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Michel Foucault  

Publié le 22/02/2012

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foucault
Si, comme le disait Gilles Deleuze, " un grand philosophe est celui qui crée de nouveaux concepts ", alors Michel Foucault est indéniablement l'un des " grands philosophes " contemporains. Ou peut-être le serait-il à son corps défendant, puisqu'il n'a cessé de critiquer l'idée qu'on puisse lire une " oeuvre " comme un corpus, sorte de totalité fermée qui trouverait en la personne ­ fictive ou réelle ­ de son " auteur " tant un propriétaire que la clef de toute interprétation possible (" Qu'est-ce qu'un auteur ? ", Dits et écrits, vol. I.). " Ne me demandez pas qui je suis et ne me dites pas de rester le même ", apostrophait-il son lecteur à la fin de l'introduction de l'Archéologie du savoir : sans doute y a-t-il quelque paradoxe à écrire une notice sur Michel Foucault.    Laissons donc de côté l'homme. Qu'en est-il de l'oeuvre ? Les concepts nouveaux y prolifèrent, à commencer par celui d'" épistémè ", que le succès inattendu des Mots et les choses en 1966 (épuisés deux mois après leur parution) projeta sur le devant de la scène philosophique. D'autres vinrent progressivement s'y ajouter : " disciplines ", " savoir-pouvoir ", " régimes de vérité ", " assujettissements ", " subjectivation ", " jeux de vérité ", etc... Mais comment les comprendre ? Et comment interpréter leur pluralité ? La difficulté de cette tâche est aggravée par la chronologie du parcours foucaldien, dont on sait qu'elle est scandée par deux longs silences (respectivement cinq et six ans, de 1970 à 1975, puis de 1976 à 1982), à l'issue desquels Foucault semble avoir, à chaque fois, soit abandonné, soit remis en cause et remanié ses méthodes précédentes. Ainsi, à l'archéologie succède la généalogie, et à celle-ci, l'étude des " problématisations de soi " ; à chacune de ces investigations correspondent des objets différents (les " lois " qui régissent le discursif, les " pratiques non discursives ", les " techniques de soi "). De surcroît, si les deux premières périodes ont pour domaine de référence des époques similaires (du Moyen Âge au XIXe siècle, approximativement), la dernière porte sur une plage de l'histoire si reculée (l'Antiquité grecque et romaine, puis les débuts de la Chrétienté) qu'elle semble n'avoir guère de rapports avec les précédentes. Peut-on vraiment restituer à cette diversité la cohérence d'un projet unique ?   
foucault

« (Archéologie du savoir).

L'archéologie se présente donc comme une gageure dont l'intérêt tient précisément au paradoxe par lequel se définissent ses enjeux : trouver unetransposition du transcendantal, ou encore définir en termes concrets ce " transcendantal historique " autrefois étudié par Foucault en référence àHegel H020 (" La constitution d'un transcendantal historique dans la Phénoménologie de l'esprit de Hegel H020 ", cité par D.

Eribon dans Michel Foucault, éditions Flammarion), et dont l' a priori historique figure en quelque sorte comme un écho lointain.

Cette idée essentielle permet de saisir l'ambition spécifiquement philosophique du projet foucaldien, trop souvent masquée par la reprise des écrits de l'auteur dans l'élément dessciences sociales : ce dont il sera question chez Foucault, ce n'est pas seulement de la genèse des sciences humaines ou des formescontemporaines de subjectivité.

C'est de la possibilité de définir une nouvelle manière de lier l'histoire à la philosophie, à mi-chemin entre unidéalisme jugé excessif (celui des post-kantiens) et le matérialisme trop réducteur des auteurs regroupés par Foucault sous l'étiquette de" marxistes " (notamment outre Mals lui-même Althusser H1005 , Marcuse H1169 , Reich, ou Fromm) ainsi, l'archéologie ne peut se satisfaire d'une réponse de type marxiste, ou positiviste, qui déchiffrerait dans l'empirique lui-même les conditions matérielles de son propre devenir, et feraittotalement l'économie du transcendantal.

Plus encore que ses débats avec le structuralisme, ou l'hommage indirect qu'il rend à l'épistémologiefrançaise (notamment celle de Canguilhem) comme à l'École des Annales, la filiation du projet foucaldien avec le criticisme kantien fournit donc àl'archéologue une ligne directrice pour bâtir par contraste une méthode et un appareil conceptuel originaux, qui lui permette de reprendre sur leterrain de l'histoire la question critique du savoir et de ses conditions de possibilité.

L'on comprend alors mieux le rapport très ambivalent qu'entretient la pensée du premier Foucault avec la phénoménologie : si celle-ci peut luiapparaître à la fois comme une interlocutrice et comme une cible privilégiées, c'est précisément qu'elle aussi travaille à la manière du Husserl H025 des Méditations cartésiennes à contourner l'obstacle d'un transcendantalisme pur.

