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Malraux : L'art est la seule réalité

Publié le 29/03/2011

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Montrant comment la peinture moderne vient au monde le jour où le sujet disparaît « parce qu'un nouveau sujet paraît qui va rejeter tous les autres : la présence dominatrice du peintre lui-même «, Malraux explique comment la peinture a été délivrée de ses fonctions classiques (imiter-imaginer-transfigurer) lorsqu'avec Daumier et Manet elle a été conçue comme peinture et non comme moyen : C'est alors que le talent des peintres cessa d'être un moyen d'expression de la fiction. Leur talent, et non la peinture. Bien après la fin du siècle, grands sujets et anecdotes encombreront encore les salons officiels; la peinture continuera d'imaginer, mais ce sera celle des peintres qui ne compteront plus. La même grande aventure transformait la poésie et de la même façon : avec Baudelaire elle cessait de raconter, mais la poésie officielle allait se vautrer bien des années encore dans les drames et le récit. L'admiration que Zola et Mallarmé vouent ensemble à Manet est moins énigmatique qu'il n'y paraît : naturalisme, symbolisme, peinture moderne, selon les passions différentes et parfois opposées, s'acharnent à l'agonie du vaste domaine de fiction dont la dernière expression était le romanesque historique. Malraux avance alors dans l'analyse de ce changement réalisé par l'art moderne : Ce que cherchait le nouvel art, c'était le renversement de la relation entre l'objet et le tableau, la subordination de l'objet au tableau. Il fallait que le paysage se soumît, comme Clemenceau dans son portrait s'était schématisé. Ne plus reconnaître de valeur qu'à l'œil, c'était rompre avec le musée pour lequel le paysage était subordonné à la connaissance et à l'idée que l'homme en avait ; le lointain du paysage impressionniste n'était pas une représentation mais une allusion [...]; à la vérité, il ne s'agissait nullement de voir un spectacle de façon aiguë pour le reproduire fidèlement, mais pour tirer de cette vision une peinture plus intense. Et achève par une analyse de l'objet : La volonté de l'artiste moderne c'est de tout soumettre à son style, et d'abord l'objet le plus brut, le plus nu. Son symbole c'est la Chaise de Van Gogh. Non pas la chaise d'une nature morte hollandaise, devenue, grâce à ce qui l'entoure et à la lumière, l'un des éléments de cette quiétude à quoi le déclin des Pays-Bas avait fait concourir toutes choses; la chaise isolée (avec à peine une suggestion de misérable repos) comme un idéogramme du nom même de Van Gogh [...]. Ce qui, désormais, l'emporte, c'est la peinture et elle seule : J'ai entendu un des grands peintres de ce temps dire à Modigliani :  

« Tu fais une nature morte comme tu veux, l'amateur jubile; un paysage, il jubile encore; un nu, il commence à faire une binette en coin; sa femme... ça dépend des fois ; mais si tu te mets à faire son portrait, si t'as le malheur de toucher à sa gueule, alors, là, mon vieux, tu le vois bondir! « C'est seulement devant leur propre visage que beaucoup d'hommes, même parmi ceux qui aiment la peinture, prennent conscience de l'opération magique qui les dépossède au bénéfice du peintre. Tout artiste qui imposa jadis cette conscience est moderne par quelque point : Rembrandt est le premier maître dont les modèles aient parfois craint de voir leur portrait. Le seul visage avec lequel le peintre moderne souvent « négocie « c'est le sien, et on peut beaucoup rêver devant les auto-portraits... La rupture avec la fiction, la fin de l'imaginaire, ne pouvaient avoir que deux conséquences : ou bien l'exaltation d'un réalisme absolu dont nous verrons qu'il n'exista jamais, tout réalisme étant orienté par une valeur au service de laquelle il met sa puissance d'illusion; ou bien la naissance d'une nouvelle valeur capitale, qui fut la prise absolue et proclamée du peintre sur ce qu'il représentait : la métamorphose du monde en tableaux. Ressembler à une idée : Cette idée que la ressemblance est un moyen privilégié de l'art, si longtemps évidente en Europe occidentale, eût surpris un Byzantin pour qui l'art impliquait précisément une désindividualisation, une délivrance de la condition humaine au bénéfice de l'éternel, pour qui un portrait tendait plus au symbole qu'à l'illusion. Et davantage un Chinois, pour qui la ressemblance limitée à elle-même, étrangère à l'art, appartenait au domaine du signe. Des peintres chinois soumettaient à la famille des défunts, après les obsèques, leurs albums où étaient figurés toutes sortes de nez, d'yeux, de bouches, d'ovales de visages, et peignaient sans avoir vu le mort. Ils ne se tenaient d'ailleurs pas plus alors pour des artistes que nos photographes ambulants : la ressemblance qu'entendaient capter les vrais artistes, c'était celle de ce qu'un visage, un animal, un paysage, une fleur cachaient, suggéraient ou signifiaient. Les Voix du silence (1951), Gallimard, p. 110, 115, 117, 118.

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