Devoir de Philosophie

MALEBRANCHE: L'empire des passions s'étend aux choses spirituelles.

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

malebranche
... C'est une des lois de l'union de l'âme avec le corps que toutes les inclinations de l'âme, même celles qu'elle a pour les biens qui n'ont point de rapport au corps, soient accompagnées des émotions des esprits animaux qui rendent ces inclinations sensibles; parce que l'homme n'étant point un esprit pur, il est impossible qu'il ait quelque inclination toute pure sans mélange de quelque passion petite ou grande. Ainsi l'amour de la vérité, de la justice, de la vertu, de Dieu même, est toujours accompagné de quelques mouvements d'esprits qui rendent cet amour sensible.... Les idées des choses qui ne peuvent être aperçues que par l'esprit pur pouvant donc être liées avec les traces du cerveau, et la vue des objets que l'on aime, que l'on hait, que l'on craint par une inclination naturelle, pouvant être accompagnée du mouvement des esprits, il est visible que la pensée de l'éternité, la crainte de l'enfer, l'espérance d'une félicité éternelle, quoique ce soient des objets qui ne frappent point les sens, peuvent exciter en nous des passions violentes. Ainsi nous pouvons dire que nous sommes unis d'une manière sensible non seulement à toutes les choses qui ont rapport à la conservation de la vie, mais encore aux choses spirituelles auxquelles l'esprit est uni immédiatement par lui-même. Il arrive même très souvent que la foi, la charité et l'amour-propre rendent cette union aux choses spirituelles plus forte que celle par laquelle nous tenons à toutes les choses sensibles. L'âme des véritables martyrs était plus unie à Dieu qu'à leurs corps; et ceux qui meurent pour soutenir une fausse religion qu'ils croient vraie, font assez connaître que la crainte de l'enfer a plus de force sur eux que la crainte de la mort. Il y a souvent tant de chaleur et d'entêtement de part et d'autre dans les guerres de religion et dans la défense des superstitions, qu'on ne peut douter qu'il n'y ait de la passion, et même une passion bien plus ferme et plus constante que toutes les autres, parce qu'elle est soutenue par les apparences de la raison aussi bien dans ceux qui sont trompés que dans les autres. Nous sommes donc unis par nos passions à tout ce qui nous paraît être le bien ou le mal de l'esprit comme à tout ce qui nous paraît être le bien ou le mal du corps. Il n'y a rien que nous puissions connaître avoir quelque rapport avec nous qui ne soit capable de nous agiter; et de toutes les choses que nous connaissons, il n'y en a aucune qui n'ait quelque rapport avec nous. Nous prenons toujours quelque intérêt dans les vérités même les plus abstraites lorsque nous les connaissons, parce qu'au moins il y a ce rapport entre elles et notre esprit que nous les connaissons. Elles sont nôtres pour ainsi dire par notre connaissance. Nous sentons qu'on nous blesse lorsqu'on les combat; et si l'on nous blesse, il est certain que l'on nous agite et que l'on nous inquiète. Ainsi les passions ont une domination si vaste et si étendue, qu'il est impossible de concevoir aucune chose à l'égard de laquelle on puisse assurer que tous les hommes soient exempts de leur empire. MALEBRANCHE

Liens utiles