988. B. Woledge, Commentaire sur Yvain (Le Chevalier au Lion), 2 vol., Genève: Droz, 1986-1988. 31 1.2.3. le Roman de Renart (1174-1250) Epopée animale? Un ensemble de contes disparates, artificiellement groupés dans les manuscrits dès le XIIIe siècle, et numérotés par les savants modernes. Héros: le goupil appelé Renart. Le nom vient du germanique «rein hart«: ce nom est donc ironique, donné par antiphrase; le trompeur Renart n'a pas du tout `le coeur pur'. Principe: le travesti: animaux pour hommes. Parodie de la littérature chevaleresque: - de la chanson de geste et de la justice féodale; - de l'amour courtois. Auteurs: clercs. Public: cour. 26 branches, d'abord pour faire rire, puis pour critiquer. 1. «Le vrai Renart«: 1174-1205: 16 branches (de 1 à 17, sans 13) 2. «branches tardives«: 1205-50: 10 branches (18 à 26, +13) Chronologie approximative 1174-1205 1. 1174-77 : branches II et Va, par Pierre de Saint-Cloud: anecdotes et fables amusantes qui s'enchaînent: - II: Renart et Chantecler, et la mésange, et Tibert, et Tiécelin; viol d'Hersent la Louve, femme d'Ysengrin. - Va: plaintes d'Ysengrin et de Brun: procès à la cour du lion, le roi Noble: justice féodale. 2. 1178 : branches III, IV, V, XIV et XV. 3. 1179 : branche I, «Le Plait«. 4. 1180-90 : branches X, VI, VIII. 5. 1190 : la branche XII, par Richard de Lison. 6. 1190-95 : les branches Ia et Ib. 7. 1195-1200: branches VII et IX. 8. 1200 : branche IX, du prêtre de la Croix-en-Brie. 9. 1202 : branche XVI. 10.1205 : branche XVII. Les branches numérotées (cf. Martin, Bossuat, Dufournet) Le «vrai Renart« I. 1179 : Le Plait (la branche la plus célèbre, traduite et adaptée par Willem en flamand, 1230-1260). Ia. 1190 : siège de Malpertuis (où Renart viole aussi Fière, femme de Noble). Ib. 1195: Renart teinturier et jongleur (cf. fabliau). Renart peint en jaune, méconnaissable, surprend sa femme Hermeline qui, le croyant mort, veut se remarier avec Poncet, neveu de Grimbert. Les chiens dévorent Poncet. Source: conte hindou. II. 1174: la branche la plus ancienne; par Pierre de Saint-Cloud: Renart + Chantecler, + la mésange, + Tibert, + Tiécelin, + Hersent la louve. III. 1178: Renart et les anguilles; tonsure d'Ysengrin; pêche à la queue. IV. 1178: Renart et Ysengrin dans le puits. Thème ésopique déjà utilisé par Phèdre et Pierre Alphonse. V. 1178: Renart + Ysengrin + jambon; Renart et le grillon Va. 1177: Pierre de Saint-Cloud: procès de Renart qui sera poursuivi par les 32 VI. VII. VIII IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV. XVI. XVII. mâtins. encore Renart devant la cour (influence de I); duel Renart-Ysengrin: Renart, battu, sera pendu, Grimbert obtient qu'on le mette au couvent, d'où il sera chassé. 1195: confession de Renart à Hubert le milan 1180-90: pèlerinage de Renart (avec Belin le mouton et Bernard l'âne-archiprêtre) 1200: par le Prêtre de la Croix-en-Brie: le vilain Liétart + l'ours + Renart. Les paysans, âpres au gain, tuent l'ours, trompent Renart; Renart se venge. 1180-90: Renart médecin (guérit Noble au dépens d'Ysengrin écorché vif). 1200: Renart empereur (= allusion à Jean sans Terre qui usurpa le royaume de Richard Coeur-de-Lion, en le disant décédé, 1193?). Branche incohérente. 1190: de Richard de Lison: Renart et Tibert au moûtier. Parodie. 1178: Renart et Tibert dans le cellier du vilain; Renart mystifie le loup Primaut, frère d'Ysengrin. XIV succède à III et à IV. Imite Pierre de Saint-Cloud. 1178: Renart et Tibert et l'andouille; Tibert et les deuxprêtres. Dans XV, Tibert tend à supplanter Renart. 1202: discussion entre Renart et un vilain à propos d'un coq. 1205: mort et procession de Renart, faux cadavre: même sa mort est une supercherie. 1190: se rattachent à Pierre de Saint-Cloud: III, IV, V, XIV, XV, au Plait (I): VII, VIII, IX, XI, XII, XVI, XVII. Survivance: 1205-50: les «branches tardives« XIII : les peaux de goupil au plafond, parmi lesquelles Renart se cache. XVIII : Ysengrin et le prêtre Martin (dont il convoite les brebis). Source: poème latin du XIe : Sacerdos et Lupus. XIX : Ysengrin et la jument Rainsant (source: Romulus, De Leone et equo). XX : Ysengrin et les deux béliers: Ysengrin veut les manger; ils lui demandent d'arbitrer leur prétendu différend, et le bousculent (source: Ysengrimus) XXI : Ysengrin et l'ours Patous veulent prendre un jambon au vilain et à sa femme. Ruse féminine. XXII : fable de Phèdre: «La Vache, la chèvre et la brebis en société avec le lion«. XXIII : Renart magicien (+mariage de Noble). Exotisme et magie. XXIV : Naissance et Enfances de Renart: déjà tendance moralisatrice: Renart n'est plus le joyeux luron, mais tend à devenir l'incarnation de l'hypocrisie: cf. les