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A Madame du Châtelet - François-Marie Arouet de Voltaire - L'Amitié (A cideville (le 11 juillet)

Publié le 01/04/2011

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SI vous voulez que j’aime encore, Rendez-moi l’âge des amours; Au crépuscule de mes jours Rejoignez, s’il se peut, l’aurore. Des beaux lieux où le dieu du vin 5 Avec l’Amour tient son empire, Le Temps, qui me prend par la main, M’avertit que je me retire. De son inflexible rigueur Tirons au moins quelque avantage. 10 Qui n’a pas l’esprit de son âge De son âge a tout le malheur. Laissons à la belle jeunesse Ses folâtres emportements: Nous ne vivons que deux moments; 15 Qu’il en soit un pour la sagesse. Quoi! pour toujours vous me fuyez, Tendresse, illusion, folie, Dons du ciel, qui me consoliez Des amertumes de la vie! 20 On meurt deux fois, je le vois bien: Cesser d’aimer et d’être aimable, C’est une mort insupportable; Cesser de vivre, ce n’est rien. Ainsi je déplorais la perte 25 Des erreurs de mes premiers ans; Et mon âme, aux désirs ouverte, Regrettait ses égarements. Du ciel alors daignant descendre, L’Amitié vint à mon secours; 30 Elle était peut-être aussi tendre, Mais moins vive que les Amours. Touché de sa beauté nouvelle, Et de sa lumière éclairé, Je la suivis; mais je pleurai 35 De ne pouvoir plus suivre qu’elle. 

Si, pour les raisons que nous avons indiquées, Voltaire a peu réussi dans ce qu'on a coutume d'appeler la « Haute Poésie «, il a par contre excellé dans la Poésie légère : Satires, Épigrammes, Épîtres, il a prodigué dans ces petites œuvres ses dons étincelants, l'esprit souvent mordant, la finesse, l'amabilité enjouée ou malicieuse. Quelquefois aussi, il y a fait preuve d'une sensibilité discrète mais délicate. C'est le cas dans cette page. On y découvre un Voltaire assez différent de celui qui apparaît dans ses grandes œuvres : un cœur qui se livre avec délicatesse, un esprit qui se plaît aux jeux de l'imagination, une virtuosité qui, sans chercher l'effet, retient pourtant l'attention par sa maîtrise.

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« ni un lyrique aussi puissant, ni un chrétien tourmenté par le remords.

Il se borne à tirer de la fuite du temps uneleçon de sagesse (vers 10) et le regret de son passé ne lui inspire ni inquiétude, ni désespoir.

Mais l'accent de sesvers n'en est pas moins sincère.

Comme l'avait fait La Fontaine (Les Deux amis), il avait déjà écrit en 1729 dans sonPoème aux Mânes de Monsieur de Génonville : Malheureux dont le cœur ne sait pas comme on aime Et qui n'ont point connu la douceur de pleurer.

On retrouve ici cette sensibilité.

D'autre part, son épicurisme délicats'attarde à évoquer le passé avec une mélancolie voilée d'amertume qui nous rappelle le vers de La Fontaine : « Ai-je passé le temps d'aimer?» A l'époque où Voltaire écrit, cette mélancolie est assez rare, surtout dans son œuvre.Elle n'en est que plus émouvante. II.

— L'imagination de Voltaire Pour exprimer ces sentiments, Voltaire fait encore appel à quelques procédés d'expression : l'inversion (vers 5, 27,29, 34), la périphrase (Le dieu du vin) et les allégories (l'Amour, le Temps, l'Amitié), mais il n'en abuse pas comme ill'avait fait dans son poème épique où il croyait ces procédés nécessaires.

Nous n'avons plus ici ni des souvenirsantiques, ni des comparaisons mythologiques, ni même de mots prétendus poétiques parce que différents de lalangue habituelle.

En revanche, Voltaire s'est plu à éclairer son vers de quelques images : la vie comparée à unejournée dont la jeunesse est l'aurore et l'âge mûr, le crépuscule (nous retrouverons cette image dans La Jeunecaptive d'André Chénier), la rigueur du Temps qui prend le poète par la main et l'invite à renoncer aux plaisirs(m'avertit que je me retire, c'est-à-dire m'invite à me retirer), l'idée que renoncer à l'amour est une mort, encoreplus insupportable que l'autre.

Toutes ces comparaisons auraient pu être développées.

Voltaire se contente de lessuggérer.

Mais leur sobriété n'en est pas moins expressive.

Elle prouve que, si Voltaire est un philosophe, il a ausside l'imagination, une imagination toujours surveillée par le goût.

III.

— La virtuosité de Voltaire Ce poème n'est pas présenté en strophes parce que les vers 5 à 8 (strophe 2), 17 à 20 (strophe 5, 25 à 28(strophe 7) et 29 à 32 (strophe 8) sont en rimes croisées au lieu d'être, comme les autres, en rimes embrassées.Mais cette alternance non régulière donne au développement un mouvement plus varié.

Voltaire sait, d'autre part,mettre en relief certains mots, soit en les plaçant à l'hémistiche (un au vers 16, mort au vers 23), soit en variant lescoupes (Le Temps au vers 7, De son âge au vers 12, Laissons au vers 13), soit même en utilisant le rejet (erreurs v.26) ou le contre-rejet (je pleurai v.

35).

A cette virtuosité métrique Voltaire sait allier l'art de dégager en verssimples des idées générales qui, tout en exprimant sa pensée, se gravent dans l'esprit comme la leçon qu'on doitretenir de sa «méditation » : vers 11 et 12.

Sans rhétorique ni ornements superflus, Voltaire, par la juxtaposition dephrases courtes où l'emploi et la variété des temps s'adaptent aux idées et aux sentiments (les présents, lesimparfaits et les passés simples s'opposent les uns aux autres), donne à son poème un ton serein qui convient à ladélicatesse de son inspiration, sans nuire aux demi-teintes de sa mélancolie. Pour toutes ces raisons, ce petit poème est une parfaite réussite.

On peut s'étonner que le poète se soit contentéde l'insérer, comme négligemment, dans une lettre à son ami Cideville, datée de Bruxelles le 11 juillet 1741.

C'estqu'il attachait moins d'importance à ces petites compositions qu'à des œuvres plus ambitieuses.

Aujourd'hui, aucontraire, nous lisons ces «poésies légères » avec beaucoup plus d'intérêt.

Voltaire s'y montre un heureux émule desHorace et des La Fontaine.. »

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