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Le matérialisme implique-t-il l'absence de liberté ?

Publié le 21/03/2004

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Le matérialisme désigne toute doctrine qui professe qu'il n'est de réalité que matérielle (Diderot en fait la doctrine de ceux qui « concluent qu'il n'y a que de la matière, et qu'elle suffit pour tout expliquer «), ce terme fait donc référence à des doctrines très différentes selon la nature et les propriétés reconnues à la matière en question. Si le terme n'a été forgé qu'au XVIIème siècle, il renvoie néanmoins à un débat présent dès l'Antiquité puisque Platon, dans le Sophiste, oppose ceux qui réduisent tout à des réalités corporelles à ceux qu'il défend, les « amis des formes «. En réalité, la question du matérialisme est celle de la réduction à la matière, et plus particulièrement de l'âme et de l'intelligible. Deux problèmes se conjuguent :
1)      Un problème ontologique : de quoi est faite la réalité naturelle comme la réalité humaine ?
2)      Un problème épistémologique : la matière est-elle un principe suffisant pour expliquer l'ensemble des phénomènes, pour servir de base à l'ensemble de la connaissance ?
On voit que ces problèmes ne convergent pas d'eux-mêmes vers la conclusion qu'il n'y a pas de liberté. Cela dépend en premier lieu de la manière dont on la conçoit, de ce à quoi on l'oppose.
1)      De manière plutôt 'objective' on peut concevoir la liberté comme absence de contrainte, et cette absence devient alors incompatible avec le matérialisme à condition que la matière soit associée à une nécessité contraignante et absolue.
2)      De manière plutôt 'subjective' on peut définir la liberté comme le mode immédiat par lequel la conscience se rapporte à ses actes. Pour que la matière du matérialisme soit incompatible avec la liberté ainsi comprise, il faut non seulement montrer que cette conscience est réductible à des états matériels, mais surtout expliquer :
1.      que l'immédiateté en question n'en est pas vraiment une, et peut prendre la forme d'une aliénation, en tant que le rapport à soi est construit, déterminé, par une nécessité extérieure au sujet lui-même,
2.      que le sentiment de liberté qui est produit par ce rapport de conscience peut n'est qu'une illusion, une fausse impression.

« aperçu, que ce soit au niveau des passions qui expriment toujours des rapports constants, ou du fait que chaqueêtre tend à persévérer dans son être, ce qui fait que l'âme doit être conçue comme conatus.

Dès lors la liberté semble difficilement pensable, et elle doit même d'abord être reconnue comme uneillusion.

Si le matérialisme repousse dans un premier temps la notion de liberté, c'est pour ainsi dire à titre d'obstacleépistémologique qui nous satisfait d'une explication qui en réalité n'explique rien.

L'idée d'une liberté qui nous seraitdonnée est une illusion à dépasser, mais en même temps ce dépassement n'a de sens que s'il conduit à penser uneautre forme plus authentique de liberté, une liberté conquise sur la détermination de la matière, ce qui doit êtrecompris comme conquête par la connaissance de cette détermination.

Transition : on voit donc que c'est l'idée de distinction substantielle entre l'étendue et la pensée qui rend lematérialisme incompatible avec la liberté.

Mais c'est à condition que cette liberté soit conçue à son tour commeexpérience première, donnée, et non comme expérience construite, voire conquise.

Mais quel sens précis donner àcette conquête si c'est le sujet, qui à travers ses représentations, est l'origine de l'obstacle qui le tient à distancede sa liberté ? Liberté compatible avec le déterminisme économique et social III.

C'est pour répondre à cette question que la matérialisme historique peut être mobilisé, car il semble bienreprendre l'idée spinoziste d'une liberté acquise sur le déterminisme par la connaissance : « La liberté n'est pas dans une indépendance rêvée à l'égard des lois de la nature, mais dans la connaissance de ces lois et dans la possibilitédonnée par là même de les mettre en œuvre méthodiquement pour des fins déterminées » (Engels, Anti-Dühring , I,11).

Mais le matérialisme ne s'oppose plus au dualisme cartésien mais à deux ensembles théoriques bien différents : 1) l'idéalisme hégélien qui fait de l'histoire la réalisation de l'esprit, d'une essence abstraite qui dépasse l'homme 2) l'économie politique classique qui conçoit ses lois comme universelles et indépendantes à l'égard du contexte historique. La matière en question désigne alors quelque chose de précis, mais dont le point commun avec tous les autresmatérialismes est de valoir comme principe d'explication, c'est la structure économique de la société, les relations deproduction, et d'échange qu'elle entraîne, et la lutte entre les classes sociales qui en résulte.

D'un côté ce matérialisme semble tout aussi incompatible avec l'idée d'une liberté dans la mesure où ilpose comme principe formulé au début de l' Idéologie allemande de Marx que c'est l'existence qui détermine la conscience et non l'inverse : ce qu'on croit choisir librement n'est en fait que la réaction déterminée à des intérêtsliés à notre position dans la société.

Mais cela laisse néanmoins de la place à la liberté surtout si on tient compte de la double opposition àl'idée d'une histoire orientée par l'esprit et d'une économie fondée dans l'absolu sur une nature humaine invariable.La reconnaissance de l'historicité des sociétés et aussi une reconnaissance du fait que l'homme se construit lui-même, et toute la question est de savoir si cette construction est subie ou choisie.

Reconnaître le rôle de l'histoirec'est se donner les moyens de dépasser les représentations qui ne sont que le fruit d'un développement subi : lanotion d'idéologie permet ainsi de rendre compte d'un faux sentiment de liberté comme expérience première etimmédiate, la notion d'aliénation permet de comprendre comment ce sentiment à la fois est le résultat et le masqued'une construction extérieure au sujet lui-même.

Conclusion On voit par là que le matérialisme peut être compris comme absence de liberté seulement si l'on reprendà chaque fois la conception de la liberté de la théorie opposée, que ce soit la finalité qui poursuit le bien, la libertéd'indifférence, ou la rationalité tant de l'esprit hégélien que de l'individu de l'économie politique.

En réalité l'idée dematérialisme gagne à être conçue comme une exigence supplémentaire formulée à propos du concept de liberté :celui-ci devrait, pour avoir un sens, répondre tant à des conditions minimales (insertion dans une nécessité nonabsolue) qu'à des distinctions discriminant le sentiment d'une liberté évidente et la recherche d'une liberté gagnéesur les choses et les rapports sociaux.. »

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