continuations. Branche XXIV = un fabliau qui condamne Renart. XXV : Renart + héron; + batelier. XXVI : «l'andouille jouée à la marelle«: les animaux laissent traîner l'andouille-jouet, à l'approche de Renart; Tibert s'en empare, saute sur une croix; Renart feint d'avoir trouvé une souris: Tibert lâche sa proie: vengeance de XV, où Tibert garde l'andouille. Chronologie 1205-50: 13, 23, 22, 24, 25, 26. Puis 21, 18, 19, 20. C'est donc dans les 4 dernières branches, chronologiquement, qu'Ysengrin remplace 33 Renart comme protagoniste. La numérotation des branches ne correspond ni à l'évolution thématique, ni à la chronologie. «Sources« 1. - les recueils ésopiques, les «ysopets«, c'est-à-dire les fables d'après le Grec Esope (VIe siècle av. J.Chr. ?, traduit en latin par Phèdre, 1e siècle). Surtout le Romulus (IVeVe siècle), d'un certain Romulus Imperator ; et le recueil d'Avianus qui, au IVe siècle, imita Phèdre. Au XIIe siècle, on a fait trois versions en vers latins du Romulus, qui seront à leur tour plusieurs fois traduites en français médiéval, e.a. par Marie de France. 2. Ecbasis Captivi «per tropologiam«, ± 1045. Création de l'épopée animale, par le moine de Saint-Evre à Toul. 940 hexamètres. 3. Disciplina clericalis par Pierre Alphonse, début XIIe, dont une traduction française en prose, deux en vers: Castoiement du père à son fils. 4. Ysengrimus de Nivard, moine de Saint-Pierre-au-mont-Blandin, à Gand, 1149. Pour la première fois: Renart et Ysengrin (cf. branches II, III, V, X). * 1. Renart à l'étranger a. Reinhart Fuchs par l'Alsacien Heinrich de Glichezâre (= «Henri le Sournois«), après 1190: il utilise les plus anciennes branches françaises. b. Van den vos Reynaerde par le Flamand Willem, 1230-1260 (adaptation libre de la première branche «Le Plait«). Suite, XIVe siècle: Reinaerts Historie. Dont un incunable, Gouda 1479, sera la source de William Caxton, The Historye of Reynart the Foxe, 1481 ; et un autre incunable, Anvers 1487, sera la source de Reinke de Vos, Lübeck, 1498, en moyen bas allemand. D'où Goethe, Reineke Fuchs, 1794. c. Rainardo e Lesengrino, XIIIe s., 700 vv. franco-italiens. d. Balduinus Iuvenis, Reynardus vulpes, ± 1272-1279, traduction-adaptation latine du Van den vos Reynaerde de Willem, 2. Continuations en France a. Rutebeuf, Renart le Bestourné («le corrompu«), 162 vv., 1260: attaque des Ordres Mendiants (franciscains, dominicains) qui auraient trop d'influence sur Louis IX, tout comme le mauvais Renart aurait trop d'influence sur Noble. b. L'anonyme flamand, Couronnement de Renart (après 1250): un réquisitoire contre les Ordres Mendiants. c. Jacquemart Giellée de Lille, Renart le Nouvel, 8000 vv., 1288: allégorie: Renart devient l'incarnation du mal. Diabolisation. d. Gervais du Bus, Fauvel, 1310-1314 Fauvel est un cheval qui devient comme le goupil l'incarnation du mal. F.A.U.V.E.L.= Flatterie, Avarice, Vilenie, Variété, Envie, Lâcheté. Acronyme e. Le Clerc de Troyes, Renart le Contrefait, 41.000 vv., 8 branches; 1320-1328. Renart = le mal qui gouverne le monde. *** 34 Généralités autour de II et Va. ________________________ Fondamentalement Renart représente l'individu contre la société, la liberté contre l'organisation féodale. Il est un non-conformiste rebelle et provocateur, un anarchiste solitaire, criminel. Il est le plus souvent seul contre tous. Le principal fil rouge est l'inimitié entre Renart et Ysengrin le loup. L'origine de leur conflit est exposée à la fin de II: le viol d'Hersent la louve. Renart contre Ysengrin = la ruse contre la force (Renart est un petit vavasseur, Ysengrin est un puissant baron du royaume; dans le monde animal le renard est plus petit que le loup). Quand il s'en prend à plus petit que lui, Renart échoue souvent (p.ex. branche II: Renart et la mésange). Quand il a à se mesurer avec Tibert le chat, c'est un peu la ruse contre la ruse et l'issue du combat varie. Renart est roux: cette couleur aux connotations négatives est comme sa carte de visite: attention, cet animal est rusé et trompeur! Plus tard la renarderie deviendra diabolique. Un seul animal défend toujours Renart contre les accusations des autres: son cousin Grimbert le blaireau: cf. observation zoologique: le blaireau et le renard partagent souvent la même tanière. La femme de Renart, Hermeline (non nommée par Pierre de Saint-Cloud), est une hermine, donc aussi un rongeur. Le plus ancien Roman de Renart est donc français et les «sources« sont livresques et latines. Mais quel est le pays d'origine? La Flandre orientale autour de Gand? Renart serait-il germanique ou roman? L'examen des noms propres ne permet pas de trancher; p.ex. Renart, Brun, Grimbert sont des noms