Le mal est-il l'objet artistique par excellence ?
Publié le 05/01/2013
Extrait du document
beau en laid et de bien en mal, l'artiste devient totalement autonome à l'égard de la morale. Il ne suffit pas
de dire qu'il créé ses propres valeurs : l'art devient la représentation d'idéaux puisé dans le réel. Ainsi la
réalité est dépeinte selon les humeurs qui l'habitent ; l'humour, le cynisme, la tristesse, la joie, la beauté,
la laideur, le diabolique, le divin, deviennent tous des perles subtiles et précieuses sous l'aile d'Apollon.
Elles apparaissent sous la plume d'un Rabelais, d'un Molière, d'un Chateaubriand, d'un Vian, d'un
Verlaine, d'un Baudelaire, d'un Sade ou d'un Voltaire. L'art est libre, sa finalité essentielle est de faire
surgir les valeurs de l'artiste telles qu'il les conçoit et les entend.
Si l'art n'est pas la représentation d'une belle chose, mais la belle représentation d'une chose, comme le
dit Kant, ne pouvons-nous pas affirmer qu'il est par-delà le bien et le mal ? L'artiste ne cherche pas
nécessairement à prôner quelconque valeur, il cherche à esthétiser les choses qui le touchent ou
l'habitent. En effet l'art est le moyen de décharger toute une personnalité en oeuvres. En réalité, il ne
prend guerre en compte la morale. Ce serait le mutiler que de le restreindre à quelconque vertu et à la
morale tout court. Nous ne trouvons pas de moralité à la vue du Bleu de Klein, ni plus à l'écoute d'un
morceau de
«
confondre avec la réalité.
Quel échec s'il représentait le mal ! L'homme le prendrait pour vrai et le
mimerait si bien qu'il s'enfoncerait dans sa condition aveugle et déplorable au lieu de tendre vers le
monde des idées.
Du point de vue physico-théologique, le Souverain Bien, Dieu, a créé une nature parfaite.
L'art doit être la
célébration de cette perfection, il doit atteindre la pureté de la nature divine.
L'académisme impose des
codes et des canons de beauté, afin que l'art soit le plus moral possible en représentant des natures
divines, des paysages, … Ainsi Mantegna peignit le martyr Saint Sebastien.
Les couleurs de la peinture
sont claires et pures comme les cieux ; occupant presque tout l'espace, le corps du saint, criblé de
flèches, reste ferme et stoïque; son regard est levé vers le Divin.
Cette peinture célèbre la bravoure de
Saint Sébastien et son amour illimité pour le Seigneur.
Voilà ce qui est attendu de l'art : il doit être une
marche vers la perfection divine.
Outre toute transcendance, l'art est un appel à la subjectivité émotionnelle.
Certes, mais toute subjectivité
n'est pas bonne.
La raison doit être première, et celle là a conscience de ce qui est bon.
Il n'y a que l'être
rationnel qui peut avoir la bonne sensibilité de savoir ce qui est beau et bon.
Aussi le bon art est-il celui
qui est bon.
L'association bien-beau
ne dépend pas réellement de l'objet mais de la sensibilité personnelle d'un sujet : le beau est relatif mais
le bon est universel.
Toutefois, l'art doit toujours suivre cette unité sans laquelle il deviendrait infâme voire
vulgaire.
Il n'y a goût artistique que lorsque l'objet d'art inspire la bonté, il émeut et nous fait voguer dans
la contemplation du beau et du bien.
Ce jugement de goût est désintéressé, dit Kant, il est une sensation
unique qui dépend de la bonne morale commune à tous les sujets doués de raison : c'est la subjectivité
universelle.
L'art est alors une cartharsis, il purifie les passions pour la contemplation désintéressée du
beau et du bien.
D'ailleurs, Aristote réhabilite ainsi l'artiste critiqué par Platon en montrant que la tragédie
obéit à une finalité moraliste : elle met en scène pathos et phobos pour nous
nous en délivrer dans la vie réelle.
Quand la tradition s'accorde à dire que ce qui est beau est bon, ils se rencontrent certains artistes qui
dépeignent le mal.
Ainsi, pendant le procès de Madame Bovary, Flaubert a défendu son ouvrage en
jurant qu'il était un contre exemple à donner aux jeunes filles afin de les prévenir contre le désastre de
l'adultère.
Mais comment pourrions nous croire cette si bonne volonté quand les traits de la fautive sont si
soigneusement dépeints, quand on décèle parmi les descriptions
des scènes érotiques, ou encore quand les « bons » personnages nous font mourir d'ennui.
Contre cette
tradition moraliste, l'art n'a-t-il pas comme vocation le mal ?
La douleur est un point tangible de la vie, et certainement de la nature.
Elle même n'a-t-elle pas
représenté ces affres dans les traits de ses créatures ? Que le vieillard ait l'emprunte de la douleur dans
ses sourcils, dans les yeux et sa bouches pendants ; que le fautif ait le regard troublé par le tourment et
les lèvres brinquebalées par la malice ; que le malade ait la tête boursoufflée et la peau jaunie ; le mal
oeuvre sur les créatures.
Alors la sensibilité, subjective certes, mais souvent tourmentée, est
légitimement tournée vers le mal.
Que l'artiste en pâtisse ou que le spectateur aime à « montrer le
monstre », l'art regorge d'oeuvres sur l'immondice.
Simplement, l'art n'est pas la représentation d'une
belle chose, mais la belle représentation d'une chose (Kant).
Ainsi ne somme-nous pas ému à la lecture
d'Une charogne autant que l'était Baudelaire à la vue de cette créature ?
La vie est la finitude.
L'humanité est en proie à l'angoisse de la mort, de la fuite du temps et de l'espace
limité par le corps.
Ce mal métaphysique est la source de la souffrance et de la turpitude.
Voilà une
source d'inspiration capitale pour l'artiste, comme nous pouvons le constater
à la lecture d'Apollinaire « Sais -je où s'en iront tes cheveux/Crépus comme mer qui moutonne/Sais-je où
s'en iront tes cheveux/Et tes mains feuilles de l'automne/Que jonchent aussi nos aveux » (« Marie » du.
»
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