Devoir de Philosophie

Qu'est-ce que les Lumières ? (Aliéna cinquième). KANT

Publié le 17/04/2009

Extrait du document

kant
Qu'est-ce que les Lumières ? (Aliéna cinquième). KANT [5] " Or rien n'est exigé en vue de ces Lumières que la liberté; et même la liberté la plus innocente qui soit parmi tout ce qui est susceptible de porter le nom de liberté ; à savoir la liberté de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines. Mais j'entends à présent crier de toutes parts : " Ne raisonnez pas! ". L'officier dit " Ne raisonnez pas, mais faites l'exercice! " Le percepteur " Ne raisonnez pas, mais payez! " Le prêtre : " Ne raisonnez pas, mais croyez! " (Il n'y a qu'un seul maître au monde qui dise : " Raisonnez autant que vous voulez, et sur tout ce que vous voulez; mais obéissez! ") Dans tous les cas, il y a restriction de la liberté. Mais quelle restriction est un obstacle aux Lumières? Laquelle n'en est pas un, mais peut même leur être favorable? - Je réponds : l'usage public de notre raison doit être constamment libre, et lui seul peut établir les Lumières parmi les hommes ; son usage privé peut en revanche être souvent très étroitement limité, sans pour autant être un obstacle notable aux progrès des Lumières. Or j'entends par usage public de notre propre raison celui que l'on en fait en tant que savant devant l'ensemble du public que constitue le monde des lettrés. J'appelle usage privé celui que l'on est autorisé à faire dans un certain poste civil, ou une fonction, qui nous est confiée. Or, pour maintes affaires qui concernent l'intérêt de la république, un certain mécanisme est nécessaire, en vertu duquel quelques membres de la république doivent se comporter de manière purement passive, afin d'être, moyennant une unanimité artificielle, dirigés par le gouvernement vers des fins publiques, ou du moins d'être empêchés d'anéantir ces fins. Dans ce cas, il n'est, en effet, pas permis d'ergoter; mais l'on doit nécessairement obéir. Mais, dans la mesure où cette partie de la machine se considère en même temps elle-même comme membre d'une république entière, voire de la société cosmopolitique, et, par conséquent, en sa qualité de savant qui s'adresse par des écrits à un public au sens propre du terme, elle peut, en effet, raisonner sans que les affaires auxquelles elle est partiellement vouée en tant que membre passif en souffrent. il serait ainsi très pernicieux qu'un officier, qui a reçu un ordre de ses supérieurs, veuille dans le cadre de son service ratiociner à haute voix sur la convenance ou l'utilité de cet ordre; il doit obéir. Mais on ne saurait à bon droit l'empêcher, en tant que savant, de faire des remarques sur les fautes commises dans l'art de la guerre ou le service des armes et de les soumettre au jugement de son public. Le citoyen ne peut refuser de payer les impôts auxquels il est soumis; une réprobation impertinente de tels impôts faite au moment où il doit s'en acquitter peut même être punie comme un scandale (qui pourrait entraîner des actes de désobéissance généralisés). Toutefois, le même individu n'agit pas à l'encontre de son devoir de citoyen, s'il exprime publiquement ses réflexions sur l'inopportunité, voire l'iniquité de telles impositions. De même, un prêtre est astreint à faire son exposé à ses catéchumènes et à sa paroisse selon le symbole de l'Église qu'il sert; car c'est à cette condition qu'il a été admis. Mais, en tant que savant, il a pleine liberté et même vocation de communiquer au public toutes ses réflexions soigneusement éprouvées et bienveillantes concernant les déficiences de ce symbole, en vue d'une meilleure organisation des affaires religieuses et ecclésiales. Il n'y a rien ici qui puisse être un poids pour sa conscience. Car, ce que, comme mandataire de l'Église, il enseigne du fait de ses fonctions, il le présente comme quelque chose qu'il n'a pas libre pouvoir d'enseigner comme bon lui semble, mais que son emploi lui enjoint d'exposer d'après des prescriptions et par procuration. Il dira : " Notre Église enseigne ceci ou cela ; voici les arguments dont elle se sert. " Il tirera ensuite, pour sa communauté, tous les avantages pratiques de dogmes auxquels il ne souscrirait pas lui-même en toute conviction, mais qu'il peut néanmoins s'engager à exposer, parce qu'il n'est pas totalement impossible qu'ils contiennent une vérité cachée, et qu'en tout cas, il ne s'y trouve du moins rien qui contredise la religion intérieure. Car s'il croyait y trouver quelque chose de semblable, il ne pourrait exercer sa fonction en toute conscience; il devrait nécessairement démissionner. L'usage, par conséquent, qu'un éducateur officiel fait de sa raison devant sa communauté n'est qu'un usage privé; parce que celle-ci n'est jamais qu'une réunion de famille, aussi importante soit-elle ; et, à cet égard, en tant que prêtre, il n'est pas libre, et il ne lui est pas non plus permis de l'être, car il exécute une tâche imposée. En revanche, en tant que savant qui parle par des écrits au public proprement dit, à savoir au monde, et donc comme ecclésiastique faisant un usage public de sa raison, il jouit d'une liberté sans restriction de se servir de sa propre raison et de parler en son nom propre. Car, dire que les tuteurs du peuple (s'agissant des questions spirituelles) doivent être à leur tour mineurs, c'est là une aberration qui revient à perpétuer les aberrations. "