germaniques; Chantecler, Malpertuis («le mauvais trou«), Noble sont romans. Branche II. Dans la branche II, on distingue 5 parties (voir plus haut); les quatre premières servent à montrer comment Renart se fait des ennemis qui pourraient témoigner contre lui. Parfois il est le trompeur trompé. Le dernier épisode de II est le plus important: le viol d'Hersent la louve, le détonateur narratologique. Le viol se fait en deux étapes. Le premier accouplement n'est pas un viol, mais parodie le motif occitan du castia gilos = le châtiment du jaloux (quand un mari soupçonne sa femme à tort, la punition consiste à faire ce que le jaloux a pensé). Ainsi s'explique la haine épique qu'Ysengrin voue à Renart. NB: Louve, en occitan Loba: = cf. lupanar. II, vv. 851-853: Renart saute, gambade, s'allonge sur l'herbe, s'étire: donc parfois l'animal humanisé redevient animal! Anthropomorphisme partiel. Ce caractère passager, incomplet, fragmentaire de l'anthropomorphisme ajoute à l'humour ambigu du texte. - cf. v. 1379: Ysengrin gratte avec ses griffes. - cf. les chiens, les mâtins, qui poursuivent Renart ne sont pas humanisés. - cf. surtout la branche Va, v. 975: ironie: le juge Roonel, un chien anthropomor35 phisé, se vautre dans la paille en se frottant le dos par terre! Le juge redevient chien. L'animal humanisé redevient animal (un petit instant, quand il ne se sent pas observé). Il y a plusieurs de ces interférences entre les humains et les animaux: tantôt mêlés, tantôt séparés. Exemple le plus évident: Ysengrin à cheval: le loup est humanisé, mais le cheval reste cheval. De même Roonel est le chien d'un homme: Va vv. 874-875: glissement constant entre les deux mondes. Branche Va. Les branches II et Va ne forment qu'un seul roman de 2421 vers «dont l'unité ne fait pas de doute« (Foulet, Bossuat). Va est le complément nécessaire de II: après le viol de sa femme, Ysengrin cherche vengeance en allant se plaindre au roi Noble: Va est le jugement de Renart (épisode plus tard imité dans la branche I, Le Plait). Satire: la cour animale, aux prises avec les subtilités du droit féodal. Noble est un roi généreux et courtois, ennemi des querelles. Le lion a un faible pour le goupil et veut excuser la fin'amor adultère (parodie de la littérature courtoise). Ysengrin ne comprend pas qu'il se ridiculise un peu en racontant les misères que Renart lui a faites. Le roi Noble ne jugera pas Renart. Le juge sera le chien Roonel. Va, v. 457: le juriste, nonce papal, est un chameau; cf. branche VIII: le prêtre est un âne. Le principe du travesti animalier est simple; cf. les grands barons du royaume sont des loups rapaces et des ours lourdauds. Plus loin: Roonel, le juge corrompu, est un chien... Va, vv. 998-1003: satire des superstitions (jurer sur la dent du faux mort Roonel!). Aussi critique de l'église. Fresque de la société. Cette parodie de la littérature chevaleresque, des moeurs et des institutions féodales et juridiques a probablement été consommée à la cour. Le mécénat courtois explique le mieux pourquoi cette littérature (d'abord orale?) a été écrite sur le parchemin. Le mécène et son entourage noble forment sans doute le public visé, le public premier, du texte écrit. *** Manuscrits et éditions 15 mss et quelques fragments, tous du XIIIe, se répartissent en 3 classes: alpha, bèta, gamma. Editions: a. - E. Martin, Strasbourg 1882-7: ms du groupe alpha (cf. M. de Combarieux du Grès & J. Subrenat, 2 vol., Paris: 10/18, 1981; et J. Dufournet & A. Méline, 2 vol., Paris: Flammarion-GF, 1985). b. - M. Roques, CFMA, 6 vol., 1951-1963, éd. inachevée: ms du groupe bèta ; 7e et dernier vol. : éd. F. Lecoy, branche XX, CFMA, 1999. c. - E. Méon, 1826: ms du groupe gamma; + éd. N. Fukumoto e.a., 2 vol, Tokyo: France Tosho, 1983-5; réédition-traduction G. Bianciotto, Livre de Poche, Lettres Gothiques. 2005 [ = réédition incomplète: 11 branches sur 23; = 15.000 vers sur 27.000]. Ces trois collections ont en commun les branches du «vrai Renart«. Edition du groupe dit composite : A. Strubel (dir.), Paris : Gallimard, Pléiade, 1998. Quelques études 36 J. Batany, Scène et coulisses du Roman de Renart, Paris: SEDES 1989 R. Bossuat, Le Roman de Renart, Paris: Hatier, 1957, réimpression 1967. A.T. Bouwman, Renart en Reynaert. Het dierenepos Van den vos Reynaerde vergeleken met de Oudfranse Roman de Renart, 2 vol., Amsterdam: Prometheus, 1991. J. Dufournet (réd.), Le goupil et le paysan (Roman de Renart, branche X), Paris: Champion 1990, 260 pp. [9 articles; = branche X éd. Roques = branche IX, du prêtre de la Croix-en-Brie, éd. Martin]. J. Flinn, Le Roman de Renart dans la littérature française et dans les littératures étrangères au moyen âge, Toronto U.P. et Paris: PUF, 1963. L. Foulet, Le Roman de Renard, Paris: Champion, 1914, réimpression 1968. A. Lodge & K. Varty (éd.), The Earliest Branches of the Roman de Renart, Perthshire: Lochee, 1989. J.R. Scheidegger, Le Roman de Renart ou le texte de la dérision, Genève: Droz, 1989. K. Varty, The Roman de Renart, A Guide to Scholarly Work, Lanham (Maryland) & London: The Scarecrow Press, 1998. 