C'est là le sens des notions d'a priori de l'existence et surtout d'" originaire ", qui pour Foucault traduisent, sous la forme paradoxale de la rétrospection, le mouvement par lequel le transcendantal peutapparaître dans l'empirique sous la forme d'un " déjà-là " toujours présent, mais insaisissable en son fondement.

De manière très significative, lalecture foucaldienne de Kant H026 s'avère alors fortement inspirée par Husserl H025 , ainsi que par le Kant H026 et la métaphysigue de Heidegger H021 .

Malgré les apparences, l'archéologie s'apparente donc en profondeur à la phénoménologie en ce qu'elle tente de trouver une solution au même problème donner une nouvelle version du transcendantal , et adopte une méthode souvent voisine, caractérisée notamment parsa visée descriptive (et non pas explicative).

Toutefois, elle s'en sépare radicalement en dénonçant l'impossibilité de la " solution "phénoménologique, c'est-à-dire en critiquant les notions d'" originaire " et d'" origine " en tant qu'elles manifestent à leur tour une confusion entrel'empirique et le transcendantal, et enferment la pensée dans un cercle vicieux l'" Analytique de la finitude " dans lequel les conditions depossibilité sont assimilées à ce qu'elles ont pour objet de fonder, ce qui a pour conséquence d'annuler la possibilité même de toute fondation.

Dèslors, l'on saisit mieux la violence des attaques de Foucault contre le thème du sujet : il s'agit de renoncer au point de départ husserlien (l'egotranscendantal pour donner de l'a priori historique une version non originaire, c'est-à-dire pour chercher un transcendantal sans sujet.

Cette version non anthropologique du transcendantal, c'est à l'archéologie, soeur ennemie de la phénoménologie, que l'auteur confiera désormais le soinde la trouver.

Dans sa thèse complémentaire de Doctorat (traduction et commentaire de l'Anthropologie d'un point de vue pragmatique ), Foucault effectue donc la genèse du thème transcendantal en montrant que ce dernier a connu chez Kant H026 lui-même deux versions, dont le rapport est ambivalent : la formulation critique première du thème transcendantal, qui distinguait soigneusement le champ empirique de ses conditions apriori, subit dans l'Anthropologie un infléchissement anthropologique symbolisé par le recentrement de la triple interrogation kantienne sur la question " qu'est-ce que l'homme ? ", et concrétisé philosophiquement par la transposition de l'a priori en " originaire ".

Or un tel déplacement pose problème au sens où il entend faire valoir des contenus empiriques comme leurs propres conditions de possibilité, et cherche dans la finitudede l'être humain les éléments d'une détermination transcendantale dès lors rendue impossible en son principe même par la confusionanthropologique entre l'empirique et l'a priori.

Dès lors, l'enjeu de l'archéologie sera de réélaborer le thème transcendantal premier en le transportant sur cet autre sol qu'est le discursif, envisagé de manière autonome, et en théorie du moins libéré des " dernières sujétionsanthropologiques " ( L'archéologie du savoir, p.

25.

Un peu plus bas, Foucault affirme sa volonté de " définir une méthode d'analyse qui soit pure de toute anthropologisme ").

Se succéderont donc, dans les textes archéologiques, trois acceptions différentes de l'a priori historique.

Dans la Naissance de la clinique, ce dernier est compris comme ce qui ordonne, avant tout discours, l'enchevêtrement du visible et du dicible, définition dont le propre est qu'elleprésuppose en filigrane une théorie de la perception, l'interlocuteur implicite de Foucault étant à cet égard Merleau-Ponty H056 .

Les mots et les choses, eux, rompent avec cet arrière-plan merleau-pontien pour proposer une seconde définition de l'a priori historique, désormais entendu, non pas comme ce qui commande antéprédicativement la perception, mais comme un mode d'articulation spécifique du langage et de l'être qui s'ytrouve nommé.

L'épistémè se présente alors comme l'ensemble des conditions de possibilité présupposées par tout discours à une époque donnée, à partir desquelles les objets du savoir se trouvent déterminés et organisés en des corpus théoriques plus ou moins formalisés.

Avatarshistoricisés du transcendantal, les épistémès permettent à Foucault de décrire la succession des différentes époques du savoir en remontant à chaque fois, par delà les débats de surface, à leurs conditions de possibilité ainsi, la querelle entre " Physiocrates " et " utilitaristes " repose-t-ellesur une théorie de la valeur partagée par les deux parties (Les mots et les choses).

L'Archéologie du savoir, quant à elle, présente une troisième élaboration de l'a priori historique qu'elle envisage désormais en référence au seul plan discursif, et qu'elle distingue implicitement d'une épistémè qui ne désigne plus, empiriquement, que " l'ensemble des relations mises en jeu par une pratique discursive donnée " (Archéologie du savoir). En tant qu'il est " condition de réalité " pour des énoncés et concerne leurs " conditions d'émergence15 " (Archéologie du savoir) , l'a priori historique conserve au contraire sa fonction première, qui était d'apporter une réponse à la question critique des conditions de possibilité dusavoir.. »

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