Or cette liberté appelée des voeux de Kant est à définir ou plutôt à circonscrire. En effet il ne s'agit pas de licence débridée ou de jouissance démesurée. La liberté n'est pas l'absence de limites, le " faire " ou le " dire ce que l'on veut ", l'anarchie de la parole mais l'acceptation de limites qu'on s'est soi-même prescrites.

DIRECTIONS DE RECHERCHE • En quoi les hommes sont-ils affranchis depuis longtemps d'une direction étrangère par la nature (selon Kant) ? • Pourquoi l'homme est-il responsable de sa minorité (selon Kant) ? • Qu'est-ce qui explique, selon Kant, « qu'un si grand nombre d'hommes... restent... leur vie durant, mineurs « ? • Comment penser à la fois que des hommes puissent se poser en tuteurs (d'un si grand nombre d'hommes) et que l'homme sort de sa Minorité ? — Si les Lumières c'est la sortie de l'homme de sa Minorité qu'est-ce qui peut expliquer ce phénomène? Peut-on l'expliquer sur la base des explications que donne Kant de la minorité du plus grand nombre ? — Les Lumières : cela désigne-t-il un phénomène historique ou un fait psychologique ? • Que pensez-vous de la position de Kant ? • Sa problématique est-elle toujours actuelle ? • En quoi ce texte peut-il avoir un intérêt proprement philosophique ?

kant

« Je peux et doit jouir d'une entière liberté en tant que membres d'un État, que " citoyen ", je me dois d'obéir à l'Étatet à ses prescriptions.

Le savant est comme tout homme lié à un devoir d'obéissance en politique sans quoi le genrehumain retournerait à la barbarie de l'état de nature avec la dissolution des institutions de la république (la chosepublique).

Ici, ajoute Kant " un certain mécanisme est nécessaire " c'est-à-dire que l'homme se doit d'obéirpassivement et non faire valoir activement sa critique à l'égard de ces institutions politiques.

Socrate, condamné àmort par la cité, refuse la proposition d'invasion que lui propose son vieil ami Criton pour montrer son allégeance à unpouvoir – certes temporel et injuste – mais garant de la cohésion entre les citoyens. Les exemples fournis par Kant sont d'une exceptionnelle clarté et aident à mieux comprendre la distinction qu'il opèreet la nécessité de voir l'usage privé de la raison restreint.

Le premier est d'ordre militaire.

Un officier aurait tort dediscuter, de " ratiociner " sur les ordres qu'on lui transmet se serait à coup sûr une insoumission aux funestesconséquences.

Il doit, il est obligé de par sa charge et ses responsabilités d'obtempérer.

L'usage privé de sa raisonest ainsi restreint.

Mais en tant qu'homme rationnel, que " savant " en polémologie, il peut bien plus il doit faire àtous (ses supérieurs y compris) part de ses vues sur le meilleur parti à prendre pour, par exemple, remporter lavictoire sur l'ennemi.

Il doit faire un usage public de sa raison.

Ici, Kant transpose la distinction opérée par Rousseaudans son " Contrat social " entre l'homme comme " sujet ", soumis à la loi et comme " citoyen ", c'est-à-dire "créateur " de cette même loi.

" Cette personne publique qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres prenaitautrefois le nom de Cité , et prend maintenant celui de République ou de corps politique, lequel est appelé par sesmembres État quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables.