37 1.3. les fabliaux cf. Realia: les trois ordres sociologiques (les «classes sociales«) de l'imaginaire féodal: les ecclésiastiques, les chevaliers et les vilains. Ces trois «Etats« se retrouvent comme personnages dans la littérature narrative: - le héros ecclésiastique est le saint dans les hagiographies; - le héros chevaleresque figure dans les chansons de geste et les romans courtois -- et est parodié dans le Roman de Renart; - le vilain a surtout sa place dans les fabliaux. Fabliau: conte à rire en vers octosyllabiques du XIIIe siècle. Genre picard: le mot fabliau est picard ou paysan; en francien on aurait dit fableau. Diminutif de «fable«. Le fabliau et le lai forment le «genre narratif bref« et préfigurent la nouvelle ou la short story. Il est parfois difficile de faire la distinction entre le lai et le fabliau (cf. Equitan de Marie de France), surtout pour certains fabliaux qui ne sont pas vraiment pour rire. Exemples: La Housse partie (?la couverture partagée'), Estula, le Lai d'Aristote, L'écureuil, Le Prestre qui abevete (?qui espionne'). Bédier opposait la poésie des châteaux (les chansons de geste et les romans courtois) à la poésie des carrefours (fabliaux). C'est une belle formule, mais sujette à caution, car les fabliaux -- dans leur forme (ré)écrite -- fonctionnaient surtout dans les milieux courtois. En français ± 150 fabliaux; en néerlandais ± 19 boerden; en allemand ± 200 Schwänke (singulier: Schwank); en anglais un seul fabliau. La plupart des fabliaux ont comme sujet le «triangle érotique«: homme, femme, amant. Beaucoup sont grossiers, obscènes. Quand le prêtre commet l'adultère, il est souvent puni; mais quand l'amant est un jeune clerc, c'est le mari qui est mystifié: cocu, battu et content. Les auteurs étaient sans doute de jeunes clercs. Quelques auteurs connus: Jehan Bodel, Rutebeuf. A la fin du moyen âge, les lais, contes et fabliaux se retrouvent groupés dans des recueils de nouvelles, p.ex. dans - Boccace, Le Décaméron, 10 x 10 nouvelles, 1350; - Geoffrey Chaucer, Canterbury Tales, fin XIVe; - anonyme, Les Cent Nouvelles nouvelles, ± 1460. Après le moyen âge, p.ex.: - XVIe siècle: Marguerite de Navarre, L'Heptaméron, 1559. - XVIIe: La Fontaine, Contes et Nouvelles en vers, 1665-1666. - XVIIIe: marquis de Sade, Historiettes, Contes et Fabliaux, 1788. *** Editions de référence - MR = éd. A. de Montaiglon & R. Raynaud, Recueil général et complet des fabliaux des 38 XIIIe et XIVe siècles, 6 vol., Paris 1872-1890. - NRCF = éd. W. Noomen & N. van den Boogaard, Nouveau recueil complet des fabliaux (NRCF), 11 vol. prévus, Assen: Van Gorcum, 1983-sq. Quelques études J. Bédier, Les fabliaux, Paris: Champion 1893; 5e éd. 1925=1969=1982. P. Nykrog, Les fabliaux, nouvelle éd., Genève: Droz, 1973 R. Dubuis, Les Cent Nouvelles Nouvelles et la tradition de la nouvelle en France au moyen âge, P.U. Grenoble 1973. G. Legman, Rationale of the Dirty Joke, 2 vol., Herts 1972. M.T. Lorcin, Façons de sentir et de penser: les fabliaux français, Paris: Champion, 1979. Ph. Ménard, Les fabliaux, contes à rire du moyen âge, Paris: PUF, 1983. D. Boutet, Les fabliaux, Paris: PUF, 1985. 39 1.3. Aucassin et Nicolette ± 1200 Par qui, pour qui, où, quand exactement? Seul échantillon français de la chantefable: alternance de strophes assonancées et de prose: - «or se cante« - «or dient et content et fablent« (parlé: récit et dialogue). Au total: 41 chapitres: 21 en vers, 20 en prose. Chantefable: entre le narratif et le dramatique; dans une certaine mesure elle a dû être jouée: soit mimée par un jongleur (cf. Courtois d'Arras?), soit jouée par au moins deux acteurs. cf. en général le problème de la dramaticité et de l'oralité. cf. supra: jongleursacteurs; présenter-représenter; «au seuil du dramatique«. Les parties métriques apparaissent comme la raison d'être de la chantefable: la prose est là pour leur fournir la matière indispensable. Prédilection pour le lyrisme. Y a-t-il eu d'autres chantefables? Oui, cf. S.M. Eno Belinga, Découverte des chantefables du Caméroun, Paris: Klincksieck, 1970. Lecture. Sujet: deux jeunes gens, Aucassin et Nicolette s'aiment et n'arrivent à s'épouser qu'après bien des difficultés. Aucassin est le fils du comte de Beaucaire, assiégé par le païen Bougard. Nicolette est une esclave sarrasine convertie. Le père ne veut pas qu'Aucassin l'épouse. Aucassin préfère l'enfer au paradis! Nicolette est enfermée mais elle s'évade. Aucassin va à sa recherche, se démet l'épaule. Nicolette le soigne. Ils vont au royaume de Torelore, un monde à l'envers. Ils sont enlevés sur deux bateaux différents par des pirates, mais Aucassin, après une tempête, échoue à Beaucaire (!) où sont père est mort entre-temps. Nicolette est enlevée par des pirates à Carthage-Carthagène, où il s'avère qu'elle est fille de roi. Elle doit épouser un prince sarrasin, mais s'enfuit, déguisée en jongleur. Arrivée à Beaucaire, elle épouse Aucassin. Burlesque et poétique: - burlesque: ennemi tenu par le nez, royaume de Torelore: le monde à l'envers: la couvade, le roi au lit après l'accouchement [xxix-xxxi] , la femme à la tête des troupes, bataille avec pommes, oeufs et fromages. - poétique: p.ex. le rayon de lune (xxv: Estoilete, je te voi). Le trouvère veut créer, dans les passages en vers, un monde poétique qui double le nôtre et échappe aux contraintes. Payen: Aucassin et Nicolette offusque la morale, dérange le confort intellectuel, bouscule les poncifs: provocation sous un dehors bon enfant. Parodie du style épique e.a. de Bueve de Hantone (1e version, anglo-normande, ± 1200). 40 La subversion se lit déjà dans les noms: le garçon chrétien s'appelle Aucassin, de l'arabe Al-Kaçim (ou du provençal auca, «oie«?); Nicolette la Sarrasine, porte un nom français, chrétien; cf. Nicolette, pourtant Sarrasine, se teint en noir; retrouve à la fin son éclat avec l'esclaire = la chélidoine (qui jaunit! cf. Josiane dans Bueve de Hantone). L'auteur se nomme Viel Antif: du nom du cheval de Roland. L'auteur dit qu'il veut conter pour le plaisir, non pour instruire (v. 2). Style épique: motif du chevalier qui s'arme. Enchaînement de laisses [p.ex. xxvii-xxviii], cf. chansons de geste. Inversion des rôles masculin et féminin: Aucassin est plus passif, plus naïf, il subit. Nicolette est active, va à la recherche de son amant prisonnier (parodie-inversion de Lancelot à la recherche de Guenièvre?). L'amour de la femme assure le salut de l'homme (xviii, 33). Nicolette a l'initiative, le courage. Sa supériorité se montre bien dans la scène de l'évasion [xvi]. Aucassin est un anti-héros: inertie, pleurs et lamentations. Il est aussi un anti-chevalier: il libère l'ennemi mortel de sa famille, l'invite à nuire à son père! Sa bataille est une bouffonnerie (il est trop absorbé par la pensée à son amour). La rencontre avec le bouvier sauvage: cf. Chrétien de Troyes, Yvain, y compris le portrait horrifique. Pastiche du roman idyllique, du type de Floire et Blanchefleur. Langue vivace, pétillante, bon goût dans la dérision et la malice, tendre humour diffus. La fraîcheur de Candide de Voltaire. *** Quelques détails: II Parlé 32 Aucassin ne veut se battre que s'il reçoit Nicolette. Mais après la bataille il ne recevra pas Nicolette: son père a menti. III Or se cante: on répète en versifiant et en chantant l'information de la partie en prose II. On joue ce qui a été dit. III 9 Cartage = Carthagène en Espagne. V Chanté 5-10 descriptio puellae; Nicolette blonde cf. XII 20-30 et vis cler. VI Parlé 30-45: le vicomte a menacé son fils des foudres de l'enfer: célèbre réponse d'Aucassin: En paradis qu'ai je a faire? Irrévérence remarquable dans une culture cléricale: - au paradis on trouve vieux prêtres, handicapés, mendiants, va-nu-pieds; - en enfer on trouve beaux clercs, beaux chevaliers, belles dames courtoises avec deux ou trois amis en plus de leur mari, les riches, les musiciens, les jongleurs, les rois. VIII Parlé 29-40 Aucassin propose un marché à son père: il défendra sa ville s'il peut voir Nicolette 41 le temps de trois paroles et un baiser. X Parlé Le parjure du père: plutôt ingrat, ne tient pas sa promesse. Aucassin se venge en libérant Bougar (le bougre, qui hésite d'abord!) et en l'incitant à guerroyer contre son père. Révolte oedipienne. XI Chanté 12-42: Aucassin se plaint: rappelle l'histoire d'un pèlerin limousin, malade et fou, guéri par la vue de la jambe de Nicolette (vv. 16-31). Parodie des hagiographies. XII Parlé Evasion de Nicolette, une nuit de mai, au chant du rossignol. Fait une corde de draps et de serviettes. 20-30: Nicolette blonde, blancheur de neige! Nicolette sort de Beaucaire, trouve la tour où Aucassin est enfermé, lui parle par une fente (cf. Piramus et Tisbé, XIIe, d'après Ovide): XIII Chanté Elle lui donne une mèche de cheveux. Aucassin pleure. XIV Parlé Dispute: qui aime le plus, l'homme ou la femme? L'auteur joue avec les canons des genres, tensons, planctus, aubades, chansons de geste, motifs féeriques, romans idylliques - connus de son public. Donc un public raffiné, cultivé, clérical. Et probablement jeune? XV Chanté Aubade: avertissement du veilleur. XVI Parlé Nicolette s'enfuit, se blesse. Dans la forêt aux bêtes sauvages: motif féerique. XVIII Parlé Nicolette et les petits bergers, elle leur donne le message codé de la bête dans la forêt. Les bergers irrévérencieux: cf. les pastourelles où ils font un accueil mauvais aux chevaliers. En outre, les bergers croient que Nicolette est une méchante fée. Elle doit payer pour leur service. XX Parlé Aucassin rencontre les bergers. XX 16 souple: "abattu, triste" < supplex "suppliant" au moyen âge pour personne humble. XXII Parlé Aucassin demande aux bergers de répéter la chanson. Ils refusent: ils n'obéissent qu'au comte Garin. Il doit donner dix sous. XXIX Parlé 42 L'horrible bouvier cf. Yvain, description détaillée de la laideur. L'homme sauvage lui reproche ses pleurs. Aucassin lui donne 20 sous. Parodie: Aucassin tombe sur une pierre, se démet l'épaule. XXV Chanté Estoilete je te voi Que la lune trait a soi. Nicolete est aveuc toi... XXVIII Parlé Navire. Tempête. Torelore. Le roi au lit, vient d'être père; la femme fait la guerre: le monde à l'envers. La couvade: = homme qui simule la féminité. Tradition folklorique orale. Attribuée par Strabon aux Ibères, retrouvée chez les Scythes, signalée par Marco Polo, encore dans les tribus indiennes de Guyane (cf. B. Bettelheim, Les Blessures symboliques, Gallimard 1971). La psychanalyse y voit, comme dans beaucoup de rites d'initiation (circoncision...) une recherche et une simulation de la féminité magique et mystérieuse. Ainsi, cette simulation de la féminité dans la couvade est, au niveau narratologique, une mise en abyme du thème principal de l'inversion des rôles sexuels (Nicolette active et Aucassin passif): cf. aussi le travestisme: Nicolette se déguisera en jongleur. XXX Parlé Aucassin choqué bat le roi, abolit l'usage. La reine au combat: avec des pommes waumonnés (blettes, pourries), des oeufs et des fromages frais. XXXI Chanté Aucassin étonné. Qui tombe le plus dans l'eau du gué = le meilleur chevalier: topos du mundus inversus. Allusion possible à Lancelot de Chrétien. XXXII Parlé Aucassin participe au combat, pour de vrai. Le roi lui interdit de tuer! XXXIV Parlé Les deux amants heureux à Torelore. Mais les Sarrasins attaquent. Aucassin et Nicolette prisonniers dans des navires différents. Tempête. 12 Aucassin échoue à Beaucaire: = près de la mer (contrairement à XXVII 15-19)! 16 Il y a 3 ans qu'Aucassin avait quitté Beaucaire. 18 son père et sa mère sont morts entre-temps. Aucassin gouverne maintenant le pays. XXXV Chanté Aucassin règne, pense à Nicolette, mais ne part pas pour la chercher! Le rôle actif est pour Nicolette: contre-pied des traditions romanesques. XXXVIII Parlé Nicolette s'enfuit, se noircit le visage (!) d'une herbe, se déguise en jongleur avec une vielle. Déguisements de femme en homme cf. p.ex. Josiane dans Bueve de Hantone. 43 XL Parlé 37 herbe esclaire = chélidoine: pour redevenir claire! Nicolette reprend des vêtements féminins. XLI Chanté Retrouvailles, épousailles. 25: fin: n'en sai plus dire. *** Bibliographie Sargent-Baur, B.N. & Cook, R.F., Aucassin and Nicolette: A Critical Bibliography, London: Grant & Cutler, 1981. 44 REALIA mediævalia Paul VERHUYCK 45 REALIA mediævalia: aperçu schématique. Introduction Dates: 500-1500 ou 476-1453/1492. Moyen âge:- avant: antiquité gréco-romaine - après: temps modernes; XVIe siècle: Renaissance-Humanisme. Littérature française du moyen âge: 4 siècles: 1100-1500. NB: 842 Serments de Strasbourg; 881 Cantilène de sainte Eulalie. Formation de l'Occident médiéval: 1) antiquité gréco-latine 2) judéo-christianisme; monde de la Bible: Ancien et Nouveau Testament 3) monde germanique. Altérité <--> modernité. Age théocentrique. Langues oc - oil pour dire «oui«: 2 langues. Dialectes, e.a. le francien. Orthographe libre. «Occitan« («ancien provençal«): lyrique des troubadours; amour courtois; croisade contre les Albigeois 1208-1250 (hérésie cathare et inquisition dominicaine). Langues romanes ou néo-latines: cf. substrat / élément de base (le latin) / superstrat. Société a) féodalité: - au sens large: tripartition sociologique imaginaire: 3 «états« ou «ordres«: ceux qui prient, ceux qui se battent, ceux qui labourent la terre. Donc: l'église, la chevalerie, les paysans (vilains); cf. héros de la littérature narrative. - au sens étroit: dans la classe des chevaliers: = la relation ?suzerain / vassal' (système pyramidal). Un fief. Hommage. Vavasseur. b) courtoisie: civilisation de cour. Fin'amor ou amour courtois: service amoureux, «vasselage d'amour«, adultère. c) villes: fin moyen âge, urbanisation, privilèges, bourgeoisie (le «4e état«?), argent, libre concurrence, centralisme (roi + villes). Oralité et diffusion Transmission orale. Traces de l'oralité dans l'écrit. Tradition manuscrite. Copies de copies de copies... Grammaire des fautes. Philologie, établissement d'un stemma codicum (arbre généalogique des manuscrits). Méthodes éditoriales: Lachmann: reconstruire un texte idéal; Bédier: éditer le meilleur manuscrit. Appareil critique avec les variantes. Sciences auxiliaires: e.a. paléographie, codicologie. Parchemin cher: payé par mécène. Papier dès le XIVe siècle. Imprimerie, incunables jusqu'en 1500. Premier livre imprimé en langue française: 1477. nb: importance du latin! Auteurs: clercs, clerici. Culture cléricale (filtre, vernis idéologique). Troubadours, trouvères, jongleurs, ménestrels (Reims, Beauvais): cf. inventio en rhétorique. 46 Public: réception, fonctionnement, mécénat. Horizon d'attente. Religion romaine - Monothéisme. Axe chute/rédemption. Genèse - Apocalypse. EVA-AVE, antiféminisme patristique. - Pape, conciles, clergé (séculier, régulier), 8 croisades (1095-1270), pèlerinages, reliques... - Allégorie: alieniloquium (aliquid dicitur, aliquid significatur). Exégèse biblique, les pères de l'église. Les quatre sens de l'écriture cf. 2e année. Semblance contre senefiance. Histoire Périodisation. Choix. Deux «renaissances« médiévales: - Renaissance carolingienne, IXe siècle; - Renaissance du XIIe siècle. Historiographie: - a) histoire événementielle des dynasties et des batailles; - b) histoire socio-économique; cf. la série `Vie Quotidienne' chez Hachette. - c) histoire des mentalités: la revue «Annales ESC«. Mentalités: imaginaire, «façons de penser et de sentir«. Précurseur Huizinga. Philosophies de l'histoire: 1.- mythe du progrès (translatio studii: «nains sur les épaules des géants«); 2.- décadence constante: nostalgie de l'âge d'or; 3.- histoire cyclique; éternel retour; nil novi sub sole. 4.- immobilisme. Philosophie et théologie Ancien-Nouveau Testament: justice-amour; post legem gratia. Père-fils. Pas d'athéisme. Philosophia ancilla theologiae. Mystique et rationalisme. Bernard et Abélard. Platonisme et aristotélisme. Augustin et Thomas d'Aquin. La querelle des universaux: réalisme, nominalisme, conceptualisme. (La caverne de Platon; Saussure). Enseignement L'église monopolise la scolarité: culture cléricale. Ecoles monastiques, capitales, urbaines. Université = corporation d'étudiants et de professeurs. Bachelier, maître. Première université: Bologne 987. Les sept arts libéraux: le trivium et le quadrivium («lettres et sciences«): - trivium: «les mots«: grammaire, rhétorique, dialectique. Surtout étude de la langue latine. nb: dialectique = logique (p.ex. syllogisme). - quadrivium: «les choses«: arithmétique, géométrie, astronomie, musique. nb: musique céleste, vocale, instrumentale (cf. Boèce). Trivium et quadrivium: sorte de propédeutique à la théologie. 47 Spécialisations: médecine (Salerne, Montpellier); droit (Bologne). Médecine: les 4 princes de la médecine médiévale: Hippocrate, Galien, Avicenne, Averroès. Droit: droit canonique et droit civil. Méthode: lectio et disputatio. Rhétorique Sources principales: Cicéron (- 1er siècle), Quintilien (1er siècle), Donat (4e siècle). Rhétorique: pour faire des discours. Ars poetica. Ars dictaminis, ars praedicandi. Orateur: inventio (arguments, topoi), dispositio, elocutio (style). [memoria, actio]. Texte: exorde, narration, proposition, argumentation, épilogue. Public: but = convaincre, persuader la tête et le coeur. cf. Horace: prodesse et delectare. Utile et dulce. Voir ci-après: exemple: la rhétorique appliquée à la littérature: Geoffroi de Vinsauf, Poetria Nova: descriptio puellae. cf. Chrétien de Troyes, Conte du Graal: Blanchefleur, Demoiselle Hideuse (parodie); cf. Guillaume de Lorris, Roman de la Rose: Dame Oiseuse. PS: La Roue de Virgile. 3 styles: humilis - gravis - mediocris (médian, intermédiaire). 3 oeuvres de Virgile: Bucoliques Énéide - Géorgiques. 3 héros: pastor - miles - agricola; berger - chevalier - paysan. 