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Londres, Au bagne (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Londres, Au bagne (extrait). En 1923, Albert Londres part en Guyane française enquêter sur la colonie pénitentiaire de Cayenne. Son témoignage, Au bagne, est une condamnation sans appel des travaux forcés et de l'administration pénitentiaire coloniale. Ce reportage conduit, en 1924, à la suppression du bagne guyanais et à la décision de rapatrier tous les bagnards en métropole (les établissements eux-mêmes ne seront définitivement fermés qu'en 1946). Dans cet extrait, « Le camp «, Albert Londres brosse un portrait d'ensemble de Cayenne. Au Bagne d'Albert Londres Le camp L'après-midi, j'allai au camp. Il faut vous dire que nous nous trompons en France. Quand quelqu'un -- de notre connaissance parfois -- est envoyé aux travaux forcés, on dit : il va à Cayenne. Le bagne n'est plus à Cayenne, mais à Saint-Laurent-du-Maroni d'abord et aux îles du Salut ensuite. Je demande, en passant, que l'on débaptise ces îles. Ce n'est pas le salut, là-bas, mais le châtiment. La loi nous permet de couper la tête des assassins, non de nous la payer. Cayenne est bien cependant la capitale du bagne. Si un architecte urbaniste l'avait construite, on pourrait le féliciter, il aurait réellement travaillé dans l'atmosphère. C'est une ville désagrégeante. On sent qu'on serait bientôt réduit à rien si on y demeurait et qu'on croulerait petit à petit comme une falaise sous l'action de l'eau. On erre dans ses rues tel un veuf sincère qui revient du cimetière. Il semble que l'on ait tout perdu. Comme oiseaux, il n'y a que des urubus. C'est beaucoup plus gros que le corbeau et beaucoup plus dégoûtant que le vautour. Et cela se dandine entre vos jambes et refuse de vous céder le trottoir. Et ils vous suivent comme si vous aviez l'habitude de laisser tomber des morceaux de viande pourrie sur votre chemin. Enfin, me voici au camp ; là, c'est le bagne. Le bagne n'est pas une machine à châtiment bien définie, réglée, invariable. C'est une usine à malheur sans plan ni matrice. On y chercherait vainement le gabarit qui sert à façonner le forçat. Elle les broie, c'est tout, et les morceaux vont où ils peuvent. Matelots, « garçons de famille «, porte-clés et autres combinards ne doivent pas faire illusion. La Guyane n'est d'ailleurs pas pour eux la vallée des Roses. Être condamné à laver, à servir, à vidanger -- à l'oeil et avec le sourire -- ne correspond probablement pas aux rêves de jeunesse de ces messieurs. À côté, il y a les autres, les non-pistonnés, les antipathiques, les rebelles, les « pas-de-chance «. Il y a la discipline incertaine mais implacable. Selon l'humeur, un vilain tour ne coûtera rien à son auteur ; le lendemain, l'homme ramassera une mangue, don de la nature au passant : ce sera le blockhaus. Un réflexe, ici est souvent un crime. Il y a qu'ils ne mangent pas à leur faim ; l'esprit peut se faire une raison, l'estomac jamais. Il y a les fers, la nuit, pour beaucoup, dans les cases ! Qu'ils en aient chacun d'après son mérite, ce n'est pas ce que nous discutons, mais qu'ils soient venus sur terre pour dormir cloués à une planche, on ne peut dire cela. Plus de neuf mille français ont été rejetés sur cette côte et sont tombés dans le cercle à tourments. Un millier à su ramper et s'est installé sur les bords, où il fait moins chaud ; les autres grouillent au fond comme des bêtes n'ayant qu'un mot à la bouche : le malheur ; une idée fixe : la liberté. Source : Albert Londres, Au bagne, Paris, Le Serpent à Plumes, 1998. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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