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MALEBRANCHE et l'erreur

Publié le 08/05/2005

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malebranche
Mais quand nous supposerions l'homme maître absolu de son esprit et de ses idées, il serait encore nécessairement sujet à l'erreur par sa nature. Car l'esprit de l'homme est limité, et tout esprit limité est par sa nature sujet à l'erreur. La raison en est, que les moindres choses ont entre elles une infinité de rapports, et qu'il faut un esprit infini pour les comprendre. Ainsi un esprit limité ne pouvant embrasser ni comprendre tous ces rapports quelque effort qu'il fasse, il est porté à croire que ceux qu'il n'aperçoit pas n'existent point, principalement lorsqu'il ne fait pas d'attention* à la faiblesse et à la limitation de son esprit, ce qui lui est fort ordinaire. Ainsi la limitation de l'esprit toute seule, emporte avec soi la capacité de tomber dans l'erreur. Toutefois si les hommes, dans l'état même où ils sont de faiblesse [...], faisaient toujours bon usage de leur liberté, ils ne se tromperaient jamais. Et c'est pour cela que tout homme qui tombe dans l'erreur est blâmé avec justice, et mérite même d'être puni: car il suffit pour ne se point tromper de ne juger que de ce qu'on voit, et de ne faire jamais des jugements entiers, que des choses que l'on est assuré d'avoir examinées dans toutes leurs parties, ce que les hommes peuvent faire. Mais ils aiment mieux s'assujettir à l'erreur, que de s'assujettir à la règle de la vérité : ils veulent décider sans peine et sans examen. Ainsi il ne faut pas s'étonner, s'ils tombent dans un nombre infini d'erreurs, et s'ils font souvent des jugements assez incertains. MALEBRANCHE
malebranche

« même si notre perception demeure plus adaptable, au prix d'un effort de contrôle de notre attitude.Anticipant sur le second alinéa, Malebranche signale la trop grande rareté de cet effort; limité, l'homme estsouvent aussi paresseux.

Il se laisse fasciner par l'objet qui absorbe son attention, et néglige d'accorder uneattention réflexive à la façon dont son esprit saisit l'objet.

Là est le risque d'erreur.L'homme est donc faillible par nature; mais la conscience est capable de réflexion, si bien que nous pouvonscomprendre les causes de cette faillibilité, cette structure de la condition humaine.

Les connaissant,comment se fait-il que nous sachions si peu en tenir compte et que nous commettions tant d'erreurs?Le second alinéa entreprend d'élucider cette question.

Sa structure est symétrique à celle du premier :même si nous étions parfaitement vigilants, nous resterions faillibles; même dans cette condition faillible,nous avons à maintenir notre vigilance.

C'est à ce stade que Malebranche explicite l'idée de liberté:créatures limitées, c'est-à-dire privées de la toute-puissance divine, nous sommes pourtant libres dans lamesure où nous avons à décider de notre perception et de l'organisation de notre esprit.

Nous avons unefaculté de clairvoyance et de raisonnement, une capacité de recherche de la vérité, qu'il nous appartient demettre en oeuvre, accomplissant en cela notre nature, ou de négliger, nous abaissant ainsi vers l'animalité.C'est à cause de cette liberté que l'erreur peut être « blâmé[e] avec justice, et mérite même d'êtrepuni[e]».Encore faut-il qu'il soit humainement possible d'accomplir cette tâche, que la découverte de la vérité soit ànotre portée.

C'est ce que confirme Malebranche en proposant deux règles simples.

La première consiste à «ne juger que de ce qu'on voit ».

Il ne s'agit pas ici de limiter notre pensée à des représentations terre àterre et ne dépassant pas le stade de la vision naïve : toute entreprise de connaissance scientifique s'entrouverait ruinée, puisque la physique, par exemple, s'appuie sur des concepts qui ne sont pas calqués sur lavision spontanée.

Sans doute faut-il donner un sens plus large à cette « vision », d'autant plus queMalebranche décrit toute connaissance vraie comme une « vision en Dieu ».

Il s'agit ici du regard intellectuelqui nous permet de saisir dans l'évidence des idées claires et distinctes.

Nous ne devons donc porter desjugements que lorsque nous avons construit un objet intellectuel clair et distinct.La seconde règle impose de « ne faire jamais des jugements entiers, que des choses que l'on est assuréd'avoir examinées dans toutes leurs parties, ce que les hommes peuvent faire ».

Cette phrase n'est-elle pascontradictoire avec le début, qui affirme que seul un esprit absolu peut épuiser l'infinité de rapports qui sontentre les moindres choses ? On peut lever la contradiction en comprenant qu'il nous appartient de prendrecomme objet d'étude des questions que nous sommes en mesure de résoudre.

C'est pourquoi la science seconstitue avant tout en posant les bonnes questions à propos des phénomènes ou en proposant desmodèles suffisamment simples pour transformer en énigmes possibles à résoudre ce qui pour le sens communest un vaste mystère.

Il s'agit d'isoler dans l'ensemble complexe des phénomènes ceux qui sont à la foissimples et représentatifs et de leur donner une interprétation abstraite sous une forme mathématisable.

Lesrapports mathématiques sont en effet le paradigme des idées que l'homme peut appréhender en lesexaminant « dans toutes leurs parties ».

Descartes les citait déjà comme un modèle d'évidence, en bonnepartie parce qu'elles ne sont pas tirées du monde sensible mais entièrement de notre esprit.

Si l'on peutramener ce que nous voyons à cette forme mathématique, alors notre esprit est parfaitement chez lui etpeut envisager une connaissance dépourvue d'erreur.Tout serait donc pour le mieux, si cette dialectique de la faillibilité et de la méthode n'admettait un troisièmetemps, celui de la paresse intellectuelle.

L'homme a une nature faillible; mais sa raison lui permet de palliercette limitation par la méthode; ce qu'il fait trop rarement, préférant l'immédiat au labeur, la facilité àl'effort.

Ce dernier point renforce le côté condamnable,immoral de l'erreur.

Nous ne pouvons pas nous plaindre de l'erreur en accusant Dieu de nous avoir faits troplimités, nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous-mêmes qui savons si mal tenir compte de ces limites etles transcender par une méthode assurée. Conclusion Au-delà de la question de la connaissance, ce texte nous invite donc à réfléchir sur deux aspectsfondamentaux de la subjectivité.

Le premier est la double nature de notre esprit, limité mais capable deréflexion, faillible mais capable de se donner une méthode pour éviter l'erreur.

Le second est le caractèrelaborieux de notre liberté.

On peut parler, pour reprendre une formule d'Emmanuel Lévinas, d'une « difficileliberté », une liberté coûteuse car non immédiate, une liberté dont le bon usage implique une véritableascèse intellectuelle.

L'opinion est la finitude qui se complaît en elle-même; la raison est l'activité qui, sanssupprimer notre limitation, produit un système de connaissances assurées; entre ces deux pôles, la méthodereprésente la liberté au travail pour réformer notre esprit et le faire passer de l'opinion à la vérité rationnelle.. »

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