48 A) Théorie de la description: la règle rhétorique L'Anglais Geoffroy de Vinsauf écrit en latin sa Poetria Nova vers 1200-1210 (éd. E. Faral, Les arts poétiques du XIIe et du XIIIe siècle, Paris 1923, rééd. 1971, pp. 214-215; traduction anglaise M.F. Nims, Toronto 1967, pp.36-37): vv.562-599: «descriptio puellae«: Si tu veux décrire tout à fait la beauté féminine: que le compas de Nature forme d'abord un cercle pour sa tête. Que la couleur de l'or irradie ses cheveux; que les lis fleurissent son front; que la noire beauté de ses sourcils ressemble à la mûre et que ces arcs jumeaux soient entrecoupés par un beau sentier laiteux; que son nez soit droit et régulier, ni trop long ni trop court. Que ses yeux jumeaux, ces sentinelles du front, rayonnent d'une lumière d'émeraude ou d'étoile. Que son visage fasse concurrence à l'aurore, ni rouge ni blanc, mais à la fois les deux ensemble ou aucune des deux couleurs. Que sa bouche resplendisse, petite, comme un demi cercle. Que ses lèvres soient pleines et rondes, mais modérément, qu'elles resplendissent, comme incendiées, mais d'un feu doux. Que ses dents soient blanches comme neige, régulières, toutes de même longueur. Que son haleine ait l'arôme de l'encens. Que Nature, qui est plus forte que l'art, polisse son menton plus que le marbre poli. Que son cou soit une précieuse colonne de marbre laiteux qui porte fièrement son visage. De sa gorge de cristal surgisse une splendeur qui frappe les yeux et dérobe le coeur de celui qui la regarde. Que ses épaules, conformément à la loi (de la beauté), ne descendent pas trop en bas, ni ne s'élèvent comme si elles montaient, mais qu'elles soient régulières. Que ses bras plaisent délicieusement par leur grâce et leur longueur. Qu'une grâce douce et maigre, qu'une forme délicate et lactée, qu'une ligne longue et droite coule dans ses doigts fuselés: que ses belles mains s'en enorgueillissent. Que sa poitrine, image de la neige, montre côte à côte les mamelles, ces deux bijoux virginaux. Que sa taille soit serrée, si svelte qu'une main puisse l'entourer. Je me tais sur les parties inférieures, car l'âme en parle mieux que la langue. Que sa jambe soit d'une longueur gracieuse. Que son pied merveilleusement menu se réjouisse de sa petitesse. Que la splendeur descende ainsi de la tête jusqu'aux pieds et que le tout soit poli jusqu'à la perfection. B) Pratique: la description en littérature 1.- Chrétien de Troyes, Perceval ou le Conte du Graal, + 1184-1190 (éd. W. Roach, Genève-Paris 1959, pp. 53-54; traduction française L. Foulet, Paris 1974): vv.1810-1829: description de Blanchefleur: Ses cheveux flottaient sur ses épaules, et qui les eût vus, eût bien cru qu'ils fussent d'or fin, tant le blond en était lustré et chatoyant; le front blanc, haut, uni, comme taillé dans le marbre, l'ivoire ou un bois précieux, les sourcils brunets, un large entr'oeil, les yeux vairs, bien fendus, riants et clairs, le nez droit et franc; et en son visage le vermeil assis 49 sur le blanc lui seyait mieux que sinople1 sur argent. Pour ravir le sens et le coeur des gens, Dieu avait fait d'elle la merveille des merveilles. Jamais encore il n'en avait créé de semblable; plus jamais il n'en devait créer. (traduction Foulet p. 47) 2.- Chrétien de Troyes, Perceval...: vv. 4614-4632: parodie: description de la Demoiselle Hideuse: ...sur son dos, deux tresses noirâtres et tordues à contre-poil. A en croire le livre, jamais créature plus souverainement laide ne s'est montrée même en enfer. Jamais vous ne vîtes métal si grisâtre que son cou et ses mains ne le fussent davantage. Mais c'est encore peu de chose auprès du reste. Ses yeux étaient de simples creux, pas plus gros que des yeux de rat, son nez tenait du chat et du singe, ses lèvres de l'âne et du boeuf, des dents comme du jaune d'oeuf, tant elles étaient rousses, une barbe qui était celle d'un bouc. Au milieu de sa poitrine pointait une bosse, l'échine semblait crochue... (traduction Foulet, pp.109-110) 3.- Guillaume de Lorris, Roman de la Rose, + 1230 (éd. F. Lecoy, 3 vol., Paris 1970: vol. 1er; cf. traduction française A. Lanly, 5 vol., Paris 1973-1975: vol. 1er): vv. 523-548: description de Dame Oiseuse: ...une pucelle qui était gentille et belle. Elle avait les cheveux blonds comme un bassin (de laiton), la chair plus tendre qu'un poussin, le front reluisant, les sourcils arqués. L'espace entre les yeux n'était pas petit, mais assez grand, modérément. Elle avait le nez droit et bien fait et les yeux vairs comme un faucon, pour faire envie aux coquins. Elle avait l'haleine douce et parfumée, la face blanche et colorée, la bouche petite et charnue; alle avait une fossette au menton. Son cou avait de bonnes dimensions, sa chair était plus douce qu'une toison: il n'y avait ni bouton ni ulcère. D'ici à Jérusalem il n'y avait aucune femme qui eût un plus beau cou: il était lisse et doux au toucher. Sa gorge était aussi blanche que la neige sur la branche quand il vient de neiger. Elle avait le corps bien fait et délicat; il ne faudrait en nulle terre chercher un corps féminin plus beau. 1 sinople : (couleur héraldique): rouge (au moyen âge); maintenant: vert! : vin rouge épicé. 50

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