Al'égard des associés ils prennent collectivement le nom de Peuple, et s'appellent en particulier citoyens commeparticipants à l'autorité souveraine, et sujets comme soumis aux lois de l'État.

Mais ces termes se confondentsouvent et se prennent l'un pour l'autre; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employés dans toute leurprécision.

" (Livre I, chapitre 6) Le second exemple, plus proche de nous, est encore plus éclairant. Assurément chacun proteste et peste devant sa feuille d'imposition.

Soulignons en passant que personne ne seprive toutefois d'utiliser les commodités que l'Etat met à sa disposition… Mais si les citoyens décidaient de ne pluspayer leur taxe on imagine les conséquences chaotiques d'une telle " désobéissance généralisée " : impossibilité depouvoir faire régner l'ordre public, de venir en aide aux plus défavorisés, de dispenser un enseignement pour tous…Donc il est clair aux yeux de Kant qu'il faut s'acquitter de ses impôts en tant que simple contribuable.

Or, en tantque citoyen il est aussi de son devoir d'exposer publiquement son désaccord avec le politique et sa gestion fiscaleet de tenter par exemple de mieux répartir les richesses au sein de la société.

Le fait de payer n'est pas uneabdication de son pouvoir critique mais au contraire la marque d'une citoyenneté assumée et responsable etl'individu pourra acquérir sa pleine dimension de membre actif d'un Etat en signalant les incohérence d'une politiqueen faisant un usage public de sa raison. Ainsi, les " Lumières " dont la maxime est " Ose te servir de ton propre entendement " n'a pas à craindre bien aucontraire de voir la " raison privée " limitée par la force publique.

Elle y gagne au contraire la possibilité d'une plusgrande efficacité, de même que l'on se fait mieux entendre dans un silence attentif des autres que dans lebrouhaha, la cacophonie généralisée.

En revanche, une limitation de l'usage public de la raison engendrerait uneinacceptable ruine des Lumières puisque c'est la dignité, la qualité intrinsèque humaine que l'on sape à la racine nousreviendront sur ce point sous peu. En guise de troisième exemple et pour clore ce cinquième alinéa, est posé le problème des dogmes religieux etl'attitude à tenir pour un " ecclésiastique " afin de concilier raison éclairée et foi aveugle. Ne reproche-t-on pas – à tort ou à raison - à l'Église d'entraver l'épanouissement rationnel de ses croyants ? N'est-elle pas une force d'inertie elle-même enfermée dans des contradictions insolubles et des articles de foi absurdes ?Dans une telle institution comment concilier l'aspiration légitime à la liberté et à la réflexion ainsi que la soumission àune Autorité soupçonneuse ? Et à Kant de montrer que les charges des fonctionnaires de l'Église n'exclut pas la critique envers le " symbole "(formule en laquelle l'Église émet sa foi) pourvu qu'on maintienne la distinction entre usage public et usage privé dela raison. Si un " prêtre " se doit de respecter et d'enseigner à ses paroissiens les lignes de la foi, du catéchisme de sonEglise, il lui est aussi permis, en tant que " savant ", théologien, d'exposer les certitudes de sa foi intérieure.

Et si unabîme sépare cette dernière de la foi institutionnelle, il devra se défaire de ses charges en démissionnant.

Acte decourage d'un homme ayant fait un pas hors d'une minorité sclérosante : " Il tirera ensuite, pour sa communauté,tous les avantages pratiques de dogmes auxquels il ne souscrirait pas lui-même en toute conviction, mais qu'il peutnéanmoins s'engager à exposer, parce qu'il n'est pas totalement impossible qu'ils contiennent une vérité cachée, etqu'en tout cas, il ne s'y trouve du moins rien qui contredise la religion intérieure.

Car s'il croyait y trouver quelquechose de semblable, il ne pourrait exercer sa fonction en toute conscience; il devrait nécessairement démissionner.

" Mais il ne s'agit pas pour Kant de faire l'éloge de l'athéisme.

On sait l'éducation maternelle qu'il a reçu et on connaîtses écrits en faveur d'une religion rationnelle (cf.

texte joint), son dessein est tout au contraire de montrer quel'une l'autre ne s'excluent pas et bien plus peuvent se rejoindre sur des thèses communes.

Le combat kantien n